« On n’arrête pas le progrès », parait-il ! En tout cas, le transhumanisme pointe son nez, à grands pas !
Première partie
On le sait, puisqu’on nous rabat les oreilles : « Le transhumanisme, c’est le progrès ». Un siècle et demi passé, depuis le milieu du 19e jusqu’en ce début du 21e siècle, l’argument massue tombe toujours inchangé pour nous annoncer le devenir non-négociable du genre humain : « On n’arrête pas le « progrès » ! » Et désormais le progrès passe par le transhumanisme, le devenir machine de l’Homme.
Sans originalité, au tournant du millénaire, dans l’effondrement général de la biodiversité et la menace du dérèglement climatique, l’élite scientifique des bits et bio-nano-tech s’est mise en tête de nous redonner un futur rutilant et dynamique : confiner l’espèce Homo sapiens dans son méga-univers technique. Après avoir tenté de mettre de « l’intelligence » humaine dans les machines, la nécessité s’est imposée d’introduire des micro-machines dans l’organisme pour rendre la souche sauvage plus interactive et obéissante. C’est le programme voulu réjouissant du transhumanisme …
Bien évidement il faut s’attendre à des résistances des intéressés ; c’est là qu’interviennent les prophètes comme Kevin Warwick pour rendre désirable cette ultime machinerie de la civilisation industrielle.
Le fameux compteur « intelligent » Linky
Présenté comme le nec plus ultra des économies d’énergie, Linky s’est imposé en tête de gondole de la « transition énergétique ». Mais au final, il a loupé sa sortie et défraie la chronique malgré le marketing particulièrement soigné. Personne n’a été dupe. Le gadget « intelligent » (remarquable cet adjectif pour un objet !) inventé par Enedis (ex-ERDF), laisse aisément à penser que les concepteurs n’avaient pas toutes leurs facultés lors de la mise au point du compteur ou -pire encore- que les intentions qui les animaient étaient peu avouables. Le « progrès », en effet, n’est pas à première vue très enthousiasmant.
D’abord la catastrophe environnementale saute aux yeux -comme l’alcootest de Sarko mais à la puissance dix. Changer le compteur actuel qui peut durer jusqu’à 60 ans par un moderne, « communicant » et « intelligent » qui va durer au mieux 15 ans (c’est même prévu pour au maximum 7 ans !) : on connaît déjà trop bien la catastrophe actuelle des DEEE (Déchets d’Equipement Electrique et Electronique) qu’il faut évacuer vers l’Afrique et l’Asie du Sud-Est et la Chine pour ne pas être enseveli en Europe. On ose à peine faire le calcul des millions de tonnes de déchets à évacuer… tous les 7 ans. Sarkozy avait reculé quand on lui a mis devant le nez les conséquences environnementales désastreuses de sa « tolérance zéro » au volant. On se demande comment des « têtes-bien-pleines » et chargées de fourguer de l’intelligence dans un gadget n’aient pas eu la présence d’esprit de visualiser les tombereaux de déchets qu’ils allaient générer. De toute évidence leurs intentions ne s’inscrivaient pas de la « transition énergétique »
Ensuite, et à la louche, avec ce compteur new-look, il y a de quoi déguster et déchanter ; le « progrès » c’est :
- Dépenser 5 à 7 milliards d’euros pour remplacer 35 millions de compteurs ;
- Accepter que ces installations et ces renouvellements successifs gaspillent d’immenses quantités d’énergie, de matières premières…
- Se préparer à des dysfonctionnements ;
- Courir le risque d’incendie ;
- Accepter de nombreuses suppressions d’emploi ;
- Accepter le risque de piratage, de cambriolage ;
- S’attendre à des surfacturations et à des propositions de tarif très individualisées dont seul Enedis aura la maitrise ;
- Ne plus être couvert par les assurances dans le domaine des champs électromagnétiques ;
- Connaitre sa consommation le lendemain alors que le compteur actuel permet de suivre la consommation au jour le jour ;
- Servir de cobaye : les radiofréquences CPL du Linky sont officiellement classées « potentiellement cancérigènes » (catégorie 2B) par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC).
