« La sortie du nucléaire , c’est aujourd’hui ou jamais ! » Tel est le message historique de Fukushima. Par cette si soudaine proximité de l’aujourd’hui et du jamais à nouveau affirmée, la catastrophe japonaise a renforcé l’urgence éthique d’en finir au plus vite avec l’âge atomique. Telle est la sentence irrévocable qui s’impose aujourd’hui à tout le monde, y compris en France.
Extrait d’un chapitre du livre de Jean Marc Sérékian -qui date de 2015 !
Rien pour remplacer le nucléaire, est-ce bien suffisant ?
« La sortie du nucléaire c’est aujourd’hui ou jamais ! », tel est le message historique de Fukushima. Par cette si soudaine proximité de l’aujourd’hui et jamais à nouveau révélée, la catastrophe japonaise a renforcé l’urgence éthique d’en finir avec l’âge atomique. Tel est la sentence irrévocable qui s’impose aujourd’hui à tout le monde.
Plus que Tchernobyl, Fukushima a donc définitivement annihilé toutes les distances possibles, temporelles ou spatiales, réelles, techniques, conceptuelles ou même imaginaires, que l’on pouvait mettre entre l’aujourd’hui et le jamais. La dite « sûreté nucléaire » est désormais réduite à un oxymore et, indépendamment de toute catastrophe, reste entier ou se construit un autre oxymore celui de la dite « gestion des déchets nucléaire ». Toute ces choses ont été rapidement comprises en Allemagne et dans les autres pays d’Europe occidentale : il faut sortir au plus vite, en finir avec cette aventure technologique avant la catastrophe désormais inévitable.
A Fukushima c’est fini, le « jamais » est déjà arrivé, comme à Tchernobyl sur des centaines de milliers de kilomètres carrés on ne sortira plus jamais du nucléaire. L’éternité atomique sous sa pire forme c’est déjà aujourd’hui.
Pour le Japon la sentence est historique, la catastrophe rend incontournable la sortie du nucléaire.
Dans ce pays la classe dirigeante avait projeté un accroissement substantiel de la part du nucléaire dans le mix énergétique en voulant la faire passer de 30 à 50 % de la production d’électrique à l’horizon 2030. Mais après « l’accident », cette ambition n’est plus de l’ordre du possible et c’est plutôt la sortie de l’« énergie atomique » qui se profile à l’horizon. Ou, plus justement, l’arnaque historique du nucléaire dit « civil » atteint sa date de péremption.
La dégringolade accélérée de son acceptation sociale ne peut plus être ignorée de la classe dirigeante A la date du 3e anniversaire de la catastrophe, la quasi-totalité des réacteurs est toujours à l’arrêt, officiellement mis en examen. La part du nucléaire s’est brutalement effondrée et le doute s’est irrémédiablement inscrit dans les consciences.
Malgré sa détermination aveugle et le soutien international dont elle dispose dans son déni de réalité, la classe dirigeante, éclaboussée dans son ensemble par « l’accident honteux » de Fukushima, n’est plus vraiment en mesure d’imposer une réanimation et encore moins une relance du nucléaire. Révélée dans son incorrigible corruption et son incurie semi-séculaire, elle ne peut que louvoyer pour ralentir le processus de sortie entamé. Dans ce pays, en plus du lien de vassalité entre les potiches de la classe politique et la secte des nucléocrates, deux autres proximités historiques et sociologiques ont resurgi : l’importance de la mafia dans l’exploitation du sous-prolétariat pour la gestion de la crise et celle de la guerre ; pègre et misère humaine, Hiroshima et Fukushima sont deux autres visages d’une seule et même réalité criminelle.
En avril 2011, une historienne japonaise, désespérée face à cette vérité à nouveau révélée en appelait à un droit d’ingérence pour aider son pays à sortir du nucléaire : « Le Japon est incapable de se regarder objectivement et de changer de l’intérieur. (…) Comme le Japon ne peut pas et ne veut pas changer de l’intérieur, il faudrait que s’exerce une pression de la communauté internationale pour que le Japon n’entraîne pas toute l’humanité dans un suicide collectif. » Ce qui paraissait encore impossible en 2011 et qui désespérait l’historienne consciente du problème spécifique à la société japonaise, est aujourd’hui devenue une réalité. Le Japon sort du moins de la surenchère nucléaire et aussi inimaginable que cela puisse paraître il le fait malgré la volonté contraire de sa classe dominante.
