- Première trace sur la piste : LafargeHolcim
- Le Capitalisme du désastre
- « Messieurs… ce ne sont pas des Américains mais des Orientaux… »
- « Big Business avec Hitler »
- « De quoi Total est-elle la somme ? »
- Le Big Bang Atomique père de l’Apartheid
- Epilogue, déjà un mini-führer pour un nouveau cycle
Première trace sur la piste : LafargeHolcim
« Fichier javellisés », esprit du capitalisme es-tu là ?
Tout est allé très vite pour le poids lourd du béton, LafargeHolcim, ses tractations avec le groupe islamique en Syrie ont fini par paraître suspectes et le cimentier s’est retrouvé trainé devant les juges en France… Chose pour le moins étrange, l’entreprise a semble-t-il été prise par surprise dans cette procédure judiciaire. A-t-elle était trahie ? L’enquête le révélera, peut-être…
La première ligne de défense du cimentier franco-suisse est rapidement tombée. LafargeHolcim n’est pas une entreprise philanthropique. Mais qui l’ignorait ? Ce n’est pas par souci éthique envers ses employés que ce géant du ciment est resté en territoire occupé par l’organisation de l’Etat Islamiste…
La seconde ligne de défense improvisée dans l’urgence avec la reconnaissance volontaire express de fautes – « erreur de jugement » ou « erreurs inacceptables » – commises localement par sa filiale syrienne n’a pas mieux résisté. Les juges n’ont pas été sensibles aux circonstances atténuantes de négociations difficiles sous la contrainte en situation hautement conflictuelle.
Prise de vitesse, l’entreprise, n’a pas eu le temps suffisant pour bétonner de nouvelles lignes de défense. Elle a dû prendre les devants, brûler les étapes et passer rapidement au stade de faire disparaître des documents compromettants. Mais en s’engageant précipitamment dans cette voie, au vu et au su de la presse, elle n’a fait qu’aggraver sa position vis-à-vis du droit. Bref, avec cette posture « d’obstruction » à la justice entreprise dans l’urgence, la firme s’accuse elle-même. La presse nous apprend en effet que « des fichiers manquent », et qu’« ils ont été passés à l’eau de javel ». LafargeHolcim a quelque-chose d’éminemment répréhensible à cacher. Pire encore, l’entreprise aurait agi en concertation avec le pouvoir politique à Paris : des ramifications au sein de l’appareil d’Etat français sont possibles. On apprend par voie de presse que « D’anciens employés de la firme implantée en Syrie ont demandé à ce que l’ancien locataire du Quai d’Orsay soit entendu dans ce dossier. »
En portant plainte contre ce mastodonte du béton et donc de la destruction de la planète, l’ONG Sherpa s’en tenait strictement au droit international. Fort probablement, elle ne pouvait soupçonner que d’éventuelles ramifications puissent aller jusqu’au Quai d’Orsay. En automne 2017, les ingrédients politico-économiques, militaro-diplomatiques se coalisent pour que les compromissions ou crimes possibles de l’entreprise atteignent la carrure républicaine bien française de l’affaire Elf. On se souvient peut-être encore que, selon l’ancien pensionnaire du « ministère des Affaires Etrangères » du quinquennat Hollande, certaines factions islamistes « faisaient du bon boulot » en Syrie. Pour le Quai d’Orsay d’alors, comme pour le Pentagone, l’homme à abattre était Bachar Al Assad, y compris en soutenant en sous-main des organisations criminelles…
Au final, rien ne s’est passé comme prévu. Selon les plans du « Monde libre » piloté par l’OTAN, le régime alaouite de Damas aurait dû tomber rapidement. Personne n’aurait parié sur la survie du clan Assad : maudit des pays occidentaux et de leur vassaux moyen-orientaux, encerclé par l’opprobre de la presse occidentale et assiégé de toutes parts par des groupes de la mouvance islamistes –« rebelles modérés » ou fanatiques sanguinaires- le tout abondamment financés et armés par les pétromonarchies du Golfe amies de l’Occident avec en plus au nord le soutien de la Turquie, rien ne manquait pour précipiter la chute du leader Alaouite. C’était sans compter sur l’arrivée cuirassée de Poutine. Après la prise de la Crimée, il venait à travers les âges inscrire ses pas dans ceux de l’Ancien Empire tsariste. Longtemps absente de la région depuis sa défaite dans la Guerre de Crimée (1853-1856), la Russie vient de rappeler qu’elle a encore une carte à jouer au Moyen-Orient, histoire de se désenclaver et ainsi de riposter à son récent encerclement européen par l’omniprésente Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Pour mémoire, rappelons que « L’Homme malade de l’Europe », l’Empire Ottoman en déliquescence, faisait les délices de la finance française et britannique. L’affreuse Guerre (moderne) de Crimée avait pour mission de faire barrage à la progression vers l’Anatolie de l’Empire Russe et ainsi préserver le gâteau créancier des banquiers occidentaux.
