L’écologie post mai 68, celle de René Dumont ou de Pierre Fournier, est un projet politique à part entière, au sens où elle définit un type d’organisations sociales, basées sur une critique radicale du productivisme.
Cette vision de l’écologie est donc fondamentalement antithétique du capitalisme et ne peut donc pas sérieusement être saupoudrée dans les programmes de gouvernement de nos sociétés, à fortiori quand elles sont devenues ultralibérales et globalisées. Quel serait par exemple le sens d’interdire un pesticide sans remettre en cause l’agriculture industrielle ? Ou quel serait le sens d’interdire le diesel et de construire de nouvelles autoroutes ? Or la recherche de profits optimum conduit immanquablement à l’agriculture industrielle, ou à la construction d’autoroutes. Le projet de l’écologie radicale vise à permettre une vie décente, où les hommes se réapproprient leur territoire, en partagent équitablement les ressources sans le dégrader, et en préservent la biodiversité, ce qui suppose un mode politique où les décisions sont réellement prises par les habitants concernés.
Dans ces conditions, pour les écologistes, entrer dans un gouvernement libéral équivaut à amoindrir la perspective de bifurcation de notre société que portaient les pionniers de l’écologie radicale, brouillant ainsi la non-compatibilité entre ces deux visions du monde.
Qu’ils aient voulu porter sincèrement la voie de l’écologie ou qu’ils aient cédé à des tentations carriéristes, leur présence a servi ou sert de caution aux gouvernements pour faire passer le développement durable ou le capitalisme vert comme de réelles avancées quand ils ne sont que des leurres pour masquer leur avidité financière : taxes carbone…
C’est ainsi que les ministres écologistes se sont succédé, que pas une centrale nucléaire n’a été arrêtée, que les grands projets inutiles se sont multipliés… et que les couleuvres ont été avalées. Pire, la soupe est bonne et quelques-uns tâchent de préserver de futurs postes : comment expliquer autrement que des écologistes aient signé la prolongation de l’état d’urgence alors qu’il fallait se mobiliser contre la COP21 ?
S’insurger contre l’emballement technologique, s’attacher à un progrès au service de l’humain et dénoncer les conséquences ravageuses de nos modes de vie -responsables de la situation des pays pauvre, de la prédation des ressources et des montagnes de déchets qui s’accumulent …- devraient être un combat constant des écologistes. Mais beaucoup sont maintenant séduits par une vision techno-scientiste du progrès, ce qui remet profondément en cause leur indépendance au système.
Dans les hauts de France, EELV s’est fourvoyé dans la troisième révolution industrielle, la révolution numérique portée par Rifkin. Quant à la robotisation, « Le principe de précaution doit guider l’encadrement de la robotique et accompagner son essor », lit-on sur le site des verts au parlement européen : plus aucune trace d’opposition à la hight-tech mais un accompagnement du développement technologique le plus pervers !
La multiplication des crises -sociales, environnementales, démocratiques, culturelles…- place l’humanité dans une situation qui relève de l’urgence vitale de façon inédite.
Pour contrer ce système qui avale les utopies et broie les hommes, nous avons à construire un projet cohérent, un projet de rupture claire avec le capitalisme et le productivisme.
Mais le temps court des campagnes ne peut pas être le temps d’explicitation du projet écologiste ; à la fois parce qu’il nécessite le temps long de la discussion et parce que les médias pressent les candidats de disserter sur le retour à la croissance. Nos préoccupations -relocalisation, réduction drastique du temps de travail, préservation des écosystèmes ou convivialité- ne sont pas dans leur logiciel, ces arguments ne sont pas de la même nature que leurs promesses électorales. La pseudo-démocratie représentative est là pour garantir les intérêts des plus puissants. Il est donc vain de se tourner vers cette mascarade électorale. Construisons.
Avec qui ? Avec tous ceux pour qui la sortie du système capitaliste est une condition préalable à toute autre perspective : aussi bien les zadistes qui de fait, ont des pratiques décroissantes, qu’avec les porteurs d’alternatives réellement en opposition avec le système, ceux qui luttent pour se réapproprier le contrôle de leur vie et expérimenter d’autres modes politiques ; avec tous ceux qui sont engagés dans des luttes « anti-autoritaires », dans des luttes territoriales ou dans les luttes sociales, avec les décroissants, bien sûr. Bref, ça fait du monde !
Tous ensemble, faire grandir la convivialité la complicité et la solidarité, première marche d’un projet enthousiasmant.
Nous pourrons alors mettre en synergie toutes les alternatives concrètes pour peu qu’elles dessinent réellement une autre perspective (AMAP, coopératives d’énergies, réappropriation des savoirs, expérimentation de nouveaux modes de décision…).
Participer aux luttes sociales pour clarifier l’impasse du capitalisme et les rapports de domination. Participer aux luttes territoriales parce qu’elles rendent opportunes le débat, élargissent les questionnements aux apports de l’écologie radicale.
Ce qu’il reste à préserver de nos territoires exige toute notre détermination tant les enjeux sont cruciaux pour l’avenir. Toutes ces luttes sont autant de pas vers la réappropriation de nos territoires, de nos vies ; elles impulsent une culture commune.