Politique migratoire à Calais

Y a-t-il eu des exactions des forces de l’ordre ?

Suite au déplacement d’Emmanuel Macron à Calais et son rappel à la déontologie adressé aux policiers, vous nous avez demandé quelles étaient les exactions commises par les forces de l’ordre envers les migrants.

Vous nous demandez quelle est la situation à Calais suite aux propos d’Emmanuel Macron. Celui-ci a en effet rappelé hier à Calais la «déontologie policière» :

«Vous devez être exemplaire. L’exemplarité se traduit dans le respect absolu de la déontologie policière, dans le respect absolu des droits. Je sais que le respect de ces règles est au cœur de vos missions. Je ne peux pas laisser accréditer l’idée que les forces de l’ordre exercent des violences physiques, confisquent des effets personnels, réveillent les personnes en pleine nuit, utilisent du gaz lacrymogène sur des points d’eau ou au moment de la distribution des repas. Si cela est fait, c’est contraire à toute déontologie. Si cela est fait et prouvé, cela sera sanctionné.»

Pour François Guennoc, le vice-président de l’association l’auberge des migrants, «si Macron fait un rappel déontologique, c’est quand même qu’il y a au moins une hypothèse que ça se produit».

Depuis plusieurs mois en effet des témoignages et associations font état d’exaction des forces de l’ordre contre les migrants de Calais. Au début du mois, Yann Moix interpellait vivement le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, lors de l’émission On n’est pas couché, «J’y passe régulièrement des jours et des nuits depuis quelques mois. Et ce que je vois ce sont des CRS qui gazent les couvertures de jeunes migrants de 18 à 25 ans, qui gazent l’eau potable de jeunes migrants, qui tabassent de jeunes migrants qui sont soignés effectivement gratuitement par l’Etat parce qu’ils ont été frappés par la police la veille, qui n’ont aucun endroit où aller.» La préfecture de Calais avait alors accusé le chroniqueur de «fake news».

Yann Moix, qui tourne un film pour Arte, assure détenir des preuves de ce qu’il a avancé. Ses propos ne diffèrent d’ailleurs pas de ce que l’on peut lire dans la presse depuis plusieurs mois. Et l’association l’Auberge des migrants de confirmer avoir vu Yann Moix sur place à plusieurs reprises, et même «plus souvent que le préfet».

Les points d’eau sont-ils gazés ?

En juillet dernier, plusieurs associations ont accusé les autorités d’avoir gazé des jerricans d’eau potable en mai et juin. «Des faits difficiles à documenter : ils se produisent à l’abri des regards», précisait Libération à l’époque.

L’Auberge des migrants avait publié la photo de deux bidons souillés par des lacrymos. Et Libé reprenait alors plusieurs témoignages de bénévoles, dont celui de Charlotte, qui a pris la photo : «Deux Afghans m’ont rapporté les bidons vides. L’un d’entre eux avait bu une gorgée, et avait été légèrement irrité. Quand ils ont compris que l’eau n’était pas buvable, ils l’ont jetée. Sur deux semaines, j’ai entendu trois témoignages similaires. Et une fois, les migrants ont vu la police le faire», raconte-t-elle. A l’époque, «ce n’était pas un cas isolé, on a eu trois à quatre témoignages en deux semaines», ajoute Lucie, d’Utopia 56.

 «En ce moment, c’est calme. Mais en mai-juin j’entendais tous les jours des témoignages sur des exilés empêchés de manger, des bidons arrosés de gaz, mais aussi les sacs de couchage. Une fois, un migrant a été aspergé de gaz sur la bouche.» Un autre bénévole : «La semaine dernière, nous avons dû nettoyer un bidon qui avait été aspergé de gaz.» «On n’a pas la preuve que c’est une consigne, mais on constate que ça existe, et que c’est toléré», poursuivait ce même bénévole.

Dans un article vérifiant les affirmations de Yann Moix, France 3 Hauts de France expliquait que si cette situation avait en effet été constatée par les associations il y a plusieurs mois, cela n’est pas avéré depuis plusieurs mois, «juillet, au moins». Selon le président de l’Auberge des migrants : «C’est quelque chose qui s’est produit avant que la préfecture ne soit obligée, suite à une décision du conseil d’Etat, d’assurer la distribution d’eau». En juillet dernier, le conseil d’Etat avait en effet validé la décision du tribunal administratif enjoignant la préfecture «de créer plusieurs dispositifs d’accès à l’eau permettant aux migrants de boire, de se laver et de laver leurs vêtements, ainsi que des latrines, et d’organiser un dispositif adapté d’accès à des douches».

Des couvertures sont-elles gazées et confisquées ?

