Le chemin parcouru depuis les mines meurtrières du Congo creusées à mains nues jusqu’aux téléphones et ordinateurs portables du consommateur.
extrait
Le soleil se levait sur l’un des gisements les plus riches sur terre, dans l’un des pays les plus pauvres au monde, tandis que Sidiki Mayamba se préparait à partir travailler.
Mayamba est un mineur de cobalt. La terre rouge de la savane, devant chez lui, recèle une richesse en cobalt et autres minerais si stupéfiante qu’un géologue la qualifia un jour de « scandale géologique ».
Ce paysage isolé du Sud de l’Afrique est au cœur de la folle ruée mondiale vers le cobalt bon marché, un minerai indispensable aux batteries lithium-ion rechargeables qui alimentent les smartphones, ordinateurs portables et véhicules électriques fabriqués par Apple, Samsung et les grands constructeurs automobiles.
Mais Mayamba, âgé de 35 ans, ne savait rien du rôle qu’il tenait dans la gigantesque chaîne d’approvisionnement mondiale. Il se saisit de la pelle en métal et du marteau à l’extrémité endommagée entreposés dans un coin de la pièce qu’il partageait avec sa femme et son enfant. Puis il enfila une veste couverte de poussière. En homme fier, il aime à revêtir une chemise boutonnée même lorsqu’il descend à la mine. Justement, il comptait y travailler à la main toute la journée et toute la nuit. Il ferait un somme dans les tunnels souterrains. Pas d’outils industriels. Pas même un casque. Le risque d’éboulement est permanent.
« As-tu assez d’argent pour acheter de la farine aujourd’hui ? » Demanda-t-il à sa femme.
Elle en avait. Mais voilà qu’un agent de recouvrement se présenta à la porte. Ils s’étaient endettés pour du sel. La farine attendra.
Mayamba tenta de rassurer sa femme. Il dit au revoir à son fils. Puis jeta sa pelle sur son épaule. Il était temps de partir.
La demande mondiale croissante en cobalt est parfois comblée par une main d’œuvre — dont des enfants — qui trime dans des conditions rudes et périlleuses. Selon les ouvriers, les autorités gouvernementales et les témoignages recueillis par le Washington Post lors de ses visites dans des mines isolées, il y aurait environ 100 000 mineurs de cobalt au Congo qui se servent d’outils manuels pour creuser à des centaines de mètres de profondeur avec peu de surveillance et de maigres mesures de sécurité. Les décès et les accidents sont monnaie courante. De plus, les autorités sanitaires indiquent que l’activité minière expose les communautés locales à des métaux dont les niveaux de toxicité semble liés à des affections parmi lesquelles on compte des problèmes respiratoires et des malformations congénitales.
Le Washington Post [WP] remonte le parcours du cobalt et, pour la première fois, expose comment le cobalt extrait dans ces conditions si rudes aboutit dans des produits de consommation courante. Depuis les mines congolaises à petite échelle, il est acheminé vers une seule compagnie chinoise – la Congo DongFang International Mining, appartenant à l’un des plus gros producteurs de cobalt dans le monde, Zhejiang Huayou Cobalt – qui fournit depuis des années quelques uns des plus grands fabricants mondiaux de batteries. Ceux-ci, à leur tour, fabriquent les batteries qu’on trouve dans des produits tels que les iPhones d’Apple – une découverte qui remet en cause les affirmations des entreprises lorsqu’elles prétendent être en mesure de contrôler leurs chaînes d’approvisionnement s’agissant des violations des droits humains ou du travail des enfants.
En réponse aux questions posées par le WP [Washington Post], Apple a reconnu que ce cobalt se retrouvait bien dans ses batteries. Le géant de la high-tech, dont le siège se trouve à Cupertino, en Californie, a déclaré qu’environ 20 % du cobalt qu’il utilise provient de Huayou Cobalt. Paula Pyers, cadre en charge des responsabilités sociales de la chaîne d’approvisionnement, a annoncé que la firme envisageait d’accorder davantage d’attention à la provenance de son cobalt. Elle a ajouté qu’Apple s’engageait à travailler avec Huayou Cobalt pour assainir la chaîne d’approvisionnement et pour régler les problèmes sous-jacents, tels que l’extrême pauvreté, qui engendrent les conditions de travail pénibles et le travail des enfants.
Un autre client de Huayou, LG Chem, l’un des principaux fabricants mondiaux de batteries, a confié au WP qu’il avait cessé d’acheter des minerais en provenance du Congo à la fin de l’année précédente. Samsung SDI, un autre gros fabricant de batteries, a déclaré qu’il menait une enquête interne mais que « selon ce qu’ils étaient en mesure de savoir », si la compagnie utilise du cobalt extrait au Congo, celui-ci n’est pas fourni par Huayou.
Peu d’entreprises retracent régulièrement l’origine de leur cobalt. Ainsi que l’a constaté le WP, suivre le parcours depuis la mine jusqu’au produit fini est difficile mais possible. Car des gardes armés bloquent l’accès à de nombreuses mines du Congo. De là, le cobalt transite par plusieurs entreprises et parcourt des milliers de kilomètres.
