Deux articles de la confédération paysanne :
1- Contre l’industrialisation de l’agriculture
2- Développement local participatif
Contre l’industrialisation de l’agriculture : un combat fondateur
Des aliments à la chaîne, des animaux « machines », des paysans ouvriers spécialisés… Autant de dérives de l’agriculture industrielle âprement combattues par la Confédération paysanne depuis trente ans.
La ferme-usine est le symbole d’une dérive lourde de la course au productivisme. Celle des 1000 vaches dans la Somme est longtemps apparue comme une exception, issue de la volonté farouche d’un entrepreneur local de « moderniser » l’agriculture. Mais en février 2015, à l’occasion du Salon de l’Agriculture, la Confédération paysanne publie une carte des fermes-usines dans l’Hexagone. On y découvre un élevage de 250 000 poules pondeuses dans la Somme et de 125 000 poulets dans le Vaucluse, un centre d’engraissement de 2000 taurillons dans l’Aube, une maternité industrielle de 900 truies pour 23 000 porcelets par an dans les Côtes d’Armor, 3 000 brebis laitières dans les Pyrénées-Atlantiques…
Ce modèle n’est pas nouveau. Depuis trois décennies, des fermes-usines sont régulièrement apparues avant d’être mises en échec par les mobilisations locales dont la Confédération paysanne a été partie prenante. Parmi les cas emblématiques, celui de l’industriel allemand Pohlmann voulant installer fin 1991 à Fère-Champenoise (Marne), 5,6 millions de poules pondeuses… soit 14 % de la production française d’oeufs ! « Les premières réactions étaient plutôt favorables, les élus locaux mettant en avant les créations d’emplois – 350 annoncés – et les délégués Fdsea l’écoulement des céréales et la fumure bon marché des fientes », se remémorent Alain Basson, paysan dans la Marne, et Laurent Cartier, paysan en Haute-Marne.
Les liens tissés au sein de la Coordination paysanne européenne (1) avec son homologue allemand AbL permettent aux militants de la Conf’ d’en savoir plus sur les élevages de cet industriel : sur-concentration, forte mortalité des animaux, pollutions, conditions de travail déplorables pour les employés, nuisances pour les riverains. Suite à la projection en février 1992 d’un documentaire sur ces réalités, un comité d’opposition au projet Pohlmann se crée et lance une pétition. En mai 1993, la Confédération paysanne organise une marche baptisée « Pohlmann-Bruxelles » dans le but d’interpeller la Commission européenne pour aller vers une limitation de la taille des ateliers. Le maintien de la pression incite le Parlement français à proroger de trois ans, le 11 juin 1993, la validité de la loi sur la taille des élevages avicoles. Dans la foulée, le préfet de la Marne oppose le 21 juin un refus au projet de Pohlmann qui jette l’éponge en France. La victoire est là, récompensant la mobilisation.
L’élevage n’est pas la seule filière concernée par les mégafermes. Rappelons l’affaire Comte, dans les Bouches-du-Rhône. En 1999, cette société compte 1700 ha de vergers, dont 1000 ha de pêches industrielles situés autour de Saint-Martin-de-Crau. La Confédération paysanne manifeste sur ces terres, avec des slogans comme « Trois cents fermes valent mieux qu’une grande », ou encore « Trop d’arbres à noyaux attirent les pépins ». A l’automne 2005, les sociétés de Comte sont placées en redressement judiciaire. Un an plus tard, le patron des « forçats de la Crau » est relaxé par le tribunal de Tarascon, mais il doit abandonner ses 1000 ha de pêches. « L’affaire Comte est désormais une vieille histoire. Mais il existe toujours dans dans le département des agromanagers avec des centaines, voire des milliers d’hectares, qui profitent de la bienveillance et de l’admiration d’une partie des pouvoirs publics et juridiques », souligne Peter Gerber, paysan dans les Bouches-du-Rhône.
Aujourd’hui, les fermes-usines demeurent la partie émergée d’un énorme iceberg. Quotidiennement, les paysannes et les paysans sont poussés par la profession agricole, les banques et les politiques vers l’agrandissement, la modernisation à outrance et la déconnexion de leur métier, accentuant leurs difficultés. Pourtant, les solutions existent avec l’agriculture paysanne, autonome, relocalisée, respectueuse de ses travailleurs. C’est pour eux, avec le soutien d’une large majorité de la société, que la Confédération paysanne poursuit son combat.
Campagnes solidaires ; juin 2017
(1) La CPE, précurseur de l’actuelle Coordination européenne Via campesina (ECVC).
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Développement local participatif contre bétonisation
Dans l’agglomération d’Annemasse, près de Genève, un collectif réunissant paysans et non-paysans se bat contre l’artificialisation de 20 hectares de terres agricoles et propose un projet alimentaire à l’échelle du territoire.
