18 mai dernier dans l’émission télé « Touche pas à mon poste », l’animateur Cyril Hanouna s’est distingué par un canular d’une homophobie abjecte. En guise de réaction, pour exprimer notre écoeurement, nous reprenons ce texte parfait publié sur Facebook par Mathieu Magnaudeix.
Brève méditation sur un champion de l’homophobie télévisuelle décomplexée
« Cyril Hanouna » c’est le mec que t’as détesté à l’école ou au collège. Tu l’as haï, le petit con qui t’humiliait à la récré, le décérébré qui riait de toi avec ses potes en te montrant du doigt, le mec au rictus qui t’appelait la « tapette » dès que tu apparaissais dans son champ de vision, le gars qui transformait tes récrés en cauchemar et auquel tu repenses souvent alors que ça fait bien longtemps tout ça.
Tu l’as haï, tu l’as maudit, t’as juré qu’il l’emporterait pas au paradis, et finalement il l’a pas emporté, ce pauvre mec, parce que t’es devenu qui tu es, merde à lui, il aurait bien aimé que tu restes là dans ton coin à pleurnicher, à avoir honte, à le craindre, lui et son petit pouvoir, lui et sa bande, lui et tous ceux qui riaient à ses blagues, mêmes les copains ou les copines que t’aimaient bien et qui étaient obligés de rire avec les autres parce qu’il était puissant au royaume déjà fucked up des courtisans du groupe scolaire.
« Cyril Hanouna », c’est le mec qui un jour t’as fusillé sur place, pas la peine de frapper pour te transpercer, celui qui t’as imité en sautillant, ou bien c’est cette fille au primaire, les filles aussi faisaient ça, qui m’appelait « la schtroumpfette » et tortillait des fesses devant moi pour se moquer juste parce que j’étais un petit garçon pataud et princesse, pédé déjà mais qui le savait pas, la scène de l’humiliation suprême, un matin dans une cour d’école d’une ville de province, un moment de rien qui t’a transpercé le coeur et auquel tu peux pas t’empêcher de penser sans avoir les yeux à nouveau humides, vingt-cinq ans après, vingt-cinq ans après, bon sang, cette scène-là en boucle alors que t’as effacé tant de bonheurs fugaces de ta mémoire.
« Cyril Hanouna », c’est le gars que t’as jamais compris. Pourquoi t’as besoin de faire ça ? Pourquoi t’as besoin d’humilier ton chroniqueur gay ? Pourquoi tu parles tout le temps d’homosexualité, comme si ça t’obsédait, 42 fois en un mois, ça veut dire des centaines et des centaines de fois par an, pourquoi c’est si grave, c’est quoi ton problème ?
Pourquoi tu ne nous laisses pas tranquille ? Tu crois pas que toi et tous les « Cyril Hanouna » du monde vous avez pas assez donné ? Pourquoi, là, maintenant, tu pièges des homos au téléphone pour te rire d’eux devant tout le monde en tortillant du cul, en prenant une voix pincée et traînante, en bougeant le poignet, les truc dont t’a dit que c’était pas des choses de garçon, parce que tu crois que t’es plus viril avec ton humiliation en réunion connard.
C’est pas grave tu vas dire, d’ailleurs tous tes fans disent « c’est juste pour rigoler », « on peut plus rien dire », « vous êtes relous, c’est pas de l’homophobie », « et l’hétérophobie vous y avez pensé un peu ? ». Tu vas même inviter un pédé, le Refuge ou je sais pas qui pour te faire pinkwasher « oui bon c’était limite mais bon on a bien ri », le truc typique des pervers absolus, « je t’humilie et je t’aime », et puis séquence suivante, tiens après les pédales on va humilier la meuf maintenant, elle est vraiment trop conne celle-là avec son décolleté et ses remarques débiles.
Tu te rends pas compte de la violence symbolique que tu produis. Tu te rends pas compte que des centaines, des milliers de gamins qui regardent ton émission, tu leur colles la honte d’eux-mêmes. Tu te rends pas compte que tes méthodes, c’est les mêmes que celles de ces mecs au lycée qui écrivent ton nom sur les murs avec « sale pédé » à côté. Les mêmes que les casseurs de pédé qui les traquent sur Internet avant de leur péter la gueule à coup de batte, à Paris ou à Grozny.
