En apparence, tout sépare le président américain et le président français.
Pourtant, comme l’a relevé l’économiste Thomas Piketty, il y a plus une différence de degré que de nature dans leur politique fiscale. Ils mènent la même stratégie du choc.
Trump-Macron, même combat. En lançant le débat sur son blog, l’économiste Thomas Piketty savait qu’il ne manquerait pas de susciter la polémique. Comment oser comparer Donald Trump, président populiste, défenseur d’une ploutocratie à un Emmanuel Macron, président jeune et si policé, pur produit de l’élitisme français ? Comment penser rapprocher les dispositions fiscales prises en France à l’ampleur du choc fiscal adopté par le Sénat américain ?
Tout paraît en effet séparer les deux gouvernements dans leur approche budgétaire. Le gouvernement Trump assume sans frémir que ses divers allégements fiscaux vont se traduire par un gigantesque déficit budgétaire supplémentaire, estimé à ce stade à 1 500 milliards de dollars en dix ans. De son côté, le gouvernement Macron affiche au contraire sa volonté de sérieux et rigueur budgétaire, son objectif de se conformer en tout point aux règles européennes, impliquant de revenir d’abord en dessous d’un déficit de 3 % annuel avant de tendre vers un équilibre budgétaire parfait comme le prévoient les traités Two-Pack et Six-Pack trop souvent oubliés. Tout cela semble s’inscrire dans un ordolibéralisme qui constitue désormais la matrice de la politique européenne, bien éloigné de la révolution fiscale échevelée que veut mener Donald Trump.
À y regarder de près pourtant, les fondements politiques qui sous-tendent les choix budgétaires de Donald Trump et d’Emmanuel Macron sont moins éloignés qu’il n’y paraît. Il y a plus une différence de degré que de nature. De part et d’autre de l’Atlantique, les deux présidents se sont lancés dans une stratégie du choc, telle qu’on n’en a pas vue depuis le début des années 1980.
Tous les deux se réfèrent à la doctrine éculée du ruissellement, la fortune de quelques-uns étant censée retomber en pluie fine sur tous. L’un comme l’autre évoquent la libéralisation des énergies pour capter une croissance supplémentaire. L’un comme l’autre font les yeux doux au monde financier pour tenter d’attirer le maximum de capitaux, assumant au passage un creusement des inégalités sans précédent, au nom de l’efficacité économique. « Pour le dire en termes simples, l’histoire de la politique économique au cours de ces quatre dernières décennies est une lutte de classes entre le capital et le travail, avec le capital qui a gagné haut la main », écrit l’éditorialiste du Guardian, Larry Elliott, dans un récent article. Et c’est bien dans cette histoire-là, totalement assumée, que Donald Trump et Emmanuel Macron ont choisi l’un comme l’autre de s’inscrire, d’en approfondir le mouvement.
Bien sûr, il y a des différences dans les mesures. Là où Donald Trump décide d’abaisser massivement l’impôt sur le revenu, Emmanuel Macron fait adopter une flat tax, plafonnant l’ensemble des prélèvements sur le capital au taux fixe de 30 %. Quand le président américain, soutenu par le Sénat, décide de favoriser outrageusement la rente immobilière – dont il sera le premier bénéficiaire –, le gouvernement français opte pour une réforme de l’impôt sur la fortune, exonérant tous les patrimoines mobiliers, pour le transformer en un impôt sur l’immobilier.
Mais les deux chemins aboutissent au même résultat : un soutien sans précédent aux grandes fortunes. Selon les premières estimations du Tax Policy Center, 83 % des allégements fiscaux, prévus dans la réforme américaine, vont être captés par le 1 % voire le 0,1 % des plus riches au terme des dix ans, alors que les plus pauvres et les classes moyennes ne vont toucher aucun bénéfice, voire même subir une augmentation d’impôt. D’autant que dans le même temps, des pans entiers des politiques publiques, notamment en faveur de l’éducation, vont être réduits.
Emmanuel Macron lui aussi a décidé de devenir le président du 1 % les plus riches, comme l’a chroniqué à de nombreuses reprises Romaric Godin (voir ici, ici ou là encore). Les grands gagnants des mesures fiscales du gouvernement vont être ceux du « dernier décile » des ménages, autrement dit les 10 % des ménages les plus riches. Ceux-ci vont capter 46 % des gains fiscaux promis aux ménages, voire plus pour les 1 %, selon les calculs de l’OFCE. Les contreparties promises aux ménages les plus modestes, sous forme d’allégements de la taxe d’habitation, ne viendront que compenser qu’au terme de trois ans, les cadeaux faits aux riches. Et encore. Car les réductions consenties sur la fiscalité locale vont se traduire par des économies, voire des suppressions de services publics, d’aides, « les richesses de ceux qui n’ont rien », comme le rappellent les ONG qui dénoncent le creusement des inégalités.
Les mêmes ressorts sont à l’œuvre pour les entreprises. Mais là, Donald Trump frappe beaucoup plus fort. Alors que le gouvernement français a opté pour la transformation du CICE en allégement permanent de cotisations sociales à partir de 2019, doublée d’une réduction de l’impôt sur les sociétés, ramené de 33 % à 28 % et à terme à 25 %, le gouvernement américain a choisi une guerre fiscale tous azimuts. L’impôt sur les sociétés, qui était officiellement parmi les plus élevés du monde, va être ramené de 40 % à 21 %. Les grandes banques de Wall Street, les hedge funds, les grands groupes pétroliers et industriels, les compagnies aériennes sont déjà désignés comme les grands gagnants de la réforme.