Si ce n’est le « télécran » du roman d’anticipation de George Orwell, « 1984 », Linky, c’est une vie privée bafouée. Comme Big Brother avec le « télécran », derrière Linky se cache le Big Data. Ledit « compteur » ne se contente pas de compter, il sert à capter en continu des données sur nos vies, les « data » qui font grossir « Big Data ». A l’échelle humaine, on imagine à peine les innombrables informations que peut produire Linky, à commencer simplement par notre présence ou absence du logement. Et comme il y a production (d’informations), il y a, en toute logique néolibérale, marché. Empaquetées et classées dans des serveurs, on peut vendre ces données à d’autres grandes entreprises à but commercial (Amazon, Darty, Auchan …).
Bien sûr, par vice atavique du « contrôle de routine », la police peut vouloir fourrer son nez dans les données. Ainsi, la mise en place de compteurs communicants donnera aussi aux autorités des outils de surveillance généralisée de la population.
Le mouchard Linky met en place un système de monitorage de l’espace intérieur qui remplace ou anticipe la volonté de l’homme et le livre aux algorithmes des ordinateurs et robots « intelligents ».
Par ailleurs, les Data Center qui gèrent ces Big Data consomment actuellement en France 10% de la production de l’électricité : Ce n’est pas rien… et la progression ne fait que commencer ! Bien entendu, la facture sera payée par l’usager (Enedis dirait « le client »).
Pour plus de précisions sur le sujet, il est conseillé, entre autres, d’acheter (4 €) le livre paru aux Editions du Passager Clandestin : « Sexy Linky ? »
http://lepassagerclandestin.fr/catalogue/hors-collection/sexy-linky.html ]
Linky est un des petits maillons de la chaîne que l’on veut mettre en place pour subordonner à terme l’Homme à l’ordinateur, à la machine, aux objets connectés …
Stupidité et Progrès
A ce stade, face aux inconséquences environnementales évidentes des concepteurs du compteur Linky, il est possible de se permettre au moins un petit commentaire avant d’être entrainé plus loin dans le « progrès ». Un physicien célèbre du siècle passé, après tant de progrès scientifiques et techniques accomplis en un demi-siècle, s’autorisait un petit bilan d’étape sur l’état du monde. Il en était réduit à faire un constat préoccupant : « à ma connaissance il n’y a que deux choses infinies en ce monde : l’univers et la stupidité humaine. Pour l’univers je n’en suis pas tout à fait sûr… » Pourquoi, dans un siècle de croissance exponentielle des sciences et des connaissances, a-t-il choisi la stupidité plutôt que l’intelligence pour comparer ces deux infinis ? Pourquoi n’a-t-il pas vu les perspectives infinies véhiculées par le progrès ? Fort probablement il en avait assez vu. Si l’on partage le point de vue d’Albert Einstein, on n’a pas d’autre choix que d’assimiler le progrès à la stupidité humaine ou, du moins, d’établir une relation entre les deux dont la stupidité en serait la grande bénéficiaire. En un demi-siècle de progrès fulgurant dans les domaines des sciences et techniques, aux yeux du savant, ce qui était le plus saisissant c’était la stupidité. Bien sûr nul n’est obligé de partager le point de vue de l’illustre physicien !
Intelligence artificielle, monde-machine … robotisation. La perspective est qu’à terme l’homme devienne un sous-robot puisque, dans cette course folle, les machines ont déjà plusieurs longueurs d’avance.
Pour ce qui est de la stupidité liée au progrès on en voit déjà les dégâts avec le livre sur « le désastre de l’école numérique » –sans tenir compte de son coût exorbitant et de la prolifération incontrôlée des DEEE (Déchets d’Equipement Electrique et Electronique). Face à cette surenchère de l’absurde, Philippe Bihouix, ingénieur, co-auteur du livre avec Karine Mauvilly, tente d’alerter : «avec l’école numérique, nous allons élever nos enfants « hors-sol », comme des tomates».
L’envers du progrès
Comme il fallait s’y attendre avec cet impératif à sens unique des temps modernes -« On n’arrête pas le progrès ! »-, arrive le versant du transhumanisme.
Les dernières étapes de ce « progrès » se caractérisent par une course en avant : le tout numérique. Après la diffusion massive de micro-informatique arrive l’intelligence artificielle et l’on parle désormais de « silicolonisation du monde ». Le monde-machine envahissant transsude vers le transhumanisme.