« Cyril Hanouna », je te renvoie ta merde dans la gueule pour pas qu’elle me salisse, même pour pas qu’elle m’effleure.
Lave-toi maintenant.
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Un article de Politis qui montre le dessous hypocrite du décor médiatique
Cyril Hanouna, une chaîne de responsabilités
La polémique autour de l’émission « Touche pas à mon poste », sur C8, et de son canular homophobe ne cesse d’enfler. Non sans une certaine hypocrisie à tous les étages.
C’est une histoire de feinte, de faux-semblant et de fourberie générale, de l’animateur à la chaîne et des sponsors au CSA, qui débute comme ça : un canular, le 18 mai, sur C8, dans l’émission « Touche pas à mon poste » (« TPMP »). Après avoir émis une annonce sur le site de rencontres VivaStreet, Cyril Hanouna prend au téléphone quelques hommes et une femme (qui ignorent alors que la séquence est télévisée, donnant leur nom, parfois leur profession – sans que leur voix ne soit modifiée). Se présentant comme « Jean-José », bisexuel qui aime qu’on « l’insulte », Hanouna prend une voix efféminée caricaturale et tient des propos sexuels très crus avant d’avouer à ses interlocuteurs qu’ils sont piégés en direct ou de leur raccrocher au nez en pouffant. De longues séquences ouvertement homophobes.
Le lendemain matin, le Conseil supérieur de l’audio-visuel (CSA) reçoit plusieurs dizaines de plaintes. Le buzz est lancé, relayé par les réseaux sociaux. Le 20 mai, le CSA enregistre 20 000 plaintes ; plus de 25 000 le 24 mai (record battu au regard des 36 000 plaintes sur toute l’année 2016 et sur l’ensemble des programmes télé). Le CSA est vite dépassé. L’Association des journalistes LGBT (AJL) dénonce un « piège inacceptable », soulignant que, « parmi les rires, les blagues et les applaudissements, ces remarques peuvent parfois passer inaperçues. Mais les télé-spectateurs-trices LGBT les entendent. L’air de rien, elles dessinent surtout dans l’esprit du public ce qu’il est possible de faire chez soi, avec ses ami(e)s, au travail, au lycée : se moquer des personnes LGBT pour ce qu’elles sont, les transformer en animaux de foire sous couvert d’humour, les accepter (un peu) pour les humilier (beaucoup). »
D’abord goguenard devant la colère et l’indignation générales, Cyril Hanouna se justifie le lendemain : « On peut dire que ce n’était pas drôle, ou pas approprié, mais dire que je suis homophobe, ça, je ne peux pas l’entendre. » Cinq jours plus tard, dans une lettre d’excuse publiée sur le site de Libé, peu avare d’hypocrisie, il se dit « bouleversé ». Autour de lui, on clame le très pratique « droit à la caricature ». Idem pour le droit à l’humiliation publique ?
« TPMP » possède une mécanique bien rodée. Spectaculariser, inciter au dérapage et observer le buzz. « Hanouna fonctionne en deux temps, relève François Jost [^1], professeur à la Sorbonne et spécialiste des médias. Dans le premier, il stigmatise, il persécute ; dans le second, il explique que ses gestes ne correspondent pas à ses pensées. D’un côté, un sketch homophobe ; de l’autre, une protestation pour dire qu’il n’est surtout pas homophobe. On pense un peu au protocole de la torture où deux personnes agissent : le sadique brutal, puis le plus doux qui est chargé de faire avouer. Hanouna commet des actes brutaux, puis il pense qu’en appelant les persécutés “ma beauté” ou “mes chéris”, tout est réparé. »
Si l’on s’offusque maintenant, en fin de compte, c’est quoi, « TPMP » ? Une émission contre laquelle le CSA a déjà engagé deux procédures de sanction. Une émission qui juge l’actu de la télé et ce qui fait le buzz autour d’elle. Qui, sous couvert de rigolades, produit de la violence chaque jour, une curée cathodique bien grasse. Une émission où les chroniqueurs, harangués par Hanouna (telle une petite frappe encourageant ou terrorisant ses camarades dans une cour de récré), rivalisent de vulgarité. Un programme voyeuriste qui reprend certains codes de la télé-réalité : on juge, on se met en compétition, sous pression, on glousse dans la surenchère, on moque, dénigre et ridiculise les plus faibles. Il y a là quelque chose qui ressemble au monde de l’entreprise, où la violence des rapports sociaux s’exprime sans complexe. Si on n’élimine pas (quoique), on pratique l’humiliation au quotidien, versant aisément dans le sadisme.
