le 12 septembre 2017 à Paris : un procès-bâillon hors du commun
Ou comment instrumentaliser la justice pour faire taire la critique…
. Peut-on encore en France critiquer le nucléaire et dénoncer les impacts délétères de la radioactivité générée par les installations et le commerce qu’en font les « fleurons » de l’atomisme tricolore ?
. Le procès qu’intente Areva au « directeur de la publication » d’un site internet militant et à un blogueur-relais met directement en cause la liberté d’expression et le droit des citoyens à s’exprimer et agir.
. Du riffifi en perspective au moment ou le nucléaire tricolore et son ex-fleuron Areva est en déconfiture et oblige l’Etat – donc les contribuables – à lui verser 4 milliards 500 000 millions d’euros pour sauver sa peau.
De quoi s’agit-il ?
Le site internet militant de la coordination-antinucleaire-sudest.org (1) publie, voici trois ans, le 27 juillet 2014 un article critique stigmatisant le comportement des élus, notamment EELV, d’Avignon (Vaucluse) qui ne se sont pas opposés à la signature d’une convention entre Areva et la municipalité. Convention qui stipule que l’ex-géant du nucléaire octroie un « don » à la ville provençale qui, en contre-partie, lui offre de nombreux avantages, un engagement à ne pas critiquer, un abandon d’image publique et la mise à disposition de personnel communal.
Cet article titré «Avignon : les élus EELV se couchent devant Areva » (2) dénonce le fait qu’alors que la municipalité d’Avignon reçoit cet argent, l’activité d’Areva engendre des atteintes à la santé publique et des morts un peu partout dans le monde, et notamment :
. en vallée du Rhône (zone la plus nucléarisée d’Europe ou Areva fabrique et assemble ses « combustibles »),
. au Japon par la présence du « combustible » Mox d’Areva au cœur du réacteur n°3 explosé de Fukushima
. et ailleurs comme au Niger où Areva exploite des mines d’uranium dans les pires conditions sanitaires pour les travailleurs et les populations locales.
L’article n’évoque pas, car ce n’est pas son objet, l’utilisation de l’uranium, « moxé » ou non, dans les réacteurs nucléaires en France et en d’autres pays, avec des rejets quotidiens de radioactivité à la clef dans l’air et dans l’eau.
Alors que plus personne au monde n’ose affirmer que la radioactivité n’est pas dangereuse ni mortelle, l’article nomme dans un style militant dénonciateur le « crime » sanitaire que représentent de telles activités.
15 jours plus tard, le 5 août 2014, au nom d’Areva son nouveau Pdg en remplacement de Anne Lauvergeon (aujourd’hui mise en examen) Luc Oursel* (aujourd’hui décédé d’un cancer, il avait été ingénieur et contremaître dans les mines d’uranium d’Areva au Gabon) dépose plainte avec constitution de partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier.
Plainte contre le site de la Coordination antinucléaire du sud-est qui a mis en ligne l’article dénonciateur et contre un blogueur du site Médiapart qui a osé relayer quelque temps après l’article antinucléaire.
L’article qui critique EELV devient le support d’une plainte … du lobby nucléaire contre les antinucléaires !
La Coordination antinucléaire avec son style dénonciateur propre n’en est pas à sa première dénonciation du lobby nucléaire et de ses entités (EDF, CEA, Areva) ni de l’ASN ou de l’Irsn qui sont la cible de critiques argumentées et percutantes. Et ce depuis plus de six années et plus de 1000 articles de fonds et de reportages.
Mais Areva veille et entend frapper durement. Elle va extraire et isoler du déroulé d’un long article quatre petites portions de phrases pour pouvoir porter plainte et faire taire la contestation :
. « Elle (la marie d’Avignon) vient de signer une nouvelle convention de mécénat avec le géant de la mort nucléaire, Areva »,
. « … une action culturelle locale pour des enfants alors qu’Areva n’hésite pas à contaminer et tuer ailleurs d’autres enfants comme à Fukushima »,
. « Pas un mot contre cette convention, pas une explication (par les élus EELV) des crimes d’Areva un peu partout dans le monde et en vallée du Rhône, pas un appel à un peu d’éthique et de morale »,
. « Déjà a Avignon, l’an dernier, l’exposition « Egypte ancienne » avait reçu des milliers d’euros d’Areva, tandis que depuis 2012 Areva-Melox-Marcoule – fabricant et fournisseur du Mox de la centrale de Fukushima qui a explosée – est le partenaire officiel de « Avignon Tourisme » »
Areva aurait pu simplement utiliser son « droit de réponse » puisque chaque article est ouvert aux commentaires et que les adresses des collectifs antinucléaires sont accessibles sur le site. Mais non, l’instrumentalisation de la justice permettra d’intimider tout récalcitrant et, pourquoi pas, de créer une jurisprudence limitant la critique et les analyses rebelles.
Pourquoi maintenant à l’été 2014 ?
Alors pourquoi maintenant ? Peut-être dans ce qu’avançait un an plus tard en juillet 2015 un autre article de la coordination antinucléaire :
« Le CEA possède 54,37% des parts d’AREVA (et l’Etat directement près de 25% de plus), l’avant projet détaillé Astrid (de relance de la filaire plutonium des sur-générateurs dans le stye « Malville » abandonnée en 1977) doit être budgétisé cette année, ITER avance chaotiquement, l’EPR capote et fonce dans le mur, l’amendement CIGEO est passé au forceps du 49-3 dans la loi Macron,… »
(on saura par la suite que Areva est en faillite tout comme quasiment EDF)
La bête est blessée, elle devient agressive. D’autant que la coordination s’est attaquée » à la validité des travaux scientifiques publiés par le CEA, et ce à partir non de critiques externes, mais en montrant les erreurs et manipulations des propres travaux publiés par le CEA. ».
