Deuxième partie
Transactions sordides sur l’Archipel des Chagos
Avant de regarder les réfugiés climatiques, voici un haut fait de guerre de l’unification du monde sous la bannière étoilée. En 2017 refaisait surface la tragédie des habitants de l’archipel des Chagos. Un groupe d’îles perdues au beau milieu de l’Océan Indien à 800 miles nautiques au sud des Maldives et (bien sûr) possédée par une grande puissance : l’Empire Britannique.
Au début des années 1960 une transaction sordide sur le sort de ces iles se décide en haut lieu entre l’Empire Britannique sans-le-sou et sur le déclin et l’impérialisme américain, plein aux as en or, or noir, pétrodollars et aussi technologie militaire high tech pour l’époque. Les Etats-Unis veulent un pied à terre tranquille et discret sur la route des Indes et surtout sur celle de la Guerre du Vietnam… Pas grand-chose à l’échelle de ces géants gendarmes du monde, une simple négociation pour un lopin de terre dans le cadre d’une passation de bâton.
Les Etats-Unis avancent l’argent et quelques technologies militaires. Mais, dans le contrat, en plus des terres offertes, se trouve une clause spéciale à la charge des sujets de sa gracieuse majesté propriétaire de l’Archipel : faire disparaître d’une manière ou d’une autre les habitants de ce petit paradis tropical. Plus aucune âme ou foyer ne doit subsister sur ces terres à peine émergées car les Etats-Unis veulent y installer une base militaire aéronavale. L’Angleterre s’exécute et organise la déportation des îliens, d’abord par des voyages touristiques sans billet retour puis de plus en plus manu militari pour accélérer le nettoyage. La mise en branle du méga-chantier avec piste d’atterrissage pour bombardiers lourds et port sur l’ile la plus vaste de l’archipel -Diego Garcia – devait s’inscrire dans le timing militaire déjà chargé du Pentagone.
Quelques décennies plus tard, les descendants des victimes de ce crime répertorié en droit international n’ont pas perdu espoir de retrouver leurs terres d’origine avant que le réchauffement climatique ne les submerge à jamais.
En 2017, donc, avec les autorités de l’Ile Maurice où ont été déportés leurs parents, ils ont tenté de faire valoir leur droit devant l’Assemblée Générale des Nations-Unies… Sans surprise et conformément au sordide accord conclu, les Etats-Unis et l’Angleterre mirent leur véto… Sans surprise non plus, la France s’est abstenue… Le pacte militaire de l’Atlantique Nord n’a que faire des problématiques humanitaires… La neutralité française a cependant choqué Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de littérature, qui l’a qualifié « d’incompréhensible et scandaleuse (5) ». Mais encore une fois l’actualité de la guerre du pétrole au Moyen-Orient nous la rend parfaitement compréhensible puisque la France vend sans mauvaise conscience des armes aux pétromonarchies du Golfe qui sont à la fois des Etats islamistes et esclavagistes financiers notoires des multiples groupes djihadistes, Daech en tête…
Et le Mozambique devient pays pétrolier
Pas de chance pour la Tanzanie, le Mozambique, son voisin du sud, se hisse au rang de pays pétrolier. Elle écopera des pollutions tandis que les élites politiques à Maputo empocheront des royalties. Une poche de gaz de 5000 milliards de mètres cubes a été découverte à l’extrême nord dans les eaux territoriales du Mozambique.
Sans gêne, la presse célèbre l’événement et sans sens de la mesure elle annonce l’émergence du « futur Qatar africain (6) ». Rappelons, pour comparaison des ordres de grandeurs, que les réserves du Qatar découvertes à la fin des années 1960, c’est 24 000 milliards de m3… Avec sa poche de gaz le Mozambique se hissera dans le meilleur des cas au niveau du Nigeria…
Depuis quelque temps, à l’ombre des COP, les tractations sont allées bon train et sont aujourd’hui sur le point de la conclusion… durant la COP23. Seul l’intermède de la chute surprise du prix du baril en 2014, prolongée jusqu’en 2016, a quelque peu ralenti le projet. Mais maintenant que le cours du fluide précieux remonte lentement mais sûrement vers les 100 dollars le baril, la mise en chantier s’annonce imminente.
Pas de chance non plus pour les pêcheurs et paysans mozambicains du nord du pays, le spectre de l’expropriation et de la déportation domine dans la région. Le complexe industriel de liquéfaction du gaz et ses annexes logistiques doivent s’étendre sur quelques 7 000 hectares de terres naturelles ou agricoles. Il faudra faire de la place. Mais tout est prévu dans le package, les habitants n’ont pas été oubliés : le projet a prévu « relogés ». Cependant on peut se poser la question : qu’est que ça veut dire « relogé » pour des paysans et des pêcheurs dont le mode de vie est intiment lié à la terre, au rivage, à la mer et à la biodiversité spécifiques à ces lieux ? Encore des réfugiés !
