Eleveuse de vaches charolaises en Bourgogne, Emilie Jeannin porte un projet d’abattage mobile à la ferme qui sera opérationnel dès cet été, sur un modèle déjà en place en Suède et en Finlande. Une première en France.
C’est avec un peu d’appréhension que je roule du côté de Pouilly-en-Auxois. J’ai déjà croisé Emilie Jeannin lors de réunions de la Confédération paysanne de Côte-d’Or : rieuse, pleine de dynamisme, mais propriétaire d’une ferme de 230 ha et d’environ 200 vaches, bref pas trop le profil « Conf’ » habituel.
J’arrive à la ferme de Lignières et Emilie me rejoint, accompagnée par le chien Google, border coolie, son « associé toujours connecté ». Ils viennent de déplacer un troupeau.
Plusieurs beaux bâtiments de ferme ont été retapés par la famille : le frère et la sœur d’Emilie, leurs conjoints, enfants… Sur l’arrière, une roulotte en bois construite par « JB » dont c’est le métier et à qui Emilie prête des granges. Une sorte de communauté de trentenaires où chacun garde son indépendance.
5 questions me titillent.
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Emilie, comment as-tu été sollicitée récemment par tant de médias (Bourgogne magazine, le Bien Public, France Inter, France3, Libération, les journaux paysans….) ?
E- Pratiquant la vente directe, j’ai voulu me faire connaître et gagner du temps en créant un site Internet et une page Facebook. J’ai participé aux journées gourmandes de Saulieu, le village bourguignon du chef Bernard Loiseau, et gagné le concours « Talents gourmands ». Après, le bouche à oreille a fonctionné et les médias m’ont sollicitée. A partir de ces contacts, j’ai pu me rendre en Suède où a été conçu le premier projet d’abattage mobile.
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Devenir paysanne : un désir de toujours ou un choix contraint ?
E- Mon père a acheté la ferme en 1980. Jeune, je n’avais pas vraiment de projet, je savais juste que j’avais un lien particulier avec les vaches, une attirance réciproque ! En 2006, après le grave accident de mon père et son départ définitif, ce fut une évidence pour moi, l’aînée, de continuer. J’avais 26 ans, j’étais enceinte, mon frère avait 16 ans : j’ai donc repris seule le flambeau dans un premier temps.
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Femme, paysanne, dans un milieu rural et masculin : tu as fait comment ?
E- Au départ, tout était si difficile – vie familiale, sociale, professionnelle – qu’il a fallu fermer les écoutilles, laisser dire, se blinder, ne céder sur rien (et avoir un sacré courage, NDLR). Il a fallu aussi inventer des méthodes de travail : une vache, c’est gros, lourd, alors j’ai pensé à l’aide des chiens. Au village, on ricanait : elle va rendre les vaches folles… Puis ils m’ont demandé de l’aide quand les leurs s’échappaient ! Petit à petit, je suis devenue la « patronne », ma place a été reconnue, comme celle de mon frère qui m’a rejointe en 2010 après ses études.
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Tu as une relation de grande proximité avec les animaux mais au bout du compte, ils finissent à l’abattoir.
E- C’est vrai mais c’est le but de l’élevage, on le sait au départ . La viande nous nourrit et les animaux jouent un rôle dans notre environnement. Je mange peu de viande mais uniquement de la viande de qualité. C’est vers cela qu’il faut aller. Elle sera plus chère pour rémunérer notre travail mais on en achètera moins.
Ce n’est pas parce que nos animaux sont destinés à l’abattoir que nous ne pouvons pas leur offrir une belle vie, dans le respect de leurs besoins, et les accompagner dignement jusque dans leur mise à mort. Emmener mes vaches à l’abattoir d’Autun – qui est professionnellement correct – est une épreuve, surtout que je les connais toutes par leur nom. D’où la décision de l’abattage mobile. Le camion abattoir est en construction en Suède et Finlande, il sera opérationnel cet été.
Là, les vaches resteront dans leur pré, elles ne seront pas stressées et la cadence permettra de les tuer dans des conditions acceptables de respect, pour les bêtes comme pour les humains (1).
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Comment toi, l’héritière d’une grande ferme , as-tu décidé de t’engager à la Confédération paysanne ?
E- Au départ je gérais la ferme avec mes convictions et j’étais plutôt isolée . Mes valeurs étaient proches de celles de Conf’ : beaucoup alentour étaient persuadés que j’étais adhérente.
Maintenant je trouve que c’est positif d’être dans un syndicat : nous pouvons nous retrouver, partager nos expérience, mieux faire face et avancer. Les propositions de la Confédération paysanne pour une politique agricole ET de l’alimentation sont les seules qui permettent d’envisager un avenir durable pour nos enfants, nos voisins, notre planète !
(1) Emilie Jeannin est à l’origine d’une nouvelle marque, « Bœuf éthique » qui, une fois l’abattage mobile à la ferme en place prendra alors tout son sens : éthique de la naissance à l’abattage ( herbe et nourriture produite sur la ferme sans OGM, pas d’antibiotiques, soins aux huiles essentielles…) : « Notre abattoir mobile viendra au service d’une nouvelle filière pour des éleveurs paysans ».