Les sujets concernés sont loin d’être anodins car c’est sur eux que reposent tout le devenir du nucléaire en France et à l’export.
Information judiciaire et potentiel conflit d’intérêt propre à ravir la Cour européenne des droits de l’homme
Suite à la plainte d’Areva, une information judiciaire est donc ouverte le 26 novembre 2014 à la demande du Procureur de la République de Paris (soumis à l’autorité du gouvernement). Un problème de conflit d’intérêt se fait jour puisque l’Etat est aussi actionnaire majoritaire du plaignant Areva.
Une enquête de la « brigade de répression de la délinquance faite à la personne » est lancée. Une première audition conduite par la Vice-Présidente chargé de l’instruction débouche le 10 juin 2015 sur la mise en examen du blogeur ayant « imprudemment » relayé l’information (que, au demeurant, Mediapart avait très vite retiré de son site).
Mais rien ne permet d’identifier l’auteur de l’article originel ni le Directeur de la publication du site internet. Et pour cause : la coordination antinucléaire du sud-est est un collectif informel de citoyens qui luttent contre le nucléaire dans cette région du sud-est et d’une façon générale pour l’arrêt immédiat et inconditionnel du nucléaire en France et dans le monde. Sans chef ni leader, sans structure, sans « directeur de publication ». Tout y est collectif.
Une procédure sans queue ni tête mais acharnée
Il faut quand même à l’appareil judiciaire – c’est la loi actuelle en France – un « coupable ». Alors on va cibler parmi tout ce collectif de près de 200 personnes un individu et lui faire porter le chapeau. Une sorte d’otage.
Ce sera celui qui a déposé chez l’hébergeur le « nom de domaine ». Un peu comme si le déposant de la marque Ikea ou de « le Figaro » ou « Libération » était le responsable des ficelles entourant les colis de serpillères ou de tous les articles des journaux livrées au magasin du coin de la rue. Evidemment difficile. Et absurde. Donc ça ne le fait pas et la juge d’instruction est en carafe.
Alors comme « déposant du Ndd » c’est râpé, on va tenter : « Directeur de la publication » . Bah pas possible il n’y en a pas formellement. C’est peut-être une faute administrative mais pas un délit de diffamation. Des courriels de plusieurs militants l’expliquent au policier enquêteur : ici c’est du collectif, chacun(e) à sa libre parole et tout est collectif.
Mais les ordres sont les ordres. Alors on va tenter de mettre en examen l’otage comme … « auteur de l’article » ? pas possible non plus l’article n’est pas nommément signé et est collectif. Eh oui, le collectif existe à côté du chacun pour soi, on vous dit. Et, jusqu’à nouvelle loi liberticide : ce n’est pas illégal.
C’est pas que les antinucléaires se défilent car ils ont un dossier d’accusation et de preuves épais comme le bras contre les têtes de ponts du nucléaire décadent et en décrépitude. Mais il ne faudrait pas glisser en douce vers des atteintes à la liberté d’expression pour faire la peau à toute contestation.
Alors l’enquête va fouiner de toute part pour identifier quelqu’un. Au hasard. Tient pourquoi pas l’adresse électronique de connexion (IP) de la box à partir de laquelle un ordinateur aurait pu mettre en ligne l’article ? Ca ne veux pas dire que la box c’est l’individu ni que l’ordinateur c’est une personne mais allons-y quand même. Banco c’est trouvé ! Bah : non. L’adresse IP n’est pas celle de l’otage mais celle d’une association qui n’a rien à voir avec la Coordination antinucléaire du sud-est.
Raté. D’autant plus qu’à cette adresse (postale) il y a une flopée d’associations ou collectifs et de personnes qui y résident ou y ont leur siège. Car ici on est en zone de moyenne montagne, au pied du mont Ventoux, et la fracture numérique tant décriée par les gouvernements successifs est encore une réalité. Solidarité oblige, on se regroupe donc à plusieurs sur les rares points d’accès internet.
Donc l’adresse IP c’est pas l’otage, d’ailleurs celui-ci n’est même pas titulaire d’un abonnement internet, ni loueur d’une box de connexion, ni propriétaire d’un ordinateur. Il l’explique encore et encore ce 18 novembre 2015 lors d’une deuxième audition devant la magistrate-instructrice (anciennement instructrice à Meaux lors de l’enlèvement de la petite Estelle Mougins et contre laquelle le père avait demandé le dessaisissement).
On abandonne donc l’idée d’auteur mais on va quand même tenter de lui coller sur le dos la diffamation. Alors retour à la case « Directeur de la publication ». C’est bancal mais l’instruction va boucler l’information judiciaire sur sa mise en examen du chef de diffamation publique en tant que « Directeur de la publication » du site coordination-antinucléaire-sudest.net . C’est faux mais peu importe.
A la clef : 45 000€ d’amende et 1 an d’emprisonnement. La liberté d’expression a un coût !
Un rassemblement de soutien sous la bannière de la Liberté d’expression, aura lieu ce mardi 12 septembre 2017 devant les grilles du palais de justice de Paris à partir de 11h30.
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– Avignon : les élus EELV se couchent devant Areva : http://coordination-antinucleaire-sudest.net/2012/index.php?post/2014/07/27/Avignon-%3A-les-%C3%A9lus-EELV-ne-condament-pas-la-convention-que-signe-la-municipalit%C3%A9-avec-Areva
en savoir plus :
Don d’Areva à la ville d’Avignon : il y avait bien des contres-parties. Les pièces à conviction.