Le fantasme des Fillon, Macron, et Montebourg
Des industriels aux politiques, les nombreux partisans de l’exploitation du sous-sol en France préparent l’opinion à leur entrée en action, évoquant mines et forages « propres » et « responsables ». Pour démontrer la fausseté de leurs arguments, Les Amis de la Terre publient aujourd’hui un rapport.
« Les populations locales qui se mobilisent contre ces projets miniers et pétroliers n’auraient-elles donc rien compris ? » ironise l’association Les Amis de la Terre. Elle publie ce mardi 6 décembre un rapport sur « le renouveau extractif en France » — comprendre : le retour des mines et des forages à l’insu de la majorité de la population. Pour une partie des industriels et de la classe politique française, l’exploitation d’hydrocarbures et de métaux est un moyen de revitaliser les territoires ruraux et s’affranchir de la dépendance à la Russie et à la Chine… le tout dans des conditions prétendument « soutenables sur le plan environnemental et social ». Vraiment ?
Dans le livret intitulé Creuser et forer, pour quoi faire ? Réalités et fausses vérités du renouveau extractif en France, la branche française de l’ONG, dont l’objectif est de promouvoir une société écologiquement viable et socialement équitable, met en garde contre les fausses vérités destinées à « verdir l’image du secteur extractif sans jamais poser la question de fond : faut-il extraire ? » résume Juliette Renaud, chargée de campagne sur les industries extractives pour l’association, interrogée par Reporterre.
Gaz de couche, de schiste, or, argent, tungstène, cuivre, zinc, plomb… les sous-sols de la Bretagne, du Limousin, du Pays basque, de Moselle, de Guyane, de Nouvelle-Calédonie et d’ailleurs aiguisent les appétits spéculatifs et politiques. Des dizaines de permis d’exploration d’hydrocarbures sont en cours de validité, plus d’une centaine sont en attente d’autorisations, même si la fracturation hydraulique pour exploiter le gaz de schiste est interdite en France depuis 2011. Des permis d’exploration minière quadrillent le territoire. « Il y a urgence à faire obstacle à cette relance minière et pétrolière », estiment les Amis de la Terre.
« La question de la consultation de la population est fondamentale »
« Tout est prêt pour une relance portée depuis longtemps par le gouvernement socialiste. La suite dépendra de l’évolution de la situation économique et politique », annonce Juliette Renaud. Pour elle, ce rapport est l’occasion à la fois de « remettre sur la place publique ce qui se passe dans la discrétion » et d’« obliger les candidats à se positionner » sur la question. Un an après les promesses de la COP21 et à quelques mois des élections présidentielle et législatives, le statu quo est de rigueur « dans l’attente d’une modification ou d’une évolution de la loi interdisant la fracturation hydraulique lors de la prochaine mandature », décrypte le rapport.
Du côté des parlementaires, les députés socialistes viennent de déposer une proposition de loi pour relancer la réforme du code minier, une promesse du gouvernement qui date de quatre ans, après les fortes mobilisations citoyennes de 2011. Mais pour les Amis de la Terre, le texte est insatisfaisant en l’état, et la réforme reste un serpent de mer qui n’aboutira pas avant la fin du quinquennat. « On a en effet besoin d’une réforme, mais les textes ne répondent pas du tout aux enjeux. Ils passent notamment à côté de la question de la consultation de la population, qui est fondamentale », explique Juliette Renaud.
Côté candidats à l’élection présidentielle, la question de l’extractivisme en France est rarement abordée. Et excepté Yannick Jadot, le candidat EELV, rares sont ceux qui ferment vraiment la porte aux gaz de schiste. François Fillon, le candidat Les Républicains, estime par exemple qu’il est « criminel de se passer au moins des recherches sur le gaz de schiste. Cela dénote une tournure d’esprit moyenâgeuse ».
« Reconstituer notre puissance industrielle et les emplois qui vont avec »
De ce point de vue, le bilan de l’exécutif socialiste est à regarder de près, car deux anciens ministres de l’Économie incarnant le renouveau de l’extractivisme français ont affiché leurs ambitions pour 2017 : Arnaud Montebourg et Emmanuel Macron. Ils ont tous les deux fait partie du premier gouvernement de Manuel Valls, qui se verrait bien, lui aussi, à l’Élysée en 2017. Après avoir sollicité à de nombreuses reprises sans succès les équipes des deux anciens de Bercy, Reporterre a recouru aux archives pour lire leurs positions à la lumière du rapport des Amis de la Terre.
Lorsqu’il était au gouvernement, Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie et du Redressement productif, a le premier fait part de sa volonté de relancer les mines françaises en leur donnant « une meilleure image ». « L’exploitation minière (…) est une forme de technologie moderne, nouvelle, à taille humaine », expliquait-il en 2012, alors que le gouvernement octroyait des permis exclusifs de recherche pour des mines métallifères. En 2014, le ministre a même annoncé la création d’une Compagnie nationale des mines de France, qui n’a pas vu le jour.