Cependant, 60 % du cobalt mondial provient du Congo – un pays chaotique en proie à la corruption et marqué par une longue histoire d’exploitation étrangère de ses ressources naturelles. Au siècle dernier, les sociétés pillaient la sève de l’hévéa et les défenses des éléphants alors que le pays était une colonie belge. Aujourd’hui, plus de cinq décennies après l’accès à l’indépendance du Congo, ce sont les minerais qui attirent les entreprises étrangères.
Quelques uns de ces minerais font l’objet d’une vigilance accrue. Une loi états-unienne de 2010 exige que les entreprises tentent de s’assurer que l’étain, le tungstène, le tantale et l’or qu’elles utilisent proviennent de mines non contrôlées par la milice dans la région du Congo. Il en résulte un système généralement perçu comme un moyen de prévention des violations des droits humains. Certains disent que le cobalt devrait être rajouté à la liste des minerais de conflit, même si on pense que les mines de cobalt ne jouent aucun rôle dans le financement de la guerre. Apple a déclaré au WP que la firme est d’accord pour inclure le cobalt dans cette loi.
Le commerce du cobalt au Congo fait l’objet de critiques depuis une dizaine d’années, essentiellement de la part de groupes de défenses des droits. Aux États-Unis, les groupes de commerce ont eux-mêmes reconnu l’existence de ce problème. La Coalition citoyenne de l’industrie électronique – dont les membres comptent des sociétés telles que Apple – a fait part de ses préoccupations en 2010 concernant les risques d’atteintes aux droits humains liés à l’extraction de minerais, dont le cobalt, ainsi que la difficulté de remonter les chaînes d’approvisionnement. Le ministère du Travail des États-Unis inscrit le cobalt congolais parmi les produits dont il y a tout lieu de penser qu’ils sont issus de la main d’œuvre infantile.
L’inquiétude concernant les conditions d’exploitation du cobalt « est mise sur le tapis tous les quatre matins » a déclaré Guy Darby, analyste auprès de la société d’étude « Darton Commodities » à Londres. « On aborde le problème avec force grognements, réticences et désapprobations, et puis on l’oublie ».
Au cours de l’année qui vient de s’écouler, une organisation néerlandaise, le Centre de recherche sur les sociétés multinationales, connue sous le nom de SOMO, ainsi qu’Amnesty International, ont publié des rapports rapportant des pratiques irrégulières, notamment des déplacements forcés de villages et la pollution de l’eau. Le rapport d’Amnesty, qui accuse Congo DongFang d’acheter des matériaux extraits par des enfants, a incité d’autres sociétés à assurer que le parcours de leur cobalt était passé au crible.
Mais lorsque les journalistes du WP se rendirent sur les sites miniers du Congo cet été, ils constatèrent que les problèmes demeuraient flagrants.
En septembre, Chen Hongliang, le président de Huayou Cobalt, société mère de Congo DongFang a indiqué au WP que sa firme ne s’était jamais interrogée sur la manière dont ses minerais étaient obtenus, bien qu’ayant des exploitations au Congo et dans des villes telles que Kolwezi depuis une décennie.
« Il s’agit là d’une lacune de notre part », a déclaré Chen dans une interview à Seattle, lors de ses premières observations publiques relatives à ce sujet. « Nous ne savions pas ».
Chen a specifié que Huayou comptait reconsidérer le processus d’achat du cobalt, qu’elle en avait confié le contrôle à une entreprise extérieure et qu’elle avait entrepris, avec l’aide de clients tels que Apple, la création d’un système destiné à empêcher les pratiques abusives.
Mais le fait que des problèmes aussi graves aient pu persister si longtemps – malgré la fréquence des signaux d’alarme – illustre ce qui peut se produire au sein de chaînes d’approvisionnement difficiles à décrypter parce qu’elles sont pour la plupart réglementées, que les bas prix prédominent et que les difficultés surviennent dans une région du globe lointaine et tumultueuse.
Les batteries au lithium-ion étaient censées se distinguer des technologies sales et toxiques du passé. Plus légères et concentrant davantage d’énergie que les batteries au plomb-acide classiques, ces batteries riches en cobalt sont considérées comme étant « vertes ». Elles sont indispensables aux projets visant à dépasser un jour les moteurs à essence asphyxiants. Ces batteries sont déjà indissociables des appareils de pointe du monde entier.
Les smartphones ne tiendraient pas dans nos poches sans elles. Les ordinateurs portables ne tiendraient pas sur nos genoux. Les véhicules électriques seraient inutilisables. A bien des égards, la ruée vers l’or actuelle de la Silicon Valley – depuis les appareils mobiles jusqu’aux voitures sans conducteur – est fondée sur la puissance des batteries au lithium-ion.
Mais tout cela se paye à un prix exorbitant.
« C’est vrai, il y a des enfants dans ces mines », a avoué, dans une interview, Richard Muyej, gouverneur provincial (le poste officiel le plus élevé) de Kolwezi. Il a également reconnu l’existence de décès et de pollution liés aux activités extractives.
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