Le message irrévocable de Fukushima s’impose aussi à la France. Mais là encore comme au Japon, la caste dirigeante pour son fleuron industriel national, son exception culturelle française du nucléaire, tente une ultime résistance. Tout l’appareil médiatico-politique, polytechnique et scientifique s’est mis en branle. Technocrates, bureaucrates et nucléocrates avec la meute encore nombreuse des « nouveaux chiens de garde » sont à la manœuvre pour censurer le seul message de sortie urgente révélé par Fukushima.
Au plus haut niveau de l’État, un Président en 2011, a brandi la menace supposée terrifiante du « retour à la bougie ».
Dans l’espace médiatique des journalistes tentent de reconstruire un avenir radieux au nucléaire avec des articles particulièrement dithyrambique : « Fukushima: pourquoi l’hiver nucléaire n’a pas eu lieu Un an après la catastrophe, c’est un fait, l’industrie nucléaire se porte bien. A côté des réactions contrastées en Occident, les pays émergents sont bien décidés à profiter des atouts de l’atome. »
Chiffres et histogrammes chocs des experts organisent un déni de réalité collective et veulent ne laisser planer aucun doute sur les perspectives radieuses de croissance du nucléaire. Plus pragmatiques les agences françaises dites de « sûreté nucléaire » ASN et IRSN réclament des milliards d’euros. Consciente de la signification historique de Fukushima, elles veulent « bunkeriser » le nucléaire. Mais contre quoi ou pour quelle utilité… après tout ce que Fukushima a révélé sur la caste des nucléocrate ? Non pas pour assurer un semblant de sûreté car la catastrophe japonaise a aussi anéanti le cadre conceptuel dans lequel le concept de « sûreté nucléaire » pouvait exister, non pas pour remettre de la distance entre l’aujourd’hui et le jamais car la sentence historique de Fukushima est irrévocable et encore moins pour gérer le désastre désormais inévitable.
Non tout ceci n’est plus possible, mais leur souci est simplement d’éviter la débandade, l’improvisation et le ridicule médiatique.
Il est important de bien comprendre la signification politique d’ensemble du volumineux rapport de l’ASN et en définitive d’en saisir sa stricte visée médiatique. Les vastes manœuvres technico-financières, juridiques et administratives actuelles des agences dites de sûreté nucléaire ne visent plus la « sûreté », puisque comme elles l’admettent : « un accident ne peut jamais être exclu ». Avec ce déploiement considérable de moyens techniques chiffrés en dizaines de milliards d’euros on ne sort pas de l’espace médiatique.
Il s’agit d’assurer un certain panache militaire sur le champ de bataille d’une catastrophe nucléaire et d’offrir ainsi un spectacle acceptable à l’appareil médiatique. Puisque les conséquences d’une catastrophe nucléaire restent à ce jour ingérable avec un nombre de victimes imprévisibles, il faut au moins assurer un péplum nucléaire irréprochable et surtout éviter le navet japonais : ne pas reproduire le spectacle déplorable de l’incurie au pouvoir déjà justement l’arrestation de l’arnaque nucléaire s’impose aussi pour la France quels que soient les performances médiatiques affichées par la classe dirigeante.
Dans le branle-bas de combat général mettant sur le pont l’ensemble des acteurs de la classe dirigeante, l’intervention d’un homme politique doit être relevée, car elle pose la sortie du nucléaire comme une impossibilité. Frondeur sûr de son coup ou comme pour se donner du courage face à l’onde de choc de Fukushima, il s’est écrié : « C’est bien beau de proclamer la sortie du nucléaire encore faut-il nous dire par quoi on le remplace ? »
Si le spectre de « la bougie » énergiquement agité par un Président de la République est risible par son infantilisme ou son populisme et si l’énorme pavé bureaucratique de l’ASN est déplorable par son anachronisme puisqu’il révèle au mieux toutes les inconséquences techniques que les milieux écologistes dénoncent depuis un demi-siècle, il est par contre intéressant de s’arrêter à l’interrogation du courageux technocrate : « Par quoi remplacer le nucléaire ?»
Comment répondre à la question ? Quelle est donc, du point de vue écologique, la réponse juste à apporter pour ce problème énergétique ?
Le nucléaire ça commence à bien faire !
« … encore faut-il nous dire par quoi on le remplace ? » A cette menaçante interrogation de technocrate, faisant du nucléaire une énergie incontournable, il ne faut surtout pas s’empresser de répondre : « par du renouvelable ! »
Non, erreur fatale ! Malgré son apparente logique technique, il s’agit là de la plus mauvaise réponse, surtout du point de vue de l’écologique, car elle exprime innocemment un manque d’envergure politique face aux enjeux énergétiques de l’avenir.
