S’abstenir, ça ne veut pas dire nier tout engagement politique. Au contraire. Le but, ce n’est pas seulement refuser de participer au cirque électoral, c’est boycotter tout un système. Ne pas voter est un acte politique.
Participer au carnaval électoral ?
Plus jamais.
Pourquoi ?
Parce que jusqu’en 2012, j’y ai cru, même si j’avais des doutes.
Jusqu’à ce que « mon candidat » appelle à voter pour Hollande « comme si c’était pour lui », alors qu’ancien socialiste lui-même, il était quand même bien placé pour savoir quelle ganache c’était. Il s’est même proposé ensuite pour être le premier ministre de ce gouvernement socialiste-comme-je-suis-bonne-sœur.
Jusqu’à ce que « mon candidat » tienne des propos que je ne partageais pas, sur les jeunes de banlieue qualifiés de bouffons, sur les musulmans et les musulmanes qui « faisaient de la provoc » sur les plages, sur la police « républicaine » (qui vote FN à au moins 50 %, mais passons), sur les migrants qu’on devrait aider à rester chez eux, etc.
Jusqu’à ce que les « insoumis » soient tellement soumis qu’ils ne mettent plus en doute la sainte parole (avant, on appelait ça « la ligne » du parti) et dégueulent sur ceux qui se permettent de le faire, même un peu. Ce qui laisse augurer des lendemains qui chantent pour leurs contradicteurs si jamais ils arrivaient au pouvoir. C’est simple, ils me font parfois penser aux fillonistes purs et durs (et aveugles).
Alors, c’est vrai, je lui en veux, à « mon candidat ». Et je m’en veux d’y avoir cru. Et tant pis pour ceux qui y croient encore.
Parce que pour moi, tout ça est finalement assez simple.
De manière générale, aliéner mes décisions, mon avenir, ma vie et celle de ceux que j’aime, déléguer le pouvoir à des incompétents qui ne vivent pas ma vie, ne rendent jamais de comptes à personne, et s’engraissent sur la bête, plus question. Marre de donner les clés de la maison France à des gens qui pour garder ou obtenir leur place, sont prêts à toutes les compromissions, qu’ils appellent pudiquement « des alliances ». Marre de toujours devoir « choisir » entre la peste et le chicungunhya, d’élire « le moins pire » pour « faire barrage ». Marre en tant qu’électrice de n’être plus qu’un alibi pour défendre un système injuste qui n’a plus rien de démocratique.
Ce qui me console, c’est que je suis loin d’être la seule à penser ça.
D’après les derniers sondages Ifop, le taux d’abstention au premier tour de la présidentielle pourrait aller jusqu’à 30 ou 40 % (pourtant, d’habitude cette élection est celle où la participation est la plus forte. A titre d’exemple, le précédent record d’abstention, le 21 avril 2002, était de 28,40 %, après on a tous « fait barrage », moi y compris, hélas). Bref, on serait dans les 40% à avoir décidé d’aller à la pêche (ou ailleurs) le jour des prochaines élections.
Les scandales, les « affaires », la corruption généralisée des prétendus chevaliers blancs qui prônent l’austérité pour les autres tout en profitant des ors de la république, ce sera désormais sans ma voix, sans ma bénédiction, ni mon accord. Porter au sommet de l’état et au parlement les valets de ceux qui détiennent le vrai pouvoir, empoisonnent la planète, font la guerre, tuent des gens, ce sera sans moi.
Exemple :
Imagine-t-on des assemblées de citoyens décidant de mettre en route un chantier EPR destiné à engloutir 10 milliards d’euros avant d’avoir produit le moindre kilowattheure et qui pourrait contaminer une partie de l’Europe pour des millénaires ? Une assemblée de village acceptant d’enfouir des tonnes de déchets radioactifs à 500 mètres de profondeur, au risque d’une catastrophe majeure et d’une pollution durable des sols et nappes phréatiques ? Une assemblée de quartier choisissant de financer la reconstruction d’un incinérateur à hauteur de 2 milliards d’euros plutôt que d’organiser des filières de recyclage, notamment des biodéchets ? Un regroupement de paysans décidant de construire un aéroport inutile en bousillant des terres agricoles et un réservoir de biodiversité ? Des AG de salariés acceptant l’idée de travailler plus en gagnant moins et dans des conditions dégradées ? Ou de renoncer au droit au repos au bout de quarante ans de travail ?
Le monde de ces gens-là, leur monde, ce n’est plus le mien. Leur monde est malade, leurs élections une pantalonnade. Droite et gauche, ça n’a plus aucun sens. Ils font des « primaires », ben tiens, c’est parce qu’ils s’imaginent que c’est ce que nous sommes, nous, les « électeurs-consommateurs » : des primaires. Pour faire encore plus comme les amerlocains, manque plus que les majorettes et les confettis pour que le cirque soit complet. On a déjà les drapeaux tricolores, y compris « à gauche ». Ces gens occupent le terrain médiatique à longueur de temps, et une fois tous les cinq ans, ils s’aperçoivent qu’on est là, soudain ils découvrent combien ils nous aiment et nous font des promesses qu’ils ne tiennent jamais, tout en sachant pertinemment qu’ils ne les tiendront pas.