L’irruption du cuirassé volant Poutinkine en Syrie met fin à la longue éclipse de l’ex-Empire soviétique dans la région.
Ainsi le régime Alaouite n’était pas tout à fait isolé. En plus du providentiel allié russe, il faut signaler l’Iran et ses dévoués Gardiens de la Révolution. Après six ans de guerre infernale et d’autodestruction de la Syrie, Bachar Al Assad est toujours là et engrange à tour de bras les victoires sur l’organisation criminelle Daech. Le Capitole est parfois aussi proche de la roche Tarpéienne que celle-ci l’est souvent de lui.
Sans conteste, avant cette tournure imprévue de la guerre, LafargeHolcim était l’entreprise de la situation pour la Reconstruction. La récente unité de production de Jalabiya, inaugurée en 2010 dans le nord-est de la Syrie, était une pièce stratégique bien placée et devait rester en parfait état de fonctionnement pour l’après-guerre. Le cimentier avait misé gros avec un investissement de 600 millions d’euros pour moderniser l’usine. Il semble que la décision des négociations avec Daech pour préserver ce site intact ait reçu non seulement l’aval mais le soutien appuyé du Quai d’Orsay.
Dans le scénario hollywoodien du « Monde-libre-piloté-par-l’OTAN », les différents temps du drame se suivent ainsi : la guerre d’abord, le tyran sanguinaire de Damas enterre son peuple sous les décombres des villes antiques de la Syrie, les victimes soufrent dans leur chair mais résistent et combattent courageusement ; ensuite la lutte victorieuse entraine la chutes du régime honni, le peuple syrien enfin libre exprime sa joie mais constate l’étendue du désastre. Enfin arrivent les bons samaritains occidentaux pour reconstruire le pays meurtri ». Le savoir-faire incontestable de LafargeHolcim n’était donc pas de trop dans cet immense champ de ruines. Par l’entremise de cette entreprise performante et du BTP français, la Syrie aurait pu en un temps record accéder aux fastes du « Stade Dubaï du Capitalisme » qui caractérise aujourd’hui l’urbanisme ubuesque des Etats Islamistes de la péninsule arabique.
En suivant un scénario moins idyllique pour décrire les péripéties syriennes, on débouche plutôt sur un modèle économique désormais habituel dans le monde actuel : celui de la stratégie du choc et de la monté du capitalisme du désastre décrit par Naomi Klein en 2008 : en surface la catastrophe infernale, le drame humanitaire, la sidération du choc traumatique, l’enfer des tapis de bombes, la fuite désespérée de Syrie, largement mis en scène dans la presse occidentale. Mais, en coulisse, dans les chancelleries ou les Salons Eurosatory, l’éminence grise, l’esprit du capitalisme, la main invisible, le partage négocié du pouvoir politique à Damas et du juteux marché de la Reconstruction des villes en ruine.
Fin 2017, la donne changeait radicalement, le scénario hollywoodien n’était plus de mise. Bachar Al Assad roule les mécaniques aux côtés de Vladimir Poutine. Vainqueur contre le crime organisé de Daech, il peut s’afficher comme le libérateur de la Syrie. Et à ce titre, comme de Gaulle et le Conseil de la Résistance en France face à l’entreprise collaborationniste Renault, le leader alaouite peut statuer sur le sort à réserver à LafargeHolcim. Il peut la condamner pour « complicité de crime contre l’humanité » selon le droit international, la nationaliser et créer La Régie LafargeHolcim. De tout temps ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire. Cependant il faut signaler une différence de taille entre le cimentier et le constructeur automobile collaborationnistes. LafargeHolcim est une transnationale déjà métastasée partout sur la Terre ce qui n’était pas le cas de Renault en 1945. Dans l’hypothèse d’une nationalisation, l’Etat syrien sera contraint de rebaptiser l’unité présente sur son territoire.