Disons-le d’emblée, la seule et unique réponse recevable de ce point de vue tient en un seul mot : « Rien ! »
« Par quoi remplacer le nucléaire ? » « Rien, point à la ligne ! »
Non pas parce qu’il n’y a rien pour remplacer le nucléaire, mais, en première analyse, parce que le nucléaire représente rien ou presque rien en terme de fourniture énergétique finale. Normalement, cette réponse parfaitement claire en elle-même ne doit souffrir d’aucune explication supplémentaire. Cependant, pour qu’elle soit évidente comme seule réponse possible, elle suppose un autre paradigme d’analyse de la notion d’énergie. Il faut faire une réelle révolution copernicienne, où, après s’être émancipé de nos graves séquelles d’éducation scolaire qui insidieusement nous permettent d’être trop aisément réceptifs aux savants organigrammes technocratiques.
Tout devient simple lorsque l’on cesse de faire tourner le monde autour de l’énergie ou en terme politique tout devient simple lorsque l’on cesse de faire tourner le monde autour de la croissance du pouvoir.
En rappelant ses origines et sa finalité essentiellement militaire, on pourrait se contenter aussi de faire de la sortie du nucléaire une stricte question de principe et dire : « la gabegie ça suffit ! » Ou encore mieux, en paraphrasant une des conclusions présidentielle finales du Grenelle de l’environnement, on peut répondre en écho : « le nucléaire ça commence à bien faire ! »
Mais l’on a mieux encore pour justifier ce « rien ! » comme unique réponse acceptable, puisqu’il vient d’être magistralement confirmé par l’onde de choc de Fukushima.
Révolution copernicienne de Fukushima
Même si ce « rien ! » était réellement un « retour à la bougie », il n’est plus possible de se faire d’illusion sur l’avenir du nucléaire. Car l’événement de Fukushima ne peut pas être considéré comme rien dans l’histoire contemporaine. Comme le dit très bien le responsable de l’ASN pour défendre ses intérêts budgétaires d’autorité de sûreté nucléaire : « L’accident de Fukushima marque l’histoire du nucléaire comme ceux de Three Mile Island et Tchernobyl : il y aura un avant et un après Fukushima. » Mais par cette sentence l’expert technique en groupe électrogènes révèle innocemment son incompréhension de l’événement… Contrairement à ce qu’il préconise, on doit saisir la dimension éthique de la catastrophe. Il n’est plus possible de réduire l’événement à un simple grave accident nucléaire comme s’efforcent de le faire les experts nucléaires. Fukushima ne doit pas être réduit en une sorte d’expérience instructive pour perfectionner la dite « sûreté » et assurer un meilleur avenir au nucléaire. L’avant Fukushima est l’ère des illusions technocratiques et scientifiques du mythe de l’énergie inépuisable avec la résignation sociale, l’après Fukushima est l’ère des catastrophes et donc du fanatisme et de l’obscurantisme techno-scientifique sans plus aucune acceptation sociale de l’aventure nucléaire.
Sortir du nucléaire relève de l’urgence historique et doit être projeté comme une libération de l’Age Atomique. Il faut l’envisager par nécessité comme fuir un édifice en feu ou abandonner un navire naufragé avec ou sans canot de sauvetage. En conséquence il n’est plus possible de ne rien faire pour rendre ce « Rien ! » possible.
L’avant et l’après Fukushima représentent l’équivalent d’une révolution copernicienne, un changement de paradigme. C’est dans ce nouveau cadre conceptuel que ce « Rien ! » s’impose et devient parfaitement compréhensible comme seule réponse possible. Par son seul fait, la catastrophe japonaise a clos un cycle, non seulement pour le nucléaire mais aussi pour la civilisation industrielle. Le compte à rebours a commencé et il faut en tenir compte comme une rupture historique ou le symptôme de la fin d’un monde. Il va falloir s’y faire, les machines à vapeur nucléaire, d’emblée décrites comme des « bouilloires diaboliques » par Albert Einstein, appartiennent définitivement au passé. Même si l’arbitraire du pouvoir en France, en Iran, en Russie, en Chine ou même au Japon arrive encore à les imposer, ces grossières chaudières ne peuvent plus prétendre représenter l’avenir énergétique. dans l’espace médiatique. Mais attention, il ne faut pas se tromper de secteur d’activité. Si les acteurs sont bien les mêmes, on ne doit pas confondre l’industrie (nucléaire) de l’énergie qui est en décélération accélérée depuis l’An 2000 et la grande braderie de matériels (nucléaires) déjà obsolètes sur le marché qui sauve les apparences. En dehors de la Chine qui totalise près de la moitié des réacteurs en construction les victimes potentielles et solvables se recrutent dans les pétromonarchies qui ne savent jamais comment faire pour dépenser leurs pétrodollars.
