Septembre 2017, un scenario étonnant !
Un avant-projet de loi, relatif à la production d’hydrocarbures sur le territoire national, a été dévoilé aux ONG à la fin août dernier. Il s’agissait d’interdire cette production… au-delà de 2040. Collectifs et associations environnementales ont planché sur le texte et donné une conférence de presse lors de sa présentation en conseil des ministres, début Septembre. Ils entendaient dénoncer l’exclusion des gaz de couche5 de l’interdiction, le fait qu’aucune restriction n’interviendrait d’ici 2040, etc…
Mais… le texte qui a été examiné en conseil des ministres n’était pas du tout celui qu’on leur avait présenté ! Jolie manœuvre du gouvernement pour décrédibiliser les collectifs qui, du coup, n’ont pas réagi sur le contenu réel de la loi, à savoir : plus besoin d’exclure le gaz de couche de l’interdiction d’exploiter, on s’en tient à la loi de Juillet 2011 qui n’interdit que la fracturation hydraulique, les demandes de permis seront renouvelées, le droit de suite, qui permet au titulaire d’un permis d’exploration dont la prospection se révèle fructueuse d’exploiter quasi automatiquement, sera maintenu…
Pour autant, lors de l’examen du projet de loi en commission du développement durable à l’assemblée nationale, des amendements intéressants ont permis de renforcer le texte sur certains points, notamment celui interdisant toute technique visant à augmenter la perméabilité d’une roche de façon permanente : plus de stimulation du massif rocheux autorisée, donc plus d’exploitation des gaz de couche possible !
La joie des opposants fut de courte durée. En effet, quelques jours plus tard, lors de l’examen du projet de loi en séance plénière à l’Assemblée, les amendements ont été réécrits de telle sorte que, par exemple, l’exploitation des gaz de couche soit à nouveau permise en vidant de tout son sens la définition des techniques interdites. Des amendements de dernière minute ont amoindri le contenu de la loi : si les compagnies prouvent que leurs investissements n’ont pas été rentabilisés, elles pourront prolonger leur concession au-delà de 2040 !
Prendre des risques avec l’assurance d’être gagnant, voilà qui devrait ravir les compagnies !
Le lobbysme des entreprises a placé encore une fois leurs intérêts avant le respect des accords de Paris, pourtant affiché régulièrement par le gouvernement.
Certes, reste au texte de loi1 à franchir l’étape du Sénat mais nous n’attendons pas de miracle.
Etonnant, ces petites magouilles de couloir au regard des enjeux, comme si les « décideurs » n’avaient toujours pas pris la mesure de l’urgence face au chaos climatique qui s’annonce !
Résultat : aucune réduction de production imposée jusqu’en 2040 (c’est-à-dire sur les 1% de notre consommation) et pire encore, aucune allusion aux importations (c’est-à-dire sur 99% de notre consommation) dans le projet de loi sur les hydrocarbures !
Notons que le CETA (accords de libre-échange entre le Canada et l’Union Européenne) est passé en application provisoire ce 21 Septembre. Les Canadiens pourront tranquillement continuer de nous exporter leurs pétroles bitumineux… et Total pourra continuer d’y investir.
Etonnant parce que, dans le même temps, les dérèglements climatiques ont été clairement mentionnés dans les discours de la COP 21, donc reconnus par nos élites !
Etonnant parce que le groupe d’experts indépendant sur le climat (GIEC), que les gouvernements eux-mêmes ont mandaté, ne cesse de rendre ses alertes plus pressantes2, et parce que les scientifiques admettent qu’il faut laisser 80% des ressources fossiles dans le sous-sol…
Etonnant ? Non ! A vrai dire, tout cela n’a rien d’étonnant !
En effet, ce projet de loi est juste une action de communication visant à rassurer les bons citoyens sur l’expertise du gouvernement quant au traitement de la question climatique et à brouiller la perception de sa politique quand il s’agit de permettre aux entreprises de continuer leur business de production d’hydrocarbures et de spéculation !
C’est une escroquerie de la même nature que celle qui consiste à laisser penser que la loi travail est liée au sauvetage des emplois ou que dans cette économie ultralibérale, la compétition de tous contre tous nous permettrait de lutter contre les dérèglements climatiques, ou encore de protéger la santé des peuples et/ou les écosystèmes.