A la suite d’ENI, la compagnie pétrolière italienne et de ses nombreux partenaires pour ce premier projet, tous les géants du pétrole se sont donné rendez-vous pour d’autres prospections le long de la très longue côte du Mozambique. En vrac, ENI et ses partenaires : Galp (Portugal) CNPC (Chine) Kogas « Corée du Sud), ensuite Exxon, Rosneft (Russie), Sasol (Afrique du Sud) et Total.
Criblé de dettes, le Mozambique est prêt pour être dépecé et défiguré par des éléphants blancs du développement. En Afrique, l’Empire Bolloré a su grandement démontrer son savoir-faire en aménagement portuaire et ferroviaire.
L’Equateur, plus que jamais pays pétrolier
Souvenons-nous, en 2007 était lancé le Projet Yasuni ITT, deux ans après l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto. Pour « sauver le climat », conformément à la volonté affichée de la « communauté internationale », le gouvernement équatorien reprenait à son compte une revendication des indiens d’Amazonie. Il se proposait de renoncer à l’exploitation du pétrole dans le bloc ITT du parc national Yasouni. Indéniablement on était devant une initiative originale et louable face aux enjeux définis par le GIEC. A priori, elle ne pouvait qu’être bien accueillie unanimement avec le plus grand enthousiasme. En contrepartie, l’Etat équatorien, dont le pétrole représentait 50% des exportations, demandait une modique compensation financière à la « communauté internationale » censée être préoccupée au plus haut point par le dérèglement climatique. Une somme de 3,6 milliards de dollars devait être avancée sur 12 ans par les pays les plus pollueurs. Autant dire rien, comparée aux budgets militaires annuellement consentis par la plupart des Etats et encore moins que rien face aux capitaux investis par les compagnies pétrolières coalisées pour trouver et extraire le pétrole non-conventionnel.
En 2013, l’initiative était soudain abandonnée. Au cours des cinq premières années passées, la collecte des fonds n’avait pas pu atteindre la moitié de la somme espérée. Mais ce triste résultat était-il la raison suffisante ? Par une déclaration officielle extrêmement désolée, Rafael Correa, le président équatorien, s’empressait de mettre un terme à l’initiative : « C’est avec une profonde tristesse, mais aussi avec une absolue responsabilité envers notre peuple et l’histoire que j’ai dû prendre l’une des décisions les plus difficiles de mon mandat. » (…) « Le monde nous a laissé tomber ». Le diagnostic était juste. Mais si la « communauté internationale » se fout royalement du climat, restait les revendications des indiens de son pays. Pour eux l’abandon s’abattait comme une trahison et voulait dire : le retour des compagnies pétrolières… l’Enfer (7)!
L’Equateur venait en effet de subir durant trois décennies un désastre écologique majeur dans la forêt amazonienne lié à la délinquance environnementale de la compagnie pétrolière étasunienne Texaco. Par son extension géographique, la catastrophe fut comparée à Tchernobyl et par la quantité des boues toxiques délibérément déversées dans la nature on l’estima à trente Exxon Valdez, soit un échouage de supertanker tous les ans durant la durée de la concession qui prit fin en 1990. Malgré le traumatisme les victimes eurent la force de se réunir et un procès fut intenté à la compagnie pétrolière immédiatement après l’exploitation en 1993. Il débuta aux Etats-Unis puis fut renvoyé en Equateur. Il dura presque un quart de siècle et, au final, la délinquance environnementale de Texaco, absorbés entre-temps par Chevron en 2001, fut reconnue. Malgré toutes les tricheries juridiques de la compagnie et les faux témoignages d’experts pétroliers, le groupe Texaco-Chevron finit par être condamné à payer 9,5 milliards de dollars en dédommagement des victimes (8).
