L’absurdité pour une famille lyonnaise régularisée après des années de combat ; elle continue de voir se dresser devant elle des obstacles de l’absurde administratif…
Monstruosité quand on lit un article de « valeurs actuelles » qui a constitué un dossier intitulé « Les assistés : comment ils ruinent la France », paru le 29 août 2016. ATD Quart Monde a envoyé une lettre ouverte au directeur de la rédaction du magazine afin de corriger les préjugés.
Intégration de la famille Mamoï : le combat continue au royaume de l’absurdité
Alors que Nane et Amo Mamoï, après sept ans de combat pour leur titre de séjour, sont sur le point de trouver un emploi à Lyon, et que leurs enfants se préparent à la rentrée dans leur collège de secteur, la famille est menacée d’être à nouveau déplacée pour être envoyée dans un hôtel Formule 1 à Meyzieu ou Villefranche-sur-Saône. Nous comptons sur la préfecture pour éviter cette situation absurde.
Ceux qui côtoient sur le terrain les personnes issues de l’immigration récente entrevoient déjà ce que signifie réellement le discours présidentiel à l’échelle des préfectures. Influencée par les formulations de nos dirigeants, l’opinion publique réduit volontiers la question de la politique migratoire à une urgence, une crise nouvelle, une vague, un tsunami à contenir. Il y a urgence, bien sûr, pour des millions de personnes dans le monde. Cette urgence n’est pas nouvelle. Mais tant que le problème sera abordé sous un angle policier et répressif, il sera surtout urgent d’interroger le système dans son ensemble et de comprendre que l’accueil et l’intégration des migrants représentent un intérêt pour tous. En réalité, ceux qui connaissent le terrain ont tous les jours sous les yeux les preuves flagrantes de l’incohérence du discours officiel et de ses contradictions.
Le parcours de la famille Mamoï, originaire d’Azerbaïdjan, en est un exemple parmi d’autres. Il a fait l’objet de plusieurs articles sur ce blog ces dernières années. Le dernier en date (avril 2016) faisait état du titre de séjour que Nane et Amo Mamoï ont obtenu, avec droit de travail, après six ans d’un combat rocambolesque. La famille était inexpulsable, depuis le début. Ces six années étaient donc un sas temporel inutile et violent, ne générant que souffrance et représentant un gâchis financier pour tout le monde puisqu’il eût été bien plus intelligent et économe de permettre rapidement à la famille de s’assumer plutôt que de payer son loyer sans aucune vision en matière d’intégration. Depuis, Amo a passé son permis de cariste, Nane a travaillé d’arrache-pied pour obtenir un CAP de coiffure. Les enfants continuent leur scolarité au collège et se préparent à la rentrée 2017 dans leur collège de secteur. Nane et Amo sont en pleine recherche d’emploi et veulent construire une vie professionnelle.
Suite à un jugement en référé, la préfecture loge la famille en appartement depuis plusieurs années. Mais alors que Nane et Amo sont sur le point de trouver un emploi en région lyonnaise, ils sont sur la liste de ceux qui doivent quitter leur logement fin août pour un hôtel Formule 1 à Meyzieu ou Villefranche-sur-Saône. Ils seraient déracinés du réseau social qu’ils ont réussi à construire, et leurs deux enfants ne pourraient pas être présents à la rentrée dans leur collège de secteur. Sans compter le retour à la « vie-camping », à quatre dans des chambres d’hôtel sans cuisine.
Mais surtout, la préfecture paye un loyer pendant des années, et tout s’effondre quelques mois seulement avant que la famille ne puisse s’intégrer. Comment l’autorité peut-elle utiliser des arguments d’ordre économique pour justifier sa politique migratoire, pendant que concrètement elle se rend coupable d’autant d’incohérence et de gâchis ?
Question : la famille Mamoï est-elle réfugiée politique ou économique ? Les deux, ou ni l’un ni l’autre, cette catégorisation est absurde : car, d’une part, l’horreur qu’elle fuit est autant économique que politique, et, d’autre part, pour vivre ailleurs que dans l’horreur elle compte autant sur notre politique que sur notre économie. Et, mieux encore, notre politique et notre économie comptent toutes les deux sur elle.
