Vive la ZAD !
Le gouvernement vient d’annoncer qu’il renonçait définitivement au projet d’aéroport de Notre Dame des Landes. Dans le même temps, à la suite des propos du ministre de l’Intérieur, qui annonçait hier que la ZAD « serait évacuée de ses éléments les plus radicaux », il prépare une opération policière et militaire d’une ampleur inédite.
Bien sûr, l’abandon du projet d’aéroport est une excellente nouvelle. Mais qu’il soit couplé à une évacuation (même partielle) de la ZAD n’est pas une décision acceptable.
Renoncer à construire un nouvel aéroport à Notre Dame des Landes est la victoire de l’ensemble du mouvement d’opposition à l’aéroport de Notre Dame des Landes : sans ce vaste mouvement de résistance, l’aéroport aurait déjà été construit.
Cette décision n’est pas le résultat d’une conversion soudaine d’Emmanuel Macron, d’Edouard Philippe et du gouvernement à la raison climatique, environnementale, sociale et économique dans leur vision de l’aménagement du territoire. Il s’agit d’un succès historique, construit au cours d’une mobilisation de plus de 40 ans, qui est parvenue à durer parce qu’elle a tour à tour articulé, alterné ou associé recours juridiques, contre-expertise citoyenne, mobilisations de masse, solidarité avec les paysan.ne.s, les syndicats de salarié.e.s (y compris du secteur de l’aviation), occupations légales, occupations illégales, résistance, préfiguration, etc.
L’occupation de la ZAD, par ses habitant.e.s historiques et, dans la dernière phase de la lutte (après l’échec de l’opération César), par de nombreuses et nombreux soutiens « extérieur.e.s » en est un élément décisif. Il n’y a donc pas bon.n.e.s opposant.e.s, fondé.e.s à rester et des éléments « radicaux » qu’il faudrait expulser, mais un mouvement, dont la force et la capacité à s’inscrire dans la (très) longue durée réside précisément dans sa diversité.
Depuis longtemps, ce qui se joue sur la ZAD dépasse en outre largement l’opposition au projet d’aéroport. Cette lutte se distingue en effet par sa capacité à re-situer le projet dans « son monde » – un monde dans lequel le béton l’emportait jusqu’alors irrémédiablement sur les tritons. Il n’est depuis longtemps plus question d’une approche de type « pas dans mon jardin », mais d’un élargissement des perspectives, questionnant les fondements même de la décision de construire un nouvel aéroport, plutôt que de se centrer sur le seul choix du lieu.
Le gouvernement a préparé l’opinion publique, via des ficelles aussi grosses qu’éculées – mais malheureusement encore très efficaces, comme en témoignent les nombreux publi-reportages en faveur d’une intervention policière publiés dans la presse – à l’exercice de la force brutale contre la ZAD. Le déploiement de blindés, de plusieurs milliers de policier.e.s, de gendarmes (voire de l’armée), et les drames humains qu’il ne manquera pas d’entraîner de tous côtés, a besoin de ce mythe d’un « ennemi intérieur », d’un « kyste » (comme le disait alors Manuel Valls).
Ce qui se joue sur la ZAD devrait pourtant intéresser au plus au point un gouvernement et un président de la République qui ne cessent de discourir sur l’impératif climatique. Agir face à la catastrophe qui vient implique en effet de créer de nouvelles articulations entre le local et le global – y compris au niveau des politiques publiques. Penser les causes, les conséquences et les alternatives du réchauffement climatique, de l’extinction des espèces, du mal que nous avons collectivement et historiquement fait à ce monde à partir de territoires concrets : voici, sans doute, la nouvelle frontière de la politique.
La ZAD de Notre Dame des Landes apparaît alors, dans sa beauté fragile, dans ses errements, ses bégaiements, dans ses balbutiements autant que dans ses accomplissements, dans son architecture en dentelle, dans ses ajustements permanents, comme un lieu splendide, un territoire unique, à partir duquel penser ce que signifie vivre ensemble au temps des catastrophes, à imaginer et créer des formes nouvelles d’associations entre humain.e.s et non-humain.e.s ; à revoir complètement la hiérarchie des causes et des conséquences et de trouver des manières de prendre en compte l’intégrité des êtres vivants non-doués de parole.
Les opposant.e.s au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes n’ont cessé de tenter d’apporter des réponses à ce défi, en recensant l’ensemble des espèces menacées par le projet, en mettant en avant le déséquilibre total du rapport de force entre béton et tritons et en créant des agencements subtiles entre les différents usages (et les différents usagers, humain.e.s comme non-humain.e.s) de la ZAD. La nature n’y apparaît plus comme un espace neutre, que des élus peuvent décider d’aménager à leur guise et qu’il est possible de reconstituer quelques kilomètres plus loin, par le truchement de la compensation biodiversité ; pas plus qu’elle n’est un élément externe que des militant.e.s peuvent défendre depuis une position surplombante – un glissement dont rend compte si superbement le slogan « nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend ».
Depuis la ZAD s’inventent et s’expérimentent des réponses à des questions aussi essentielles pour notre avenir commun que : comment vivre, comment penser, comme s’aimer, comment s’opposer, comment construire, comment détruire, comment rêver, comme tester, comment tâtonner, comment faire société. Bref : comment rester (ou redevenir) humain.e.s dans un monde qui s’approche de plus en plus du chaos ? Parcourir un chemin de la ZAD, se baigner dans l’un de ses étangs ou de ses lacs, y habiter, y aimer, y rêver, y cultiver un champ, est un acte fort, préfigurant ce à quoi pourrait ressembler un futur libéré de l’horizon dystopique dont nous nous approchons à grand pas.
Aujourd’hui, plus que jamais, il est donc essentiel de défendre la ZAD.
Par Maxime Combes et Nicolas Haeringer