Parce que les nouveaux obéiront. Comme les précédents.
Même ceux qui prétendent sans rire qu’on va « aménager » quelque peu le bouzin. Qu’il faut des candidats « citoyens », qu’il faut changer de constitution et tout ça. Comme si le vrai pouvoir de décision n’était pas à Bruxelles dans une Commission non élue. Rappelons nous les propos tenus par le dénommé Jean-Claude Juncker, président de la dite commission :
Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens…
Et circulez, y’a rien à voir, ni à dire.
Comme s’ils n’étaient pas d’anciens socialistes, professionnels de la politique, productivistes devenus écolos par pur opportunisme (ben oui, c’est la mode), européistes, et comme s’ils n’avaient pas un ego qui ne passe pas les portes…
Comme si ces gens faisaient une politique de gauche quand ils sont aux manettes :
Comme ici, contre un inspecteur du travail un peu trop consciencieux.
Ou à Montreuil, contre des familles roms.
Comme si « à gauche », il n’y avait pas comme à droite, un fossé, un précipice, un gouffre, entre les promesses faites et le « pragmatisme » (ben ouais, cette bonne vieille « Tina », elle s’est installée même en Grèce, chez Tsipras, le sauveur du peuple) une fois arrivé au pouvoir. Les belles idées « de gauche », les belles histoires qu’on nous raconte, c’est bel et bon à entendre, ça fait plaisir aux gogos dans les meetings, encore faut-il qu’elles soient appliquées dans la vraie vie. Auprès des pauvres, fussent-ils musulmans et/ou habitants des banlieues. La « révolution par les urnes », quelle vaste blague.
Sans changer fondamentalement le monde, tout ça n’est qu’emplâtre sur une jambe de bois, bricolage et pipeau.
Et surtout, « veauter », c’est se débarrasser à bon compte de nos responsabilités. Compter sur les autres. Croire au chef comme on croit en Dieu, lui filer notre bénédiction pour qu’il puisse tranquillement nous trahir, et ensuite s’en laver les mains pendant cinq ans. C’est confortable, pour ceux qui obtiennent les places, mais aussi pour les feignants. La politique comme une religion, « les premiers seront les derniers » et tout ça … Merci, on a déjà donné. Bien la peine de se gargariser de laïcité, quand finalement ce sont « nos élus » qui remplacent les curés.
Et qu’on ne vienne pas nous dire que nous autres les « plus rien à foutre » (comme certains nous appellent), on fait « le jeu du FN ». C’est justement ceux qu’on nous somme d’élire pour « faire barrage » qui sont responsables. Ceux qui ont créé la misère, cogné et violé nos jeunes, assigné et enfermé les contestataires, ceux qui font des guerres soi-disant humanitaires. Pas les gens déboussolés qui s’imaginent que Marine La Peine (ou Marraine La Pine) va changer leur vie. Pas les gens comme moi qui ont décidé, une bonne fois pour toutes, que la vraie vie, elle était ailleurs.
D’ailleurs, s’abstenir, ça ne veut pas dire nier tout engagement politique. Au contraire. Le but, ce n’est pas seulement refuser de participer au cirque électoral, c’est boycotter tout un système. Ne pas voter est un acte politique.
Ou alors, voter comme ça …
Si on veut vraiment que les choses changent, il faut y aller, mettre les mains dans le cambouis, aller voir les autres, s’engager, nous, et décider, nous. Créer partout des ZAD, des nuits (et des jours) debout, des épiceries tapies dans l’ombre. Dans les villages, les quartiers, les usines. Partout où on aura ensemble des choses à défendre, mais aussi à créer. Hors des partis. Dans la vraie vie. Avec les vrais gens. Nous gouverner nous-mêmes, c’est ça la vraie démocratie.
D’autres l’ont fait avant nous, pendant la Commune de Paris, avec les soviets en Russie en 1905 et 1917, les conseils en Allemagne en 1918, les collectifs en Espagne en 1936 … Certes, ils se sont plantés. Mais les graines ont été semées. Ils nous ont donné des idées… A nous d’inventer aujourd’hui de nouvelles formes d’organisation démocratique.
Et pour ça, il ne suffira pas de changer de « représentants », il faudra tout foutre par terre, redistribuer vraiment les richesses, tuer le capitalisme pour de bon. Et ça ne se fera pas une fois de temps en temps avec un ridicule papelard dans une boîte… Ça se fera dans une lutte quotidienne. Et acharnée.
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