Dans les faits, les COP se succèdent sans jamais décider d’un quelconque engagement contraignant à la hauteur des enjeux, de façon à ne pas remettre en cause les intérêts des multinationales. C’est précisément ce que leur communication vise à cacher.
Croissance verte, économie circulaire, développement durable sont des leurres qui ont largement renforcé le capitalisme, au même titre que les projets grands inutiles et imposés, de façon perverse. EDF s’engage à la fois dans l’éolien industriel et dans l’importation de gaz de schiste américain !
Pourtant, diminuer drastiquement la production de plastiques jetables (gobelets et autres emballages) ou développer les transports doux ou encore lutter contre l’obsolescence programmée ne nécessite pas un profond bouleversement de notre mode de vie, cela limiterait nos consommations de fossiles ; mais même pour cela, il n’y a aucune volonté politique !
Et ces leurres ne modifient en rien l’accélération des consommations qui démultiplient la production d’hydrocarbures. Une preuve parmi d’autres, l’agrandissement du port de Dunkerque pour permettre le doublement du nombre de conteneurs : le déménagement planétaire quotidien doit s’accentuer !
Des hydrocarbures qu’il faudra aller chercher toujours plus loin, toujours plus profond, avec un rendement énergétique de moins en moins performant, sans aucun égard pour les conséquences environnementales de plus en plus lourdes (incendies, déversements d’hydrocarbures et une large contribution à l’effet de serre). Le sommet de l’Industrie pétrolière, à Pau en avril 2016, a confirmé leur volonté de ne pas changer de cap.
La sacro-sainte croissance de nos sociétés repose sur cette course folle aux énergies fossiles. Elle nous impose une consommation sans cesse plus rapide et déconnectée de nos besoins réels, nous entrainant ainsi dans un cercle vicieux, qui entre clairement en contradiction avec la lutte contre les dérèglements climatiques. C’est l’effet « reine rouge », (Lewis Caroll, « Alice aux pays des merveilles ») : il faut courir toujours plus vite pour rester sur place.
Inconséquence, hypocrisie : comment qualifier autrement le discours sur le 1% de production sur le territoire national en occultant les 99% liés aux importations. Ceci au mépris des coûts environnementaux, sociaux, sanitaires et politiques pour les peuples souvent les plus pauvres, pour qui le pétrole est une malédiction.
Le delta du Niger a déjà subi des dizaines de marées noires, au détriment des populations locales, de leur santé et la compagnie exploitante (Shell)3 n’a jamais été sérieusement inquiétée. Dans le même temps, Total lance des projets d’exploitation de gaz de schiste par fracturation hydraulique : Timimoune, en Algérie, Vacca Muerta en Argentine…
Ce que nous voulons interdire ici, nous l’encourageons ailleurs malgré les luttes des peuples concernés. Quand la France offre son concours pour maintenir la sécurité d’un territoire dans un pays africain, il s’agit surtout de mater les résistances locales à des projets pétroliers ou gaziers. Evasion fiscale des grands groupes, non-respect des droits de l’homme… peu importe, le niveau de vie des occidentaux est à ce prix.
Et pour toute réponse à des territoires saccagés par l’exploitation des fossiles par les multinationales : Frontex, la société de protection des frontières de l’Europe, contre toute personne qui rêve d’un avenir moins sombre !
80 % de l’énergie produite dans le monde est encore d’origine fossile : la proportion est la même qu’au début des années 70, mais la production mondiale d’énergie a doublé et mécaniquement, les gaz à effet de serre s’accumulent dans l’atmosphère, engendrant des désordres climatiques déjà largement perceptibles, en France comme sur le reste de la planète.
L’effondrement4 qui vient imposera l’épreuve du sevrage. Trop tard.
1 http://www.assemblee-nationale.fr/15/ta-pdf/0174-p.pdf
2 http://www.ipcc.ch/home_languages_main_french.shtml
3 https://pabloservigne.com/effondrement/
4 https://www.cetim.ch/cas-de-violations-des-droits-humains
5 Le gaz de couche est un gaz non conventionnel issu des veines de charbon profondes qui n’ont pas été exploitées. Ce gaz est exploité en Australie, en Chine, aux Etats Unis… et le plus souvent, par fracturation hydraulique. En Lorraine, plusieurs forages ont déjà été réalisés pour rechercher le gaz de couche ; mais sans fracturation hydraulique… pas d’exploitation rentable pour l’instant.
Un article de Christine Poilly dans LaGueuleouverte.info