Nous nous sommes contentés d’explorer une hypothèse minimaliste : LafargeHolcim en réserve de la Reconstruction heureuse de la Syrie dans le cadre d’un plan Marshall assuré par l’Etat islamiste d’Arabie Saoudite, ami fidèle de la France et des Etats-Unis. Mais on peut aussi évoquer une autre hypothèse que l’enquête révélera, peut-être. Les séquelles historiques indélébiles laissées sur le littoral français par les cimentiers de l’armée nazie, les fameux « blockhaus », nous autorisent à imaginer qu’une cimenterie flambant-neuve peut bien servir les besoins logistiques de l’organisation criminelle, fut-elle purement religieuse. LafargeHolcim aurait-elle permis de bunkeriser le Califat ? Dans cette hypothèse, le motif d’inculpation – « complicité de crime contre l’humanité » – devient parfaitement recevable non seulement à Damas mais aussi à Nuremberg ou La Haye…
Restons-en là pour ce qui concerne la dimension juridique… En France, l’entreprise n’est visée que pour « financement d’entreprise terroriste » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Bref, il n’y a pas mort d’homme ! Et de plus, par sa taille, le mastodonte du béton entre dans la catégorie super-lourd des « too big to fail ». Même s’il n’est pas « too big to jail », pour échapper aux tracasseries juridiques il n’a rien à craindre face à la justice bananière et dilatoire française…
Mais notre propos est ailleurs. Il nous faut maintenant aborder la banale normalité guerrière des temps actuels : l’esprit du capitalisme, la Main invisible à l’ère de la stratégie du choc et de la monté du capitalisme du désastre.
Si du point de vue du bon père de famille, le comportement de LafargeHolcim est au plus haut point déplorable et si, en référence à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, les agissements de l’entreprise sont parfaitement condamnables, il faut savoir cependant que du point de vue économique les faits et gestes du numéro 1 du béton restent dans la stricte normalité. Les arrangements sordides de LafargeHolcim ne doivent pas être considérés comme une exception. Les Etats-Unis ont bien traité pendant 10 ans avec les Talibans après leur arrivée au pouvoir en Afghanistan. Nul n’ignorait les rituels cruels de leur haut degré de spiritualité. On baigne en plein dans l’esprit du capitalisme. Comme le disent si bien les dignitaires d’une autre grande transnationale d’origine française : « Total ne fait pas de politique… elle fait de la géopolitique » ; en clair, le bas peuple s’entretue pour des idées politiques ou religieuses, nous on tire les marrons du feu. Dans ce modèle qui est celui du capitalisme du désastre dominé par les transnationales, la question se pose de savoir qui (en coulisse) attise le feu.
Il fait donc raison garder et regarder plus loin le mobile des incendiaires et partir à la recherche de l’esprit du capitalisme. Car toutes les entreprises transnationales collaborent sans mauvaise conscience avec les dictatures sanguinaires et les régimes des plus crapuleux et corrompus de la planète. La dénonciation de cet état de fait, caractéristique des nouvelles pratiques du capitalisme mondialisé, est désormais la raison d’être d’ONG spécialisées dans surveillance des multinationales.
Mais avant l’aller plus avant dans l’analyse historique des origines de la criminalité foncière des transnationales de la carrure de LafargeHolcim, une précision s’impose. Dans la conjoncture actuelle d’effondrement de la biodiversité, ce n’est pas tellement par ses arrangements secrets avec un gang islamiste que l’entreprise est la plus coupable de crime contre l’humanité mais bien par son activité de routine au service du bétonnage de la planète. Combien d’écosystèmes et de lieux de vie pour des populations autochtones ont été anéantis à jamais à travers le monde par l’activité ordinaire « légale » du numéro 1 mondial du béton – LafargeHolcim ? Là où l’entreprise passe les écosystèmes trépassent !