Ainsi, on n’y peut rien : « c’est le progrès » ; inutile de résister…
Comme toute divinité, le « progrès » réclame des sacrifices, des hommes en grand nombre de préférence. Et, sans originalité, à l’exemple de la Grande Guerre, il s’est lui aussi montré assoiffé de petits paysans. Après l’hécatombe, le progrès motorisé de agroalimentaires c’est, on le sait, la « Malbouffe » avec en prime la stérilisation des terres. A terme, il faudra bien lui sacrifier les petites parcelles qui servent de passe-temps ludique pour les jardiniers. Ne faut-il pas laisser faire les professionnels !
Pour que le progrès puisse s’exprimer en progressant et en formatant les individus, on a dû inventer l’obsolescence programmée. On voit déjà ce que ça donne dans le domaine de l’électroménager. Contrairement aux réacteurs nucléaires, que l’on tente malheureusement de perfectionner (cf. la technique ITER) et que l’on veut prolonger jusqu’à la catastrophe, les réfrigérateurs qui pouvaient durer 40 ans doivent désormais durer moins de 10 ans.
Le « progrès », c’est programmer la mise en panne des imprimantes au bout d’un certain nombre de photocopies.
« Dans l’industrie automobile, le « progrès » est proliférant : avant l’avènement de la voiture autonome, c’est l’électronique et le numérique qui ont déjà pris les commandes »
http://carfree.fr/index.php/2007/10/15/quand-la-voiture-devient-automobile/
Les problèmes simples de mécanique ont cédé la place à des problèmes complexes que seul un ordinateur spécialisé est autorisé à résoudre. Chez Renault ou Peugeot –par exemple-, seul le garagiste concessionnaire est équipé. Le mécanicien d’antan peut toujours s’accrocher : plus question d’ouvrir le capot de son propre chef au bord de la route. Le contrat d’assurance doit d’ailleurs comprendre la prise en charge du transfert de la voiture vers le concessionnaire.
Puisqu’avec le « progrès » l’impératif est de ne rien tenter de faire soi-même, on en est arrivé à la création des voitures autonomes qui fonctionnent sans conducteur.
Le « progrès » initié par ses techniciens a inventé les convois de camions ; le premier est conduit par un chauffeur en chair et en os, les autres suivent automatiquement par mimétisme … sans chauffeur : on a redécouvert le train !!!
Ainsi, insidieusement, par l’appareillage de leur environnement, les personnes s’habituent à être assistées et intègrent cet état de fait. Mais, derrière ces dispositifs qui semblent fluidifier la vie, il y a des experts-système pour les encadrer, les guider dans tous les domaines : l’alimentation, la technique, le social, la politique … Au final, il faut bien payer le service et, là encore, inutile de passer par la caisse : les prélèvements sont automatiques, fractionnés, basse intensité …
Tout est lissé, feutré et semble sans violence. Mais la dure loi du profit ne fait pas de quartier. La fracture sociale s’aggrave, la France se peuple de sans-toit. On dénombre déjà plus de 500 bidonvilles sur le territoire. Et, parmi ceux qui conservent un toit, la « précarité énergétique » s’est installée. La malnutrition prend de l’ampleur, elle touche tous les pays du monde, pas seulement ceux du tiers-Monde : « une personne sur trois souffre de ce fléau, qu’il s’agisse de retard de croissance chez l’enfant ou de surpoids chez l’adulte » (extrait du journal Le monde). Dans cette descente collective aux enfers, on comprend qu’il faut des prophètes pour continuer à paver de bonne intention le chemin du progrès.
Dans ce monde hanté par le « progrès », on n’est plus à ce détail près. Et puis les experts le disent : il y a trop de monde sur terre. Avec le réchauffement climatique, il faudra passer de 9 milliards d’habitants à 1,8 milliards en 2100 (prévision d’un analyste) ! Il faut bien que les riches vivent !
Ce nouveau monde de « progrès » pousse la grande majorité des habitants à accepter tout ce qui arrive. Le chômage de masse est déjà là et les perspectives à venir ne sont pas très réjouissantes. Les experts ne sont pas payés pour envisager une autre forme de travail, une autre répartition. On ne veut pas envisager de se poser la question du travail.
« Le travail, et après ? » : un livre écrit par quatre auteurs –R. Christin, J.C. Giuliani, P. Godard et B. Legros.