Si ses positions ont évolué — il a notamment reculé au mois de septembre 2016 sur la question du gaz de schiste — Arnaud Montebourg porte toujours un grand intérêt à l’industrie minière. L’ancien locataire de Bercy a notamment évoqué au mois d’août, dans son discours de candidature à l’élection présidentielle, sa volonté de construire « des conglomérats capables (…) de devenir des champions européens et mondiaux dans les mines, dans la métallurgie, dans l’énergie (…). Nous pouvons reconstituer notre puissance industrielle et les emplois qui vont avec sur le territoire français », expliquait-il.
Sauf que l’argument des emplois ne tient pas pour Les Amis de la Terre, qui expliquent dans leur rapport qu’« en France, le nombre d’emplois créés pour une mine est estimé entre une dizaine par le collectif StopMines23 et 100, 150 ou 300 emplois directs selon l’entreprise Variscan. Sachant qu’une mine serait exploitée entre 5 ans et 30 ans, l’exploitation d’une mine permettrait de créer 10 emplois sur 5 ans pour les estimations les plus pessimistes à 300 emplois sur 30 ans selon les estimations les plus optimistes. Les emplois indirects ne sont pas estimés. Tout comme ne le sont pas les emplois agricoles qui seront détruits avec la dégradation du sol et de l’eau ainsi que tous les emplois liés à la qualité de vie (tourisme, immobilier, etc.) ».
« Vu le coût et la quantité dans nos sous-sols, cette indépendance est utopique »
Après le départ d’Arnaud Montebourg du gouvernement, en 2014, son successeur au ministère de l’Économie, Emmanuel Macron, a repris le flambeau sur la question de l’extractivisme. « La France va ouvrir de nouvelles mines », a-t-il promis en 2015. « La reprise de l’activité minière en métropole est un des axes de la politique industrielle que je conduis », a encore affirmé le ministre Macron dans une lettre aux Amis de la Terre, ajoutant qu’il est « aujourd’hui possible d’exploiter des mines dans des conditions soutenables sur le plan environnemental et social ». Le ministre, qui se voulait le chantre de la « mine responsable », a créé un comité du même nom auquel les Amis de la Terre ont refusé de participer. Quelques mois plus tard, France nature environnement et les ingénieurs d’ISF SystExt claquaient la porte à leur tour. Le livre blanc censé déterminer comment éviter, réduire ou compenser les impacts des projets miniers, et auquel les opérateurs miniers doivent être « invités à adhérer », n’est toujours pas paru.
De toute façon, pour les Amis de la Terre, « les mines et les forages “propres” n’existent pas. Premièrement, ils ont des impacts humains et environnementaux inhérents à leurs processus d’exploration et exploitation. Deuxièmement, il y a souvent des accidents, y compris dans les pays dits développés. Troisièmement, l’après-mine n’est pas assez réglementée et pris en compte, et les impacts se font sentir des dizaines voire des centaines d’années après la fermeture. En bref, des substances dangereuses qui étaient “emprisonnées” dans les roches sont libérées et se retrouvent dans l’air, l’eau et les sols », résume le rapport.
En juin 2016, deux mois avant de quitter le gouvernement, Emmanuel Macron persistait : « Pour réduire notre dépendance, il faut une stratégie minière. » Faux, répond encore le rapport des Amis de la Terre, car « la plupart des gisements riches ont été ou sont en cours d’exploitation. Les gisements restant sont ceux qui ont des teneurs faibles (…). Plus la teneur est faible et plus il faut de procédés pour séparer le minerai des résidus, et plus l’impact environnemental de la mine est élevé (…). Par ailleurs, le sous-sol français contient certains minerais (or, argent, tungstène, molybdène, cuivre, zinc, plomb, étain, etc.) mais la plupart des substances que nous utilisons ne sont pas présentes. On ne peut donc pas prétendre couvrir nos besoins actuels avec la réouverture de mines », dément l’association. « Vu le coût et la quantité dans nos sous-sols, cette indépendance est utopique », résume Juliette Renaud.
En 32 pages, élaborées sur plusieurs mois, le rapport des Amis de la Terre tente donc d’apporter une contre-argumentation aux discours politiques qui ont été élaborés lors de la dernière décennie. « Le renouveau extractif passe en partie par une bataille de l’opinion, pour laquelle les industriels et les décideurs politiques qui les soutiennent ont bien plus de moyens que les opposants issus de collectifs citoyens et d’organisations de la société civile », explique l’association. Or les dégâts humains et environnementaux, eux, sont le plus souvent payés par les citoyens. Choisir le débat public plutôt que l’opacité, la transition énergétique plutôt que les énergies du passé, la réduction de la consommation et le recyclage plutôt que la pollution et les déchets… Cela peut aussi faire partie des enjeux d’une élection présidentielle.
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pour télécharger le document des amis de la terre : www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/rapport_extractivisme_web.pdf