Faut-il laisser les enfants croire au Père Noël ?
Exercice moralement ambigu ou conte qui aide à grandir ? La question est posée.
De passage à Chicago et en visite à sa célèbre Université, nous avons interrogé Mme Judith Helen Winnicott, élève du célèbre Pr Bruno Bettelheim, l’auteur du réputé Psychanalyse des Contes de fées. Mme Winnicott y est directrice, depuis la disparition de son maître en 1990, de l’École Orthogénique de l’Université, école consacrée aux soins et à l’éducation des enfants émotionnellement perturbés. Ne le sommes-nous pas tous un petit peu ?
Mme Winnicott, une question nous taraude, en ce 25 Décembre, jour où les enquêtes en milieu scolaire tendraient à montrer que près de 60% des enfants croient encore au Père Noël : qu’en est-il de la balance bénéfices / risques, nous utilisons à dessein cette formule néolibérale, qu’en est-il exactement des conséquences de cette croyance, de ce mensonge sur la psychologie des bambins ? Qu’espérer, que redouter ?
Cher ami, il n’y a pas de réponse simple à votre question, tant vous le savez, le mensonge est aussi un moyen de réconfort.
L’adulte réconfortant un enfant en lui disant que son idole disparue repose maintenant au paradis des idoles, à l’Île de Saint-Barthélemy, fait sans doute mieux que celui qui lui dit la vérité : Johnny est retourné dans le grand cycle du carbone.
Certes, Mme Winnicott, mais mentir aux enfants à propos du Père Noël, c’est d’abord tromper leur confiance. Un jour, ils découvriront probablement la vérité – ils y auront entre-temps laissé quelques plumes – la désillusion sera terrible. Apprendre en pleine cour de récré qu’on a été si longtemps trompé ne peut être que traumatisant. Et la désillusion n’est pas forcément synonyme de lucidité. Qui sait alors sur quelle créature, puisqu’il n’y aura plus de Père Noël, reporteront-ils leurs affects, leur besoin d’espoir et d’amour ?
Peut-être, mais il n’empêche, les mythes ont dans les sociétés humaines une fonction pratique : ils aident à maintenir les enfants dans l’ordre et l’obéissance. Il faut incidemment se garder de comprendre cette idée de stratégie en un sens ouvertement réfléchi et calculateur – évidemment il ne faut pas l’exclure non plus. Pendant tout le quinquennat, même si le Père Noël nous visite chaque année, sa venue est invoquée pour rappeler aux enfants que sa générosité dépendra de leur sagesse tout au long de l’année écoulée. Nous citerons pour cela le célèbre Noam Chomsky, l’auteur de La fabrique du consentement.
« Si l’on veut transformer les gens en consommateurs décervelés pour qu’ils ne gênent pas le travail quand on réorganise le monde, on doit les harceler depuis leur plus tendre enfance »
Quant à savoir ce que contiendront les cadeaux une fois dépouillés de leurs emballages – assurance-chômage, CSG, calcul de la retraite, droit du travail, accueil des migrants – les enfants n’en ont cure. Souvent comptent beaucoup plus pour eux papiers étoilés, guirlandes et rubans.
Merci Mme Winnicott. Nous avons entendu votre message. Croire au Père Noël n’est pas indispensable, peut-être un peu dangereux, mais finalement tellement utile.
À nos amis lecteurs, un conseil : n’en faites pas trop non plus. Laissez tomber le coup du tonton déguisé surgissant de derrière la cheminée le 24 au soir. Médias et instituts de sondage, ils appartiennent souvent aux mêmes personnes, se chargent de tout.