La région d’Annemasse, au nord de la Haute-Savoie, est frontalière avec la Suisse et l’agglomération de Genève. Cette proximité a considérablement transformé la région. Agricole, de montagne, elle est devenue l’une des plus dynamiques de France sur le plan de l’emploi et attire chaque année des milliers de personnes.
La pression, tant pour la construction de logements, que de commerces ou d’infrastructures de transport, y est énorme.
Au milieu de cette fourmilière, vingt hectares, actuellement exploités par trois éleveurs laitiers, pourraient être transformés en vaste zone artisanale. Le projet, dit « Borly II », estimé à 14,8 millions d’euros, est déjà bien avancé d’un point de vue administratif (1).
Ce tènement est constitué d’anciens communaux autrefois gérés par les paysans de la commune. En profitant du délitement du tissu agricole, la collectivité a progressivement élargi ses acquisitions pour divers projet :celui d’une autoroute, abandonné grâce à une forte mobilisation citoyenne dans les années 90, puis celui d’un hôpital, finalement implanté à quelques kilomètres. Depuis plus de 20 ans, la majorité des élus considère cette zone, qui a déjà nourri 200 générations de ses habitants, comme une simple réserve foncière « libre » .
Mais voilà : depuis cinq ans, un petit groupe a commencé à mettre son grain de sable dans les rouages. Au début, il s’agissait d’actions de contestation, avec notamment l’occupation de la Maison de l’Economie et du Développement qui organise la « production de foncier» (2) sur notre territoire. Depuis un an, le Collectif Alimentaire pour un Borly Autrement (Caba) réunit des agriculteurs et des citoyens (3) et prépare contre-offensive et propositions. Il n’entend pas laisser bétonner ces terres sans agir.
Le constat est ici édifiant: 25% de fermes en moins en 10 ans et une moyenne d’âge des paysans de 50 ans (un tiers ont plus de 55 ans).
Notre territoire recèle pourtant des atouts pour l’agriculture : plus de 85 000 habitants à portée de main, des filières sous signes de qualité (AOC reblochon, AOC abondance), des projets de restauration collective en demande de produits locaux, un réseau d’Amaps dynamique… Mais celles et ceux qui veulent s’installer comme paysan·ne se heurtent au coût du foncier qui atteint des sommets dans cette zone frontalière avec la Suisse. Depuis 2009, sur 17 demandes d’installation pour un projet agricole auprès de la chambre d’agriculture, seules quatre ont abouti.
Mettre en place une véritable politique alimentaire territoriale est le principal enjeu pour les années à venir. L’agriculture ne peut plus être la variable d’ajustement d’un développement urbain sans commune mesure. Qui va nourrir toutes les habitantes et tous les habitants du territoire ?
Malgré ce qu’essayent de nous faire dire les élus, ce n’est pas un match artisans contre paysans. Les artisans sont les bienvenus, ils ont le droit de poursuivre voire développer leur activité mais ailleurs que sur des terres agricoles de moins en moins nombreuses. Il est temps que l’agglomération arrête de faire le choix de la facilité et mette les mains dans le cambouis pour réhabiliter les nombreux espaces en friche existants ailleurs sur le territoire, et cela quel qu’en soit le prix.
Il est urgent d’arrêter de détruire les terres qui nous nourrissent.
Ces derniers mois, le collectif Caba a développé un scénario alternatif à cette bétonisation. Il propose la création d’un « pôle agricole et alimentaire de proximité » constitué de productrices et de producteurs dont le regroupement permettra de proposer, en circuits courts ou longs, une offre alimentaire diversifiée en agriculture biologique.
Dans notre projet alternatif, le collectif propose de maintenir la culture de céréales pour les fermes laitières des environs, puis de développer du maraîchage, de l’arboriculture et des petits élevages. A terme, ces vingt hectares pourraient aussi devenir un lieu de sensibilisation à l’agriculture, à l’alimentation, et à la santé environnementale.
Une réunion publique s’est déroulée le 7 avril pour présenter plus en détail le projet du collectif. 90 personnes ont fait le déplacement. RDV a été pris avec les élus de l’agglomération. Une réunion d’élargissement du collectif est d’ores et déjà prévue le 2 mai.
On ne lâchera rien !
Campagnes solidaires ; juin 2017
Voir les documents et les projets détaillés :
https://alternativeborly.wordpress.com/
(1) La zone est inscrite dans le Scot de l’Agglomération d’Annemasse et le plan local d’urbanisme de la commune de Cranves-Sales. Il serait financé par une participation d’Annemasse Agglo, des subventions et participations versées par des collectivités tierces et des recettes de commercialisation de charges foncières.
(2) Dans le jargon des instances de l’urbanisme, « produire du foncier » consiste à le bétonner
(3) La Conf, l’ADDEAR74, ODAMAP (les AMAPs d’Annemasse), des citoyens etc etc