La situation de la famille Mamoï, au-delà de sa propre absurdité, témoigne de l’absurdité du système lui-même, et laisse entrevoir la souffrance de milliers de personnes, celles dont on parle et celles dont on ne parle pas. Car si, comme nous l’espérons, la préfecture prend les décisions qui s’imposent pour permettre à la famille Mamoï de s’intégrer, tant de familles subissent la dureté du système sans le soutien des associations. Pendant que des militants sont traduits en justice pour avoir aidé des migrants, les autorités construisent une machine à précarité. Elles ont faux sur toute la ligne : de l’accueil à l’intégration, elles ne savent pas agir avec intelligence, efficacité, bon sens économique et humanité. Cette machine à précarité organise un enfer interminable, au mépris des associations et des citoyens qui connaissent le terrain, et sont montrés du doigt quand ils le connaissent un peu trop bien.
RESF Lyon
blogs.mediapart.fr/resf/blog/100817/integration-de-la-famille-mamoi-le-combat-continue-au-royaume-de-labsurdite
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Lettre ouverte de la présidente d’ATD Quart Monde au directeur de la rédaction de Valeurs Actuelles
Montreuil, le 1er septembre 2016
M. Yves de Kerdrel
Directeur de la rédaction – Valeurs actuelles
24, rue Georges Bizet, 75116, Paris
Monsieur le directeur de la rédaction,
Je découvre avec consternation les articles que vous venez de publier sur papier et sur Internet, intitulés « Profession: assisté! » et « Voyage au pays des 1 001 allocs ». Les propos tenus sont presque tous erronés. Ils alimentent des discours anciens et trompeurs sur les personnes confrontées à la pauvreté.
Votre comparatif SMIC-RSA qui veut montrer que « les bénéficiaires de prestations sociales sont souvent bien mieux traités que ceux qui travaillent chaque jour » est faux. C’est le contraire qui est vrai : une famille qui travaille perçoit au moins 500 euros mensuels de plus qu’une famille sans emploi.
Vous écrivez que la CMU-C est « fréquemment piratée ». Savez-vous que la fraude à la CMU-C s’élève à 700 000 euros par an selon le Fonds CMU, pour environ 5 millions de bénéficiaires ? Cela équivaut à une fraude annuelle moyenne de 14 centimes par bénéficiaire. Vous parlez de fraude « massive »…
Vous écrivez que « le RSA est l’aide sociale la plus fraudée (70 % des cas) ». La fraude au RSA concerne en réalité moins de 1% des allocataires et s’élève à moins de 40 euros par foyer et par an, pour un total de 100 millions d’euros en 2014. La fraude fiscale atteint 3,18 milliards d’euros.
Des allégations telles que « la France est devenue la patrie mondiale de l’assistanat », « les prestations sociales encouragent à gagner plus en travaillant moins », « la France, championne du monde de la création d’impôts et de taxes », « les bénéficiaires ont des droits mais aucun devoir », « un assisté peut dissimuler un fraudeur », « une telle générosité attire les plus démunis de la planète », « les demandeurs d’asile sont choyés » et « des étrangers qui n’ont jamais travaillé en France touchent des retraites plus élevées que des millions de petits retraités » sont des discours erronés que nous décortiquons en détail, aux côtés de 109 autres, dans notre livre En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, dont je me permettrai de vous adresser la troisième édition à la fin de ce mois.
La question est de savoir si les pauvres sont victimes ou coupables de leur situation ? La réalité est qu’ils sont doublement victimes : ils sont confrontés à une vie très difficile et en plus ils sont jugés par les autres. Les propos que vous tenez aggravent leur exclusion.
Je vous prie de recevoir, Monsieur le directeur de la rédaction, mes meilleures salutations.
atd-quartmonde.fr/lettre-ouverte-de-claire-hedon-presidente-datd-quart-monde-a-yves-de-kerdrel-directeur-de-la-redaction-du-magazine-valeurs-actuelles/
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Démembrement des familles : la politique inhumaine de Macron condamnée en justice
Huiling CAO est libre, elle n’est plus assignée à résidence, elle n’a plus à pointer deux fois par semaine au commissariat, le préfet du 93 doit réexaminer son dossier et lui offrir ses frais d’avocat.