L’émission se délecte ainsi de voir Hanouna glisser des nouilles dans le slip de Matthieu Delormeau, chroniqueur souffre-douleur, consentant habituel, ou de voir Jean-Michel Maire embrasser une jeune femme (pour le coup, sans son consentement) et on s’esclaffe quand Hanouna fait toucher son entrejambe par une autre chroniqueuse, Capucine Anav, yeux bandés. Il faut croire que ça plaît puisque l’émission rassemble chaque soir près d’1,5 million de téléspectateurs et un peu plus ces derniers jours, principalement dans la tranche des 15/34 ans. Un public sans doute satisfait et consolé de voir sur le petit écran à 19 heures ce qu’il a vécu dans la journée. « Hanouna a surtout très bien compris une certaine psychologie adolescente, qui tire son plaisir de l’humiliation de ses camarades, par exemple en faisant circuler des images dégradantes sur les smartphones. Son émission est là pour la flatter », observe François Jost. C’est cette forte audience qui encourage l’animateur à aller toujours plus loin, avec la bénédiction de la chaîne.
Aujourd’hui, tout le monde tombe des nues. Pourtant, en décembre dernier, l’AJL recensait dans « TPMP » 42 occurrences sur l’homosexualité pour le seul mois précédent, « souvent pour en rire de manière rabaissante ». Le même mois, David Perrotin, journaliste à BuzzFeed, énumérait dans un long article les exemples relevant de cette homophobie ordinaire à l’antenne (comme les blagues sexistes et anti-asiatiques), après avoir regardé une vingtaine d’émissions, entre le 29 septembre et le 9 décembre.
Le 23 mai, contraint de s’exprimer, mais sans marge de manœuvre, le CSA annonce engager une troisième procédure de sanction et informe que le dossier est entre les mains d’un rapporteur indépendant (la sanction peut être une amende – jusqu’à 320 000 euros – ou la suspension de l’émission). Prévenu depuis l’automne 2016, pourquoi n’est-il pas intervenu plus tôt ? In fine, le CSA botte en touche. À la tête de C8, Franck Appietto estime « qu’on essaye de fragiliser l’émission d’access en accusant Cyril Hanouna d’homophobie » et promet hypocritement de diffuser sur les antennes du groupe un message pour lutter contre l’homophobie.
L’indignation a pris un autre tour quand plusieurs marques, nourrissant l’émission de leurs pubs, ont déclaré se retirer, avec un même mot d’ordre : « Conformément aux valeurs du groupe, nous suspendons nos investissements publicitaires sur ce créneau horaire. » C’est le cas d’Orange, de Petit Navire, Bosch, Chanel, PMU, Flunch… Au total, une cinquantaine d’annonceurs (sur près de 70). Pour noyer le poisson et éviter de stigmatiser les marques, la chaîne n’a diffusé aucune pub au cours de cette seconde semaine de polémique. Entre 25 000 et 30 000 euros le spot, ça commence à faire cher. C’est, dit-on, ce qui peut inciter la chaîne à prendre des sanctions. On en doute. Tête de gondole de la chaîne, Hanouna rapporte 50 % de la pub pour l’ensemble de C8. Les marques se découvrent donc des valeurs, comme l’opinion publique… Mais diable ! Que n’ont-ils, ces annonceurs, retiré plus tôt leurs spots publicitaires ? Au reste, il est seulement question de suspension. Gageons que, le soufflé retombé, ils reviendront hypocritement à l’antenne. Parce que l’audience l’emporte toujours.
« TPMP » aura ainsi atteint son but : faire le buzz du buzz, jusqu’à attirer la curiosité d’un public qui l’ignorait jusque-là. C’est la suprême hypocrisie de cette polémique.
[^1] Dernier ouvrage paru : Le Récit cinématographique. Films et séries télévisées__, avec André Gaudreault, éd. Armand Colin.