Comme le rapporte Libération, des associations ont même mis au point un système de prêt de sacs de couchage et de bâches, en inscrivant leurs noms dessus, pour pouvoir déposer plainte en cas de vol ou de dégradations. «Nous disons aux migrants de nous les ramener quand ils n’en ont plus besoin. Si nous les retrouvons dans une benne, c’est la destruction d’un bien appartenant à autrui», expliquait Vincent De Coninck, chargé de mission au Secours catholique.

Justement, deux associations ont déposé plainte lundi contre X pour destruction et dégradation des biens prêtés par les associations. «Nous n’aurions pas porté plainte sans éléments de preuve», a expliqué François Guennoc à Libération, citant des témoignages et une vidéo.

«Loan, bénévole à l’Auberge des migrants, montre sur son téléphone portable une série de photos prises le 12 octobre : des tentes tailladées, en lambeaux, encore debout mais inutilisables pour se protéger du froid et de la pluie», poursuivait Libération avant de citer le coordinateur général de Médecins du monde : «Les CRS gazent à la lacrymo les sacs de couchage, les couvertures, la nourriture.»

Mi-décembre, l’Auberge des migrants publiait d’ailleurs sur Twitter deux photos de tentes et bâches dans des bennes :

C’est confirmé : nos bâches et nos sacs de couchage ont été détruits hier, en plein #PlanGrandFroid.
Nous allons étudier les suites juridiques.
Ceux qui ont donné ces consignes ne doivent pas rester impunis.#DestructionAbri #Calaispic.twitter.com/JpuKWDMVEB

— Auberge des Migrants (@AubergeMigrants) 12 décembre 2017

Il y a une douzaine de jours, l’association a encore constaté des tentes et duvets gazés, précise l’association à Checknews.

Les migrants sont-ils réveillés en pleine nuit ?

Cela arrive. Et pour François Guennoc, c’est notamment à cause de la consigne du ministère de l’Intérieur qui refuse de voir se créer des «points de fixation».

«Pas de points de fixations, ça veut dire qu’on les réveille pour les faire dégager. C’est une consigne qui ne veut rien dire.» L’associatif décrit : «J’ai vu des policiers qui dégageaient des migrants qui s’étaient réfugiés sous un pont pendant une forte pluie, ils appliquent la consigne.»

En juin, le Défenseur des droits Jacques Toubon dénonçait des migrants «traqués jour et nuit dans plusieurs sous-bois de la ville». «[Ils] ne peuvent plus dormir, se poser ou se reposer et restent sur le qui-vive», et sont «visiblement dans un état d’épuisement physique et mental».

Voici aussi ce que racontait un migrant à Libération : «Je boite depuis trois jours à cause de la police. Ils m’ont aspergé de gaz lacrymogène dans le visage, ils m’ont frappé sur tout le corps et sur les genoux, et ils sont partis», raconte-t-il. «Ils étaient trois ou quatre. Ils riaient en frappant. Je n’ai pas résisté, j’ai mis les bras en l’air, ça n’a rien changé.» Il répète : «Il faut que je me repose quelque part. Je dors deux heures, le jour. La nuit, c’est impossible. Ils nous trouvent dans les bois, et ils nous aspergent de gaz. Nos vêtements, nos couvertures, nos sacs. Même la nourriture. Je peux comprendre qu’ils fassent leur travail, qu’ils nous attrapent quand on a fait une tentative de passage. Mais qu’ils nous empêchent de dormir, qu’ils nous frappent quand on marche dans la rue, je ne peux pas.»

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Monsieur le Président, vous avez instauré à Calais un protocole de la bavure

Une semaine après la charge d’Emmanuel Macron à Calais contre les associations de soutien aux migrants, l’écrivain et réalisateur Yann Moix interpelle le chef de l’Etat, dont il dénonce la politique migratoire. Il affirme avoir filmé, dans le cadre d’un documentaire qu’il est en train de réaliser sur place, des «actes de barbarie».

http://www.liberation.fr/debats/2018/01/21/monsieur-le-president-

Extraits

Monsieur le Président de la République, Chaque jour, vous humiliez la France en humiliant les exilés. Vous les nommez «migrants»: ce sont des exilés. La migration est un chiffre, l’exil est un destin.

Réchappés du pire, ils représentent cet avenir que vous leur obstruez, ils incarnent cet espoir que vous leur refusez. C’est à leur sujet que je vous écris.

Vous avez affirmé, dans votre discours de Calais, que «ceux qui ont quelque chose à reprocher au gouvernement s’attaquent à sa politique, mais qu’ils ne s’attaquent pas à ses fonctionnaires». Je ne m’en prendrai ici qu’à vous. Et à vous seul.