Même si ce sont les vainqueurs militaires contre les peuples qui écrivent l’histoire, il ne s’agit que d’une version officielle, celle que les programmes scolaires enseignent aux enfants. Cependant la vérité des faits se sait et elle est disponible pour quiconque veut bien s’informer. Au cours des deux décennies écoulées où l’on nous avait annoncé la fin de l’Histoire, de plus en plus d’ouvrages nous instruisent sur l’esprit d’entreprise du capitalisme. En France on dispose déjà de deux sommes totalisant les faits et gestes de nos saints patrons et de notre bonne mère la 5e République : « Histoire secrète du Patronat, de 1945 à nos jours. Le vrai visage du capitalisme français » paru en 2009, « Histoire secrète de la 5e République » paru en 2006. Les deux groupes d’auteurs convergent pour constater que la vraie histoire de France ne se découvre pas dans les manuels scolaires, surtout quand il s’agit de révéler la face honteuse des bonnes œuvres de l’Etat providence de la Finance et du saint Patronat. Sous le style de l’enquête ils traitent des petits secrets de fabrication et des méthodes redoutables qui assurent à la fois « la richesse de la nations » et le rayonnement de la France et l’harmonie dans la Francophonies. La masse d’informations déjà disponibles est édifiante, pour nous faire comprendre que Saint-Esprit d’entreprise n’est pas tout à fait celui dont parlent les économistes médiatiques. Rappelons quelques-uns des ingrédients indispensables qui fond que la France est une grande Nation démocratique : agent secrets, « barbouzes », opération militaires clandestines et souvent sanglante, assassinat, torture, disparition, suicide commandité, manipulation en tous genres, corruption, scandale financiers, réseaux occultes lobbies puissant et invisibles. Bref le miracle de l’extorsion de la plus-value n’implique pas que des agents économiques dans une concurrence libre et non faussée.
Mais nous sommes à la recherche de l’esprit du capitalisme bien au-delà des faits et gestes accablant susceptibles de mener devant les juges tel ou tel hommes politiques, patrons d’entreprise, d’officine occulte ou services secret.
Citons d’emblée ici, dans l’ordre de leur parution, les ouvrage qui nous serviront à pister l’esprit pas très philanthropique du capitalisme : « Une histoire populaire des Etats-Unis » de l’historien Howard Zinn, traduction française 2002 ; « La Stratégie du Choc, la Montée du Capitalisme du Désastre » de la journaliste nord-américaine Naomi Klein, 2008 ; « Big Business avec Hitler » de l’historien Jacques R. Pauwels, 2013 ; « Minerais stratégiques, Enjeux Africains » du politologue franco-africain Apoli Bertrand Kameni, 2013 ; et, tout frais sorti en 2017, « De quoi Total est-elle la somme ? » du philosophe Alain Deneault. Cela représente près de 3000 pages de lecture pour une plongée dans la criminalité foncière du capitalisme.
Une page de l’Histoire et de son écriture est en train d’être tournée. Dans la vieille tradition marxiste, on regardait le capitalisme comme un système d’exploitation subtil de la force de travail mais aussi comme une étape majeure et nécessaire du développement des forces productives avant le Grand Soir de l’émancipation du genre humain… Ce n’est désormais plus possible. Aujourd’hui le désastre et la criminalité de capitalisme apparaissent au premier plan. Et, comble de l’absurde, ce double aspect relève justement du développement et de l’excellence des sciences et techniques et, en plus, tombe sous la loi édictée par ce même système économique. Autre caractéristique de notre temps, l’Histoire s’écrit en temps réel et ce sont désormais des journalistes d’investigation qui l’écrivent.
Dans notre liste d’auteurs sélectionnés pour notre recherche, sauf peut-être l’historien Jacques R. Pauwels, aucun ne s’inscrit dans la tradition de la critique marxiste du capitalisme, tous fondent leur analyse sur les faits et gestes des grandes entreprises et des Etats qui font le capitalisme de notre temps et qui défigurent la surface de la Terre depuis un siècle. Tous dressent le même tableau de ce qu’est devenu « Le Capital au 21e siècle ».
Fin de la première partie ; Jean-Marc Sérékian ; Janvier 2018