Antisionisme = antisémitisme ?

Une erreur historique, une faute politique

« Nous ne céderons rien à l’antisionisme car il est la forme réinventée de l’antisémitisme. » Cette phrase finale est venue gâcher le discours salutaire d’Emmanuel Macron lors de la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv, devant Benyamin Netanyahou.

Pour être clair :

– être antisioniste, c’est être hostile à l’existence ou à l’extension de l’État d’Israël

– être antisémite, c’est être hostile aux juifs

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La présence inédite et scandaleuse du Premier ministre le plus belliciste de l’histoire d’Israël à cette cérémonie n’est sans doute pas pour rien dans la faute politique commise par le nouveau président. Car celle-ci résulte d’un alignement sur son hôte, incroyablement qualifié de « cher Bibi » – celui-ci l’a-t-il appelé « Manu » ? – et par la même occasion sur le Conseil représentatif de institutions juives de France (CRIF).

L’histoire du conflit central du Proche-Orient – faut-il le rappeler à Emmanuel Macron ? – ne commence pas le 14 mai 1948, lorsque naît l’État d’Israël. C’est en 1897 que l’Organisation sioniste voit le jour, avec pour but la création d’un Foyer national juif en Palestine. Entériné par la déclaration Balfour en 1917, puis par le mandat que la Société des Nations confie au Royaume-Uni en 1922, cet objectif ne rallie pas la majorité des Juifs, loin de là : l’immense majorité y est hostile, communistes et bundistes, mais aussi religieux. Antisionistes, tous ces Juifs étaient-ils antisémites ?

Bien sûr que non ! A vrai dire, le sionisme est une idéologie parmi d’autres. Imagine-t-on les communistes interdire la critique du communisme ? Les gaullistes interdire la critique du gaullisme ? C’est pourtant la prétention des tenants les plus extrémistes du sionisme. Présenter l’antisionisme comme une forme d’antisémitisme reviendrait à leur donner raison.

Il faudra la Seconde Guerre mondiale et le génocide nazi pour que des millions de Juifs – et d’abord les survivants refusés par les États-Unis – gagnent la Palestine, puis l’État d’Israël créé le 14 mai 1948. Mais, ne l’oublions pas, le second État prévu par les Nations unies disparaît, et les quatre cinquièmes des Palestiniens qui y vivaient seront expulsés. Dix-neuf ans plus tard, Israël s’empare du reste de la Palestine : Jérusalem-Est, qu’il annexe, et la Cisjordanie ainsi que la bande de Gaza qu’il occupe et colonise. Cinquante ans après, en 2017, plus de 700 000 colons ont fait leur les territoires occupés, empêchant la naissance de l’État de Palestine pourtant admis aux Nations unies.

Entre-temps, 45 % des Juifs du monde – 6 millions sur près de 14 millions – vivent en Israël. À supposer que les statistiques israéliennes soient fiables. Or, selon les démographes, plusieurs centaines de milliers de citoyens recensés par les autorités d’Israël n’y résident plus. Bref, la majorité des Juifs n’a pas éprouvé le désir de s’installer dans l’« État juif ». Autrement dit, ils ne sont pas suffisamment sionistes – à moins de s’en tenir à la définition qui veut qu’un bon sioniste est celui qui envoie ses amis en Israël, mais reste en France… Et si, dans l’opinion israélienne, la droite et l’extrême droite comptent sur un large soutien, il n’en va pas de même à l’étranger : un grand nombre de Juifs n’appuient pas leur politique anti-palestinienne – ils réprouvent, en particulier, la colonisation.  