« Mourir au travail ; plutôt crever » : un livre de Didier Harpagès.
Intelligence artificielle et robotique
Si l’on se fie aux annonces tonitruantes des prophètes, elle avance à grande vitesse. Encore faut-il savoir de quoi on parle quand on agite ce concept d’intelligence artificielle. Pour l’heure, dans le domaine des applications pratiques et derrière ce leurre dans le mélange des genres entre intelligence (biologique) et puissance de calcul (informatique), il s’agit de recherche et développement stratégique pour les militaires et, comme pour le nucléaire, il faut que ces secteurs se financent sur la société civile. Ainsi, sans demande sociale, on voit proliférer des robots et automates sur l’espace public :
– « Intelligence » dans le domaine des robots, des matériaux high tech, des hommes volants, des voitures volantes …
– Révolution sociale dans l’Etat islamique et esclavagiste d’Arabie saoudite : le roi vient d’accorder la citoyenneté à Sophia, un robot humanoïde. Le prénom féminin de l’engin laisse probablement présager une future émancipation de la femme dans cette pétromonarchie.
– En France on suit le mouvement ; certains EHPAD s’équipent du robot Nao plutôt que d’embaucher des soignants humains.
– Elon Musk, patron milliardaire de Tesla, déborde d’idées ; il travaille d’arrache-pied pour connecter les cerveaux et les ordinateurs dans le but d’ « augmenter leurs capacités cognitives ».
– Pierre-Marie Lledo, chercheur à l’Institut Pasteur, s’active dans la haute-voltige scientifique, il pratique l’optogénétique : un secteur de recherche transversal associant la transgénèse et la neurophysiologie, afin d’intégrer des gènes dans les neurones pour en prendre le contrôle. Avec ses cerveaux génétiquement modifié, il peut ainsi « former et effacer des souvenirs ».
– L’Institut génomique de Beijing en Chine est aussi dans la course mais reste dans le gros-œuvre ; il sélectionne les embryons humains les plus « intelligents ».
– Tous les jours, des hommes et des femmes pratiquent le tri sélectif dans leur laboratoire ; ils éliminent les embryons défectueux après fécondation in vitro.
– « Pour savoir si vous avez bien dormi, demandez à votre oreiller intelligent. Pour détecter des odeurs d’aisselles, faites confiance au nez artificiel conçu par le grenoblois Tristan Rousselle. Nous voilà pressés de nous truffer d’un attirail électronique, en attendant de customiser notre corps à notre fantaisie. Les prochains concours de body building seront sponsorisé par Apple et Applied Digital Systems ».
« Devant le pouvoir machinique, il n’y a pas d’« Homme », mais les maitres de la machine et la plèbe subissante ».
« La technologie est le moyen et la machine des technocrates pour s’approprier le pouvoir au détriment des sans-pouvoir –même quand ces derniers s’imaginent la « maitriser » ou « se la réapproprier ».
Il faudra passer par l’expertise … mais pas n’importe laquelle : « Du point de vue de la rationalité technique, il n’y a qu’une seule meilleure solution, fournie par la classe des experts. A quoi bon discuter ! L’expertise nous dépouille de notre pouvoir politique, en neutralisant les prises de décision pour les placer dans le champ de la compétence technique. Paroles d’un transhumaniste : « afin de trouver une solution technique à un problème spécifique, il faut se référer à la personne qui détient la formation appropriée : l’ingénieur ».
Evidemment, il faut penser à des réactions –bien sûr négatives- de l’opinion. Donc, il faudra utiliser toutes les ficelles de la « démocratie » : « La sociologie des « innovations » a justement des solutions à ce problème. Il s’agit de faire participer les cobayes aux expériences des techno-maitres, grâce à des « procédures de dialogue avec le peuple » (forums « hybrides », conférences de consensus …), selon le principe : « faire participer, c’est faire accepter ». Appelons cela d’un oxymore, « démocratie technique », dont l’objet est d’imposer la logique technicienne –l’expertise- au corps social et politique. Non pas d’introduire la démocratie dans le monde technicien –objectif contradictoire, la technique n’étant pas démocratique. »
La suite de ce long article demain.
Il y sera notamment question de :
- Intelligence artificielle et robotique (encore !)
- La maison du futur dans les Hauts-de-France
- Transhumanisme
- Perspectives