Telle est la décision du Tribunal administratif de Montreuil du 10 août.
Mère d’une enfant de 9 ans, enceinte de quatre mois, Huiling CAO, jeune femme chinoise de 32 ans avait été arrêtée le 28 juin suite à un contrôle sur son lieu de travail. Le préfet de police l’avait fait enfermer au centre de rétention de la Cité à Paris. Le 14 juillet, elle refusait d’embarquer. Une semaine plus tard, désespérée, elle faisait une tentative de suicide, s’ouvrant les veines du poignet. Conduite en urgence à l’hôpital, elle était sauvée, soignée et… immédiatement ramenée au CRA.
Des faits qui soulèvent l’indignation, il faut s’en féliciter. Un mini rassemblement de protestation de militants RESF le 22 juillet, deux lettres ouvertes du cinéaste Laurent Cantet au ministre de l’Intérieur et au président de la République publiées par Médiapart, une dépêche de l’AFP et plusieurs articles de presse conduisaient les cabinets de l’Élysée et de l’intérieur qui suivaient l’affaire à libérer Huiling CAO le 24 juillet. Elle avait perdu 8 kilos.
Une mesure certes humanitaire mais au rabais… dès le lendemain de sa sortie, Huiling CAO était assignée à résidence et astreinte à pointer deux fois par semaine au commissariat avec, à chaque fois, le risque d’être arrêtée et conduite à l’avion.
Il était évidemment hors de question, de la laisser se rendre seule au commissariat. Elle y a été systématiquement accompagnée par des militants RESF mais aussi par le maire de Bagnolet Tony di Martino et le conseiller régional Taylan Coskun, produisant un certain étonnement chez les policiers voire la sympathie de certains d’entre eux au récit de ce qu’on fait subir à cette jeune femme et à sa famille.
La décision, signée du préfet du 93 mais évidemment prise plus haut, était immédiatement attaquée devant le Tribunal administratif de Montreuil par Me Catherine Herrero, avocate de Huiling CAO.
L’audience a eu lieu le 10 août. Son compagnon et un ami de la famille ainsi que des militant(e)s RESF étaient présents. Une dizaine de soutiens… pas si mal, un jeudi 10 août à 9h30 du matin…
Me Herrero plaidait avec éloquence, soulignant que le signataire de l’assignation à résidence avait négligé d’attester de sa compétence à le faire, que ses droits n’avaient pas été communiqués à Huiling CAO et surtout que la réalité de sa situation n’avait pas été prise en compte.
En réalité, la décision du juge reprend, parfois au mot près, l’argumentaire de l’avocate tant les faits sont scandaleux et la décision celle de bureaucrates qui, pour leur confort moral, refusent d’en mesurer les effets humainement dévastateurs. Après l’avocate, le magistrat relève que Huiling a été placée en rétention alors qu’elle était enceinte de quatre mois et que son assignation à résidence pour 45 jours après presque un mois de rétention induit que l’expulsion d’une femme enceinte de cinq ou six mois ne pose aucun problème éthique ni au président de la République, ni au ministre de l’intérieur ni à leurs subordonnés. Le fait que le compagnon de Huiling n’ait pas, lui aussi, été assigné à résidence signifie que l’état n’envisage pas son expulsion à court terme. Autrement dit, la perspective de rendre quasi orpheline une gamine de 9 ans en expulsant sa mère en Chine et de rendre un enfant à naître quasi orphelin de père en le laissant en France est conforme aux grandes valeurs dont monsieur Macron se réclame verbalement si souvent.
La conclusion s’imposait : l’assignation à résidence de Huiling CAO est levée et donc son obligation de pointer au commissariat. La préfecture du 93 a l’obligation de réétudier son dossier dans un délai de deux mois et, en attendant, de lui délivrer une autorisation de séjour provisoire. Enfin, une somme de 1000 Euros est versée à Huiling Cao pour couvrir ses frais d’avocat.
Au-delà de la situation de Huiling CAO et de sa famille, reste le plus important : la reconnaissance par la justice du caractère inhumain de la politique mise en œuvre par ce président et ce gouvernement. Même camouflée derrière les discours grandiloquents du président, elle doit être dénoncée et combattue autant que celles de Sarkozy, Hortefeux ou Valls.
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