(Ajoutons que, sur les milliers de Français qui, ces dernières années, ont réagi aux violences antisémites en faisant leur « aliya », un tiers, voire la moitié, sont revenus[i]. Leur sionisme n’a pas résisté à la difficulté de la vie dans le meilleur élève de la classe néo-libérale, avec son cortège de pauvreté, de précarité et d’inégalités, mais aussi l’atmosphère étouffante d’un conflit omniprésent au quotidien…)

Indéfendable historiquement comme idéologiquement, l’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme constitue surtout une faute grave : elle permet en effet à la droite et à l’extrême droite israéliennes de tenter d’étouffer la voix de tous leurs opposants, à l’intérieur comme à l’extérieur. Et ce « cadeau » arrive à point nommé, alors que la violation permanente du droit international et des droits humains a isolé Israël comme jamais au sein de la communauté internationale. Marginalisé diplomatiquement, le gouvernement Netanyahou s’inquiète en outre de l’hostilité de l’opinion, avec notamment la montée de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions – je pense au BDS militant, mais aussi au BDS institutionnel, qui voit de puissants fonds de pension, de grandes entreprises et de grosses banques se retirer des territoires occupés, voire d’Israël. On imagine sans mal comment les autorités israéliennes utiliseront la petite phrase d’Emmanuel Macron pour criminaliser les pressions internationales qui s’exercent sur elles.

Il y a de la schizophrénie dans la démarche de notre nouveau président. Il prétend relancer la négociation et, condamnant la colonisation, se fixe pour objectif la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël, les deux États ayant leur capitale à Jérusalem. Mais la diplomatie française ne saurait l’ignorer : des tractations israélo-palestiniennes ne sauraient suffire seules pour atteindre cet objectif. Même François Hollande, malgré son « chant d’amour pour Israël et pour ses dirigeants », l’avait compris, en acceptant le projet de conférence internationale proposé, en son temps, par Laurent Fabius. Si Emmanuel Macron veut vraiment contribuer à une paix juste et durable, il faut qu’il accepte le principe de sanctions contre Israël, dès lors que celui-ci refusera de se plier au droit international. Commencer par museler l’opinion en présentant la critique d’Israël comme antisémite n’est pas un bon début.

Blogs.mediapart.fr

[i] Il n’existe pas de statistiques officielles.

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Pourquoi les propos de Macron sur l’anti-sionisme et l’invitation de Netanyahou relèvent de l’indécence

Un article paru sur agencemediapalestine.fr/blog

extraits

Ci-dessous, quelques éléments en 6 points suite aux propos mensongers d’Emmanuel Macron sur l’anti-sionisme et revenant sur la participation le 16 juillet dernier de Netanyahou à la 75ème commémoration de la rafle du Vel d’Hiv.

1) L’anti-sionisme est une opinion politique, l’antisémitisme est un racisme que nous combattons

L’anti-sionisme est l’opposition idéologique à un mouvement politique, le sionisme qui historiquement prônait la création d’un foyer national juif en Palestine, défendant l’idée que les Juifs ne seraient en sécurité que s’ils créent leur propre Etat, alors que l’anti-sémitisme procède de la haine de tou-te-s les Juives et Juifs, c’est un racisme que nous combattons et un délit puni par la loi.

Tou-te-s celles et ceux qui propagent cet amalgame scandaleux se font donc directement les relais de la propagande du gouvernement israélien.

2) L’idéologie sioniste a toujours été fortement rejetée par de très nombreux Juifs

Dans leur très grande majorité, les Juives et Juifs n’adhèrent pas au projet théorisé par Théodore Herzl dès 1896. Jusqu’avant la seconde guerre mondiale, ils n’envisagent pas de quitter le pays où ils vivent, et seule une infime minorité souhaite gagner la Palestine.

C’est après la Shoah qu’intervient la création de l’Etat d’Israël, ce qui permet à l’Europe de se défausser, les survivant-e-s craignant de revenir dans leur pays d’origine.

Ces Juives et Juifs, qu’ils soient orthodoxes ou non, communistes, bundistes, étaient totalement réfractaires au projet sioniste.

C’est là toute l’obscénité de cette confusion volontaire.

Force est de constater par ailleurs qu’aujourd’hui c’est en Israël que les Juifs sont le moins en sécurité, sans parler des répercussions négatives de la politique israélienne sur les Juifs vivant partout ailleurs.

3) Pourquoi inviter Netanyahou est scandaleux

Comme l’a rappelé l’Union Juive Française Pour la Paix, les Juifs français ne sont pas des citoyens à part, et Netanyahou n’est pas leur représentant, voir leur communiqué :

http://ujfp.org/spip.php?article5732

Ainsi donc, convier ce dirigeant du régime israélien d’extrême droite à commémorer une tragédie française est une faute politique, un scandale moral.