Je ne suis pas, comme vous dites, un «commentateur du verbe»: je suis un témoin de vos actes. Quant à votre verbe, il est creux, comme votre parole est fausse et votre discours, double.

J’affirme, monsieur le Président, que vous laissez perpétrer à Calais des actes criminels envers les exilés. Je l’ai vu et je l’ai filmé.

J’affirme, monsieur le Président, que des fonctionnaires de la République française frappent, gazent, caillassent, briment, humilient des adolescents, des jeunes femmes et des jeunes hommes dans la détresse et le dénuement. Je l’ai vu et je l’ai filmé.

J’affirme, monsieur le Président, que des exilés non seulement innocents, mais inoffensifs, subissent sur notre territoire des atteintes aux droits fondamentaux de la personne. Je l’ai vu et je l’ai filmé.

Vous menacez de saisir la justice si les «faits dénoncés» ne sont pas «avérés». Voici donc, monsieur le Président, les images des conséquences obscènes de votre politique.

Ces actes de barbarie, soit vous les connaissiez et vous êtes indigne de votre fonction; soit vous les ignoriez et vous êtes indigne de votre fonction. Ces preuves, si vous les demandez, les voici ; si vous faites semblant de les demander, les voici quand même. Les Français constateront ce que vous commettez en leur nom.

«Je ne peux pas laisser accréditer l’idée que les forces de l’ordre exercent des violences physiques», avez-vous dit. Ajoutant : «Si cela est fait et prouvé, cela sera sanctionné ».D’abord, vous menacez de procès en diffamation ceux qui démasquent votre politique; ensuite, vous menacez de procédures de sanction ceux qui l’appliquent.

«LA BRUTALITÉ DU MONDE»

Journalistes, policiers : avec vous, tout le monde a tort à tour de rôle. Les uns d’avoir vu, les autres d’avoir fait. Tout le monde a tort sauf vous, qui êtes le seul à n’avoir rien vu et le seul à n’avoir rien fait. On attendait Bonaparte, arrive Tartuffe.

Soit les forces de l’ordre obéissent à des ordres précis, et vous êtes impardonnable ; soit les forces de l’ordre obéissent à des ordres imprécis, et vous êtes incompétent.

Ou bien les directives sont données par vous, et vous nous trahissez; ou bien les directives sont données par d’autres, et l’on vous trahit.

Quand un policier, individuellement, dépasse les bornes, on appelle cela une bavure. Quand des brigades entières, groupées, dépassent les bornes, on appelle cela un protocole. Vous avez instauré à Calais, monsieur le Président, un protocole de la bavure.

Quand une police agit aussi unie, pendant si longtemps, elle ne peut le faire sans se plier à un commandement. Est-ce bien vous, monsieur le Président, qui intimez aux policiers l’ordre de déclencher ces actions souillant la dignité de l’homme ?

Vous y avez répondu vous-même : «Dans la République, les fonctionnaires appliquent la politique du gouvernement.»

L’histoire a montré qu’on peut parfois reprocher à un policier de trop bien obéir.

Mais elle a surtout montré qu’on doit toujours reprocher à un président de mal commander, précisément quand le respect humain est bafoué. En dénonçant les violences policières, en cherchant à savoir qui est le donneur de ces ordres, je ne fais que défendre la police, parce que lui donner de tels ordres, c’est justement porter atteinte à son honneur.

«La situation est ce qu’elle est par la brutalité du monde qui est le nôtre», dites-vous.

Peut-on attendre, monsieur le Président, qu’une situation aussi complexe soit démêlée par une pensée aussi simpliste ? Que des décisions si lourdes soient compatibles avec des propos si légers ? On attendait Bonaparte, arrive La Palisse.

Serez-vous plus enclin à l’émotion qu’à la réflexion ? Ecoutez la voix de ces jeunes qui, fuyant les assassins et la dictature, rançonnés puis suppliciés en Libye, traversent la Méditerranée sur des embarcations douteuses pour accoster, à bout de forces, dans une Europe que vous défendez par vos formules et qu’ils atteignent par leur courage.

Vous avez osé dire : «Notre honneur est d’aider sur le terrain celles et ceux qui apportent l’humanité durable dans la République.» Au vu de ce qui semblerait être votre conception de «l’humanité», les associations préfèrent l’aide que vous leur avez refusée à celle que vous leur promettez.

A Calais, on vous trouve plus efficace dans la distribution des coups que dans la distribution des repas.

Ces associations, monsieur le Président, font non seulement le travail que vous ne faites pas, mais également le travail que vous défaites. Quant à votre promesse de prendre en charge la nourriture, elle n’est pas généreuse : elle est élémentaire.

Vous nous vendez comme un progrès la fin d’une aberration.