Les perspectives radieuses éco-labélisées « carbon free » pour « sauver la planète » se sont par contre irrémédiablement assombries avec le spectacle affligeant de Fukushima et l’effondrement de la citadelle nucléaire japonaise. Une page d’histoire a été tournée: si le marché subsiste grâce à la croissance dévastatrice de la Chine et aux pétrodollars des pétro-tyrannies, l’Age atomique est entré en phase agonique finale.
En s’inscrivant au plus mauvais moment dans la suite de Three Miles Island 1979 et de Tchernobyl 1986, Fukushima 2011 fait changer la catégorie statistique de l’accident majeur : « d’extrêmement improbable » il devient probable. Là encore on a un changement de paradigme. La catastrophe japonaise détruit ainsi l’échafaudage théorique ayant validé dans la sphère médiatique l’imposture dite « civile » du nucléaire. L’extrapolation facile des experts, assimilant l’« extrêmement improbable » au (quasi) « impossible » ou « impensable », quitte le domaine scientifique pour s’inscrire définitivement dans le cadre de l’a priori idéologique.
Par la seule possibilité de survenue d’un accident majeur, maintenant admise par les toutes les autorités dite de « sûreté nucléaire », l’événement japonais a sabré le cadre conceptuel où pouvait se définir une « sûreté nucléaire ». En opérant cette véritable révolution copernicienne, Fukushima expulse la notion de « sûreté nucléaire » du monde réel. Avec ce changement radical de paradigme lié à l’événement japonais cette notion de « sûreté nucléaire » n’est plus qu’un oxymore, elle relève donc d’une pure construction dogmatique. Fukushima révèle de manière inutile mais irrévocable ce qui était su depuis les origines de l’âge atomique : l’insécurité nucléaire.
On découvre aujourd’hui, dans la vie réelle des sociétés nucléarisées le linge sale des technocrates étalé au grand jour. Tous les impensés théoriques et statistiques, tous les a priori fautifs permettant la formulation d’une « sûreté nucléaire » auxquels il faut associer la corruption et l’arbitraire de la classe politique aux origines de l’aventure nucléaire surgissent dans la sphère médiatique. Fukushima c’est la véritable transparence nucléaire.
Fukushima c’est la véritable transparence (non médiatique) du nucléaire. Cette réalité crapuleuse et criminelle, révélée par le nucléaire lui-même, est désormais incompressible, irrévocable sur le plan historique.
Les milliards d’euros réclamés par l’ASN ne font qu’aggraver le tableau. Car il ne s’agit plus de prévenir un accident majeur considéré comme inévitable mais simplement d’éviter le spectacle lamentable de débandade donné, et toujours en cours, par Fukushima. L’ASN s’arc-boute avec les épicycles de l’ancien paradigme.
Rafistoler à grand frais des installations nucléaires en fin de vie pour redonner un semblant de crédibilité statistique à la notion de sûreté nucléaire confirme par son anachronisme, l’hermétisme idéologique et l’irresponsabilité sociale de cette agence dite de « sûreté nucléaire ». Elle tente de continuer l’aventure comme si Fukushima n’avait été qu’un stress-test, un exercice ou un tir d’essai instructif dans une expérimentation atomique. Par l’effort dans la surenchère financière et technique, on censure les implications humaines et écologiques sur le long terme. Elles restent hors jeu, hors champ de la conscience.
Mais ces milliards supplémentaires ne pourront plus renverser la vapeur. L’accident majeur est incompressible même recadré par des artifices techniques dans une fourchette statistique théorique pour le déclarer comme avant « impensable ». Et pour comble d’inconséquence, il n’est pas la seule menace nucléaire. Reste entier le problème des déchets nucléaires, l’Andra réclame aussi comme l’ASN ses milliards euros pour les faire disparaître et les chantiers de la déconstruction des centrales eux aussi chiffrés en dizaines de milliards sont laissés aux « générations futures »… Une ploutocratie de nucléocrate, ASN, IRSN, CEA, Areva Andra, EDF, tous ces milliardaires vivants au crochet de la dette publique, ça commence à bien faire !
Pour lire le chapitre complet : Radieuse Bérézina