Par ailleurs, rappelons que celui qu’Emmanuel Macron n’a pas hésité à gratifier d’un familier « cher Bibi », dans un contexte dont la gravité ne s’y prêtait absolument pas, a tenu il y a moins de deux ans des propos révisionnistes, selon lesquels comme le rapporte cet article de l’Express, « Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs » :

http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/israel-netanyahou-accuse-un-religieux-palestinien-d-avoir-fomente-l-holocauste_1727907.html#QlfdQrCdjUxrvjbK.01

4) Emmanuel Macron, sur les pas de Manuel Valls ?

Emmanuel Macron, qui promettait d’en finir avec les vieilles pratiques, démontre qu’il n’en est rien.

Au dela de la médiocrité intellectuelle de cet amalgame tant ressassé « anti-sionisme = antisémitisme », le nouveau président ne fait que suivre les déclarations précédentes de Manuel Valls, à tel point que le journaliste Nicolas Ropert écrit dans un tweet : « C’est Manuel Valls qui écrit les discours de Macron maintenant? »:

C’est Manuel Valls qui écrit les discours de Macron maintenant? https://t.co/IQ2Cis0qKU

Nicolas Ropert (@n_ropert) July 16, 2017

5) Nous ne céderons rien à la critique légitime du régime israélien d’apartheid

Le sionisme est lié à l’impérialisme, à la colonisation, à l’occupation, en violation des droits humains des Palestiniens et des règles du droit international.

Le mouvement de solidarité avec la Palestine quant à lui ne cédera rien sur sa dénonciation du régime israélien d’apartheid, et des violations constantes du droit international.

Il ne cédera rien non plus à tout ceux qui veulent, d’une manière ou d’une autre criminaliser la solidarité avec le peuple palestinien.

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Le problème s’est déjà posé avec Manuel Valls en 2016

https://blogs.mediapart.fr/bernard-ravenel/blog/050216/peut-etre-antisioniste-sans-etre-antisemite

Extrait

Il s’agit d’abord de refuser d’identifier judaïsme et Etat d’Israël, identification voulue à la fois par les ennemis réels des juifs ( les antisémites de tous bords) et aussi par l’actuel establishement israélien et ses antennes dans la diaspora, en particulier le CRIF. Israël constitue certes une partie importante du judaïsme, un symbole, une référence, mais ne représente pas la totalité des juifs, loin s’en faut : un juif sur quatre environ vit en Israël. Si on ne fait pas cette distinction et si, de plus, on ne différencie pas Etat d’Israël et gouvernement israélien, on est alors l’objet d’un chantage qui s’adresse à tous et qui atteint les juifs de gauche, les partisans de la paix et tous ceux qui soutiennent les droits du peuple palestinien.Un chantage qui tend à présenter toute critique de la politique israélienne – c’est-à-dire d’un pouvoir élu par une partie de la population juive d’Israël – comme une opération potentielle ou réelle d’antisémitisme (c’est-à-dire comme attaque contre tous les juifs en tant que tels, c’est-à-dire comme propos raciste). On assiste à la tentative continue de constitution d’un bloc monolithique juif et international pour soutenir la politique d’un groupe de juifs (de droite et d’extrême droite). Il s’agit d’imposer l’image d’un bloc représentant tous les juifs d’Israël et de la diaspora. Ceux qui ne sont pas d’accord doivent être délégitimés et bientôt amalgamés avec l’antisionisme et avec l’antisémitisme. On le voit aujourd’hui avec la façon dont la droite nationaliste mène une campagne d’incitation à la haine contre l’association d’anciens conscrits de l’armée israélienne, Rompre le silence – qui dénonce les pratiques de l’armée en Palestine – ou contre B’Tselem, tous accusés d’être des agents stipendiés par l’étranger.

L’enjeu relève de cette même logique totalisante qui vise à faire taire toute critique, à commencer par celle des antisionistes amalgamée d’office à celle des antisémites.