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Face au chantage aux subventions, les parcs régionaux acceptent la centrale de Gardanne

Les parcs naturels du Luberon et du Verdon acceptent la centrale à biomasse de Gardanne à laquelle ils s’étaient opposés. Renonçant à leur plainte déposée en 2015. Quant à l’association FNE, elle réfléchit à sa position. La raison ? Parcs et association étaient menacés de se voir privés de subventions.

Ils s’inquiétaient de l’impact du projet de centrale à biomasse de Gardanne (Bouches-du-Rhône) sur la forêt provençale et avaient porté leurs interrogations au tribunal. Las ! Après la menace aux subventions de la région Paca, les parcs régionaux du Verdon et du Luberon ont signé, vendredi 29 septembre, un protocole d’accord avec Uniper, le gestionnaire de la centrale, acceptant l’abandon des poursuites. Reporterre était présent lors de la signature des parcs et fait le récit de ce feuilleton très politique.

Dans les tuyaux depuis 2012, l’unité à biomasse de la centrale thermique de Provence aurait dû commencer sa production d’électricité fin 2014. Uniper, ancienne filiale d’E.ON, prévoit d’y brûler 850.000 tonnes de bois par an. Un gâchis environnemental selon de nombreux élus locaux, collectifs et associations écologistes, qui s’inquiètent de l’effet d’entraînement qu’aura cette usine sur « l’industrialisation de la forêt ». Localement, ce sont les nuisances sonores, les pollutions à cause des particules fines, des rotations de camion et des cendres qui sont critiquées.

Le 8 juin dernier, le tribunal administratif de Marseille rendait une décision sans précédent. Saisi en 2015 par les parcs naturels régionaux (PNR) du Luberon et du Verdon, des collectivités locales et des associations environnementales, il a estimé que l’étude d’impact du projet de conversion au bois, faite sur un rayon de 3 km autour de la centrale, était insuffisante. La justice donnait raison aux requérants en annulant l’autorisation d’exploitation et en imposant une nouvelle étude d’impact portant sur l’ensemble du périmètre d’où provient le bois. Voilà qui pourrait faire jurisprudence.

« En droit, on appelle cela du chantage »

Mais depuis, la préfecture des Bouches-du-Rhône a offert une autorisation provisoire de 9 mois à l’énergéticien pour continuer ses activités dans l’attente d’une mise en accord avec les termes du jugement. Et de leur côté, Uniper et… Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique, ont fait appel de la décision de justice. De quoi doucher les écologistes mobilisés sur ce dossier.

Un nouveau coup de gourdin leur a été asséné avec les menaces de Renaud Muselier, président (LR) de la région Paca, dans un communiqué publié dès la parution du jugement : « Il va de soi que nous ne pourrions pas continuer à accompagner des structures qui prendraient une position contraire à celle de la Région sur un projet d’une telle importancpe pour notre avenir collectif. Il est temps que chacun se ressaisisse et comprenne que l’écologie n’est ni une doctrine ni une idéologie, mais doit être mise au service de l’économie pour faire de la croissance verte un atout et faire gagner la France. »

En clair : soit vous marchez avec la région et Uniper, soit on vous coupe les vivres. Un message adressé aux PNR du Luberon et du Verdon et à France nature environnement Paca (FNE Paca).

Sous l’ancienne majorité (PS, EELV, FG), la région s’était prononcée en faveur d’un moratoire sur le projet d’unité à biomasse, suivant en cela les PNR, qui s’inquiétaient d’une mobilisation trop importante de la ressource en bois au détriment des usages locaux et de la biodiversité.

 « Par le passé, nous avons eu des interlocuteurs avec lesquels nous étions en désaccord juridique sur des sujets particuliers, comme la THT Haute Durance, ce qui n’a pas entraîné pour autant l’arrêt de leur soutien », rappelle Gilles Marcel, président de FNE Paca. « Cette situation nouvelle s’inscrit dans une période difficile pour les associations, qui voient une baisse globale du soutien des institutions », ajoute l’écologiste, qui s’inquiète d’une « situation délicate » mettant en danger la dizaine d’emplois de la fédération FNE régionale. Elle a été reçue au conseil régional au cours de l’été pour envisager un protocole d’accord avec la région et Uniper. « Nous souhaitons le redémarrage d’une relation normale avec la région. Nous avons la volonté de nous engager dans le protocole d’accord, mais on ne signera rien si c’est contraire à nos convictions, à savoir défendre l’intérêt général et la santé des populations », plaide Gilles Marcel. Sur le fond, le président de FNE Paca reste convaincu que l’unité à biomasse de la centrale de Gardanne « reste un projet d’une autre époque. Ce n’est pas comme cela que l’on entend la biomasse, mais plutôt en valorisant les chaufferies locales ».