De plus, l’administration américaine prévoit d’imposer une taxe forfaitaire de 20 % sur les achats des grands groupes américains auprès de leurs filiales à l’étranger qui n’appliqueraient pas les mêmes règles fiscales. Enfin l’administration Trump a prévu un impôt forfaitaire très bas pour inciter les grands groupes à rapatrier les fortunes cachées dans les paradis fiscaux. Les montants sont estimés en milliers de milliards de dollars. À titre d’exemple, les réserves d’Apple dans les places offshore sont estimées à plus de 200 milliards de dollars, celles de Google à plus de 100 milliards de dollars.
Ces dispositions seront-elles suffisamment convaincantes pour amener les grandes multinationales américaines, à commencer par les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) à rapatrier leurs capitaux et leurs emplois aux États-Unis ? C’est le pari de Donald Trump. C’est la crainte de nombreux pays et de l’Union européenne.
La perspective d’assister à un déplacement massif de capitaux en effraie plus d’un. La semaine dernière, les ministres des finances britannique, allemand, français et italien ont cosigné une lettre adressée à la Maison Blanche et au secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin. «Nous saluons l’action américaine visant à combattre l’érosion fiscale et le transfert des bénéfices. Néanmoins, nous sommes préoccupés par le fait que si cela se fait par le biais de mesures qui ne sont pas ciblées sur les arrangements abusifs, cela pourrait avoir un impact sur les véritables activités commerciales. Cela pourrait créer des distorsions sur les règles fiscales internationales aussi bien que dans l’environnement commercial et d’investissement », prévenaient-ils.
Leur mise en garde ne semble avoir eu aucun effet. Donald Trump, qui a plusieurs reprises déjà n’a manifesté guère de préoccupations pour le respect des traités internationaux, est bien décidé à poursuivre dans cette voie du dumping fiscal, au risque d’aviver une guerre économique et commerciale qui ne dit pas encore son nom. Les représentants européens, à commencer par la France, sont bien malavisés de se plaindre. Car depuis des années, ils se sont engagés dans la course au moins-disant social et fiscal, sans le dire. L’adoption de la réforme fiscale américaine va relancer la machine. La course à l’échalote au dumping fiscal va s’accentuer. Après 25 %, on parlera d’un impôt sur les sociétés à 20 % puis à 15 % puis à 10 % pour tendre vers zéro, voire payer les grands groupes pour qu’ils restent. Car c’est l’aboutissement logique de cette stratégie du choc : la destruction de toute base fiscale pour le capital, de toute politique publique, de toute mesure contre les inégalités.
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Un commentaire après le discours de MACron le 31 décembre de l’an dernier
D’après beaucoup d’observateurs, Jupiter n’a pas dit grand-chose.
Etonnamment calme : il est vrai qu’il n’avait aucun interlocuteur à pourfendre, il s’adressait avec bienveillance à ses administrés, parmi eux les faignants, ceux qui voudraient « foutre le bordel » et même « ceux qui ne sont rien » qu’on rencontre dans les gares bloquées, comme « ceux qui réussissent », par les incidents divers qui n’épargnent même plus les prestigieux TGV.
Pourtant, le peu qu’il a dit était important : Je n’ai pas entendu tout le discours, occupé à terminer l’année dans l’amitié plutôt que dans la dévotion au grand Mamamouchi mais les média, dès le 1er janvier, avec une belle unanimité nous en révèlent la substantifique moelle.
« Les transformations se poursuivront avec la même force en 2018 » : Le Président assume donc entièrement le programme que Denis Kessler assignait déjà à la droite dans un éditorial du magazine « Challenges » en 2007 : « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ! ». Dans cet éditorial, l’ancien président du CNPF (aujourd’hui MEDEF) précisait : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer ». De toute évidence, le gouvernement Macronien et sa majorité style seconde république vont s’y employer activement, certaine actes déjà réalisés comme la loi travail nous faisant déjà reculer jusqu’au XIXe siècle.
Autre affirmation péremptoire : « Toujours j’écouterai, j’expliquerai, je respecterai, mais toujours à la fin je ferai (…) » : Autrement dit : « Le peuple saura qu’il a un chef qui décidera pour lui ». J’ai eu la curiosité de regarder l’une des définitions du fascisme donnée par le dictionnaire Larousse : « Doctrine ou tendance visant à installer un régime autoritaire rappelant le fascisme italien ; ce régime lui-même ».
Il a aussi, ce n’est pas la première fois, exprimé le souhait de « faire revivre la renaissance française ! » . Cette fois, nous ne sommes plus au XIXe siècle mais … au XVIe siècle !! Le « grand projet social » auquel il rêve pourrait bien être kitch au point de séduire les plus conservateurs.
Ainsi les vœux présidentiels cette année ont-ils en effet quelque chose de nouveau : Il reflète tout et son contraire … en même temps.
- un alignement sur l’ordolibéralisme européen, fer de lance d’un néolibéralisme avec un avenir de GAFAS et de multinationales tournées vers un avenir de profits.
- et un retour indéniable vers de vieilles recettes populistes qui pour l’instant pourraient encore séduire une partie de la population qui, comme la grenouille de la fable, cherche toujours un chef.