A juste titre après ce long traumatisme et ses séquelles indélébiles en forêt amazonienne, les indiens pouvaient espérer un « plus jamais ça » en Equateur…
Circonstance aggravante pour Rafael Correa, en avril 2010, eut lieu à Cochabamba en Bolivie un contre-sommet de la Cop 15 de Copenhague. Actant déjà la supercherie de ces conférences de la dite « communauté internationale » et donc de l’échec de la Cop 15 en 2009, le président bolivien Evo Morales prit l’initiative de réunir une « Conférence Mondiale des Peuples sur le Changement Climatique et les Droits de la Mère-Terre ». Ici les deux grands problèmes environnementaux du moment, c’est-à-dire de l’Anthropocène – l’effondrement de la biodiversité et le dérèglement climatique – étaient traités dans le même temps. En conséquence logique, le capitalisme le productivisme, le consumérisme et l’extractivisme furent sans difficulté mis en accusation. « Le système capitaliste nous a imposé une logique de concurrence, de progrès et de croissance illimitée. Ce régime de production et de consommation est la recherche de bénéfices sans limites, tout en séparant l’être humain de l’environnement, établissant une logique de domination sur la nature, convertissant tout en marchandise : l’eau, la terre, le génome humain, les cultures ancestrales, la biodiversité, la justice, l’éthique, les droits des peuples, la mort et la vie elle-même (9). » Sans nul doute après ce moment fort de la prise de conscience et de la résistance, les peuples indigènes d’Amazonie pouvaient légitimement espérer qu’une page historique venait d’être tournée. « Les veines ouvertes de l’Amérique latine » pouvaient enfin se cicatriser en paix …
En Décembre 2015, lors de sa visite à Paris dans le cadre de la COP 21, le leader et président équatorien encore en fonction avait nettement changé de ton et de physionomie. Tout-en conservant son double langage il déchirait le voile, montrait son vrai visage d’économiste pragmatique et ainsi confirmait sa respectabilité politique retrouvée au sein de la « communauté internationale ». La parenthèse environnementale équatorienne était fermée. Dans le même temps de cette métamorphose, il confirmait au monde son allégeance aux compagnies pétrolières. Interrogé par la presse, en une seule phrase s’alignaient à la fois son credo et son populisme pour justifier le pire : « L’Équateur exploitera jusqu’à la dernière goutte de pétrole pour sortir de la pauvreté (10) ». Sans mauvaise conscience pour se justifier il inventait une « exploitation pétrolière respectueuse de l’environnement ». Mais si l’on a quelques notions techniques sur l’extraction des énergies fossiles cela veut dire : la multiplication sans entrave des forages, la stimulation des puits en fin vie et si besoin le recours à la fracturation hydraulique, puisqu’en dessous des gisements conventionnels il y a forcément de la roche mère. Autant dire, comme pour les « gaz de schiste, le choix du pire ». Pour mettre en perspective la gravité de cette allégeance, rappelons ici que dans l’Histoire globale du pétrole, l’Équateur, en tant que « pays producteur », est un sous-produit tardif de l’exacerbation des prospections et forages survenus dans les années 1960 à l’initiative des compagnies pétrolières étasuniennes… A cette époque, elles forent tous azimuts dans leur « pré carré » sud-américain. Les poches de pétrole de la jungle amazonienne y furent découvertes, au choix : l’année précédente du premier choc pétrolier en 1973 ou l’année suivante du passage du pic pétrolier étasunien en 1970. Deux dates à garder en mémoire dans l’histoire du fétichisme des énergies fossiles unifiant la dite « communauté internationale ». Depuis, l’Equateur est pour ainsi dire en plein boum pétrolier, quadrillé et prospecté de fond en comble. Le gisement pétrolier du bloc ITT dans le Parc national Yasuni fut découvert en 1990.
Dans le cas de l’Equateur, on sait désormais, par les vingt ans du procès contre Texaco, l’exacte vérité. Pour trouver et exploiter ces misérables poches, la compagnie étasunienne n’a jamais été effrayée par la criminalité environnementale de ses méthodes. Le livre « Un Brin d’Herbe contre le Goudron » rapporte le témoignage de Maria Aguinda, Indienne Quechua protagoniste dans le procès. « Nous étions au Paradis, nous sommes tombés en enfer » C’est en effet, pour les communautés indiennes d’Amazonie, l’histoire d’une apocalypse au sens commun du terme : la fin violente d’un monde, la destruction d’un écosystème. Au nord-est de l’Équateur, la descente aux enfers des peuples indigènes commence avec l’arrivé des géologues prospecteurs de Texaco.
Note
(5) Le Monde Dimanche 2 et Lundi 3 juillet 2017 : « Un écrivain aux côtés des damnés de la Terre. » JMG Le Clézio « le retour au pays des peuples déplacés est un droit fondamental »
(6) Le Monde Samedi 24 juin 2017 Adrien Barbier « Le Mozambique se rêve en « Qatar africain » du gaz. »
(7) Le Monde | 17.08.2013 Thomas Diego Badia et Pierre Le Hir « L’Equateur renonce à sanctuariser le parc Yasuni pour en exploiter le pétrole »
(8) Peuple Quechua contre Chevron
https://www.gitpa.org/Autochtone%20GITPA%20300/GITPA300-153%20ACCES%20%20JUSTICE%20QUECHUA%20.htm
(9) Reporterre 30 avril 2010 « Cochabamba : le texte de l’« Accord des peuples »
https://reporterre.net/Cochabamba-le-texte-de-l-Accord
(10) Le Monde.fr | 09.12.2015 | Par Paulo A. Paranagua et Stéphane Foucart : « Rafael Correa : « L’Equateur exploitera jusqu’à la dernière goutte de pétrole pour sortir de la pauvreté »
http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/12/09/rafael-correa