« Avec 70 à 80% de notre budget qui dépend de la région, comment voulez-vous que l’on ait la capacité de décider ? » s’indigne un élu du parc du Verdon. « En droit, on appelle cela du chantage. Mais nous allons y mettre les formes pour exprimer notre désaccord, sans oublier qu’il n’y a eu aucune concertation depuis le début sur ce dossier », exprime un autre délégué du parc du Verdon.

Ce vendredi 29 septembre, les deux PNR du Luberon et du Verdon ont réuni un comité syndical spécial commun dans la salle polyvalente du village de Valensole (Alpes-de-Haute-Provence), situé sur le territoire du PNR du Verdon. L’unique question à l’ordre du jour, posée à la soixantaine de délégués présents, étant la « suite à donner » sur le dossier de la centrale à bois : s’engager dans un protocole d’accord quadripartite (Luberon, Verdon, région, Uniper) ou poursuivre les actions en justice [1]. La réunion était ouverte au public, mais sans que la presse ait reçu d’invitation. Seul média présent, Reporterre.

Le protocole prévoit l’encadrement de l’étude d’impact conformément aux critères du programme national de la forêt et du bois. Uniper s’engage à faire œuvre de transparence en informant les parcs, « une fois l’an, à l’échelle communale, les quantités de bois déclarées par ses fournisseurs » sur les territoires concernés. En contrepartie, les PNR abandonnent toute action en justice. Les quatre parties s’engagent à l’animation de la filière bois locale, qui valoriserait le sylvopastoralisme en répondant aux « difficultés en raison de la fermeture progressive des milieux », respecterait les paysages et la biodiversité et aiderait la politique de lutte contre les incendies. L’étude d’impact est prévue pour un temps très court, jusqu’au 22 décembre, « délai réglementaire et temps de transmission aux services de l’État » compris. Les parties s’engagent pour 3 ans, avec la possibilité de rompre leur participation si elles jugent que les conditions du protocole ne sont pas respectées.

« Nous nous réunissons pour une décision importante pour nos territoires et nos structures. L’exécutif régional a souhaité se placer en médiateur. Nous avons travaillé cet été avec les services régionaux pour sortir d’un blocage », expose en ouverture Bernard Clap, président du parc du Verdon et maire de Trigance, dans le Var. « Le protocole nous fait certes renoncer à nos actions juridiques, mais inscrit le respect de chacun que nous demandons », poursuit la présidente du PNR du Luberon, Dominique Santoni, maire (LR) d’Apt, dans le Vaucluse. « On a passé quelques mois un peu compliqués, dit Éliane Bareille, conseillère régionale (LR) des Alpes-de-Haute-Provence, qui représente la région au PNR du Verdon ; mais tous ensemble nous avons eu la volonté de trouver des solutions et de répondre à une gestion transparente et durable de la ressource locale qui sera un levier pour un développement équilibré du territoire, pour l’approvisionnement durable des différentes filières et la reconquête de la biodiversité ».

« La forêt de Provence ne tiendra pas le choc »

Puis la parole est laissée aux représentants d’Uniper. Jean-Michel Trotignon, chargé des relations institutionnelles pour Uniper France, entend « balayer les problèmes que nous rencontrons et ramener un certain nombre d’infos ». Son argumentaire invoque la « transition » pour « abandonner l’ancien monde, passer du fossile au renouvelable. On ne prétendra jamais que pour les 80 ans à venir l’ensemble de l’électricité devra se faire en biomasse », se veut-il rassurant. Dans un long exposé appuyé d’un PowerPoint, Jean-Michel Trotignon et Gilles Martinez, ingénieur forestier chez Uniper, tentent de désamorcer les critiques. « Nous avons un modèle économique innovant, autre que celui de la papeterie, qui amènera des retombées économiques dans les territoires ruraux », affirme Gilles Martinez. « Le plan d’approvisionnement se compose à 20 % de bois de coupe en forêt méditerranéenne, sur Paca et Languedoc-Roussillon, soit un rayon de 250 km autour de la centrale, 10 % de recyclage, 55% d’importation et 15 % de plaquettes d’élagage », poursuit Jean-Michel Trotignon. Un engagement sur les dix premières années avant que l’importation ne soit abandonnée les dix années suivantes.

Le bois d’importation vient d’Espagne et du Brésil. « Rassurez-vous, ce n’est pas du bois issu de la déforestation, mais de plantations d’eucalyptus certifiées », précise Jean-Michel Trotignon. Une monoculture d’eucalyptus qui accueille des plants transgéniques, qui s’est faite sur une partie de l’Amazonie déforestée et sur la destruction de la savane du Cerrado. Signe que la certification PEFC ou FSC, sur l’ensemble des bois pour Uniper, ne garantit rien. Si les deux hommes souhaitent exposer des bonnes pratiques, présentées comme nouvelles, en réalité le modèle d’E.ON puis d’Uniper n’a pas évolué. Dans les propos de Jean-Michel Trotignon, seul le périmètre d’approvisionnement local, initialement de 400 km, a changé.

Uniper finit par se retirer de la salle pour laisser débattre les élus des parcs. Il ne reste que 25 minutes du temps imparti. « Uniper fait ce qu’il aurait dû faire au dépôt de son dossier, donc quelle garantie avons-nous de la part de cette entreprise ? Pour quelle raison tient-on à la suppression de la possibilité d’agir en justice ? La part belle est faite à Uniper au détriment des parcs. Ce n’est pas un protocole où les parties sont à égalité », affirme Alain Deille, délégué au PNR du Luberon et maire d’Oppède (Vaucluse). L’intervention est applaudie par les deux tiers de l’assistance. Pour Pierre Pessemesse, le représentant de Sivergues (Vaucluse) au sein du PNR du Luberon et « propriétaire forestier de 300 hectares », le projet « n’a pas beaucoup d’impact. Il y a trop de bois, on peut prélever ». « Les déchets verts sont un problème pour beaucoup de nos territoires. La centrale apporte des solutions pour leur gestion », pense Bénédicte Martin, conseillère régionale (LR) du Vaucluse et représentante au PNR du Luberon. Ces deux interventions sont applaudies par l’autre tiers de l’assemblée. « Les critiques sont mesurées. Si nous avions écrit ce protocole, il ne serait pas celui-là, dit Paul Corbier, représentant de Saint-Julien-du-Verdon et vice-président du parc, en guise de résumé du débat. Mais après le clash entre la région et les parcs, le dialogue est renoué. Certes, le protocole n’est pas satisfaisant à 100%, mais je voterai pour, comme vote d’approbation de notre président », semble-t-il se satisfaire. Malgré les désapprobations marquées, la décision rendue par les votes engage les parcs dans le protocole : à l’unanimité moins 5 abstentions du côté du Verdon ; 31 pour, 11 contre et 7 abstentions pour le Luberon. « Il est évident que nous aurons un regard vigilant. Je m’engage à assurer que le protocole soit assumé, c’est un message pour la région et pour Uniper », avertit le président du PNR du Verdon en guise de conclusion.

Le passage en force de la région est à comprendre aussi dans un contexte où les exécutifs régionaux de droite mènent des politiques antiécologistes et lâchent les associations environnementales. À l’image d’un Laurent Wauquiez, chef de file des Républicains, qui se fait pilote en la matière dans sa région Auvergne — Rhône-Alpes. « C’est une offensive généralisée contre les PNR, que la droite n’aime pas », commente Nicholas Bell, de l’association SOS Forêt du Sud.

À Gardanne, la cheminée de la tranche biomasse fume en continu depuis plusieurs jours. « Nous en sommes à la phase finale des tests. Nous avons déjà fourni de l’électricité au réseau. La mise en service est prévue pour les prochaines semaines », explique Jean-Michel Trotignon. « La forêt de Provence ne tiendra pas le choc. Si l’étude d’impact est bien faite, elle remettra en cause l’autorisation d’exploitation », juge Martine Vallon, de FNE 04. La fédération des Alpes-de-Haute-Provence poursuit les actions en justice. Tout comme, notamment, l’Association de lutte contre les nuisances et la pollution (ALNP), animée par les riverains de la centrale. Début 2018, l’appel ouvrira le jugement sur le fond du dossier.

Reporterre.net

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Mépris et piétinement de la démocratie pour la centrale de Gardanne

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