3 – « Messieurs… ce ne sont pas des Américains mais des Orientaux… »
4- « Big Business avec Hitler »
5- « De quoi Total est-elle la somme ? »
6- Le Big Bang Atomique père de l’Apartheid
7- Epilogue, déjà un mini-führer pour un nouveau cycle
« Messieurs… ce ne sont pas des Américains mais des Orientaux… »
Au cours de son enquête à travers le monde, la journaliste Naomi Klein engageait un effort louable de conceptualisation pour faire découvrir la pensée profonde de l’élite dirigeante de la première puissance économique militaro-industrielle du 20e siècle. Elle nous menait vers l’école de Chicago et ses bonnes œuvres universitaires envers la jeunesse dorée du pays puis nous montrait la mise en pratique de la stratégie du choc par les Chicago-boys. Au moment de l’effondrement de l’Empire soviétique, Naomi Klein nous révélait le spectacle des nouveaux Einsatzgruppen en col blanc de Milton Friedmann se ruant comme une bande de pillards sur l’ex-Europe de l’Est.
Pour continuer à sa suite la recherche sur la piste de l’esprit du capitalisme et son affinité élective avec le crime, rien de tel qu’une plongée dans l’Histoire des Etats-Unis. De ce point de vue, le livre d’Howard Zinn, « Une Histoire Populaire des Etats-Unis », est un véritable saut dans l’horreur absolue. On pénètre dans le Pandémonium où en décide l’histoire sordide du monde des affaires. La piste est quasi-continue, jalonnée de traces de meurtres de masse avec un mobile des crimes unique parfaitement identifiable : l’esprit de capitalisme est bien là dans son jus, ses cris et ses jets rubis. La première impression du lecteur de ce livre est en effet l’immersion dans l’horreur et, dès qu’il reprend ses esprits, il découvre immensité de son ignorance sur ce qui s’est passé dans ce pays. Il nous faut remonter vers les origines. Arrêtons-nous à une date charnière, l’An 1900 de l’Histoire des Etats-Unis, peu connue du grand public. En Europe c’est la Belle Epoque que ce passe-t-il de l’autre côté de l’Atlantique mais aussi au-delà des Etats-Unis dans le Pacifique?
Dix ans plus tôt, « La Guerre (ou le génocide) des Indiens » vient d’être parachevée par le massacre de Wounded Knee dans le Dakota du Sud. Howard Zinn rapporte l’évènement en ces termes : « Le 29 décembre 1890, l’armée fédérale encercle un campement d’environ 300 Indiens Sioux, en majeure partie composé de femmes, enfants et de vieillards. Pendant que les soldats fouillent le camp et récupèrent les armes des indiens, un coup de feu éclate. Aussitôt l’armée ouvre le feu avec les mitrailleuses Hotchkiss installées tout autour du campement. Environ 300 cadavres d’indiens furent jetés, quelques jours plus tard, dans une fosse commune. » Signalons pour comparaison qu’ici ce ne sont pas des barbares Orientaux islamistes qui furent au premier chef responsables de ce crime mais bien les soldats de la première « grande démocratie ».
Le territoire des Etats-Unis est donc en totalité pacifiée d’Est en Ouest, une pause dans le programme militaire des conquêtes aurait été bienvenue pour les hommes de troupe, mais l’élite n’a pas de temps à perdre. La boussole de la Doctrine Monroe s’affole et s’anime comme aiguillon impitoyable : après avoir indiqué le Sud et l’Amérique latine elle pointe plein Ouest. Alors le Congrès à Washington regarde intensément de l’autre côté du Pacifique. Comme Christophe Colomb dans les Antilles, l’Amérique découvre un archipel magnifique : les Philippines.
Bref, allons droit au but : l’esprit du capitalisme. En L’An 1900, la guerre des Etats-Unis aux Philippines est terminée. Au prix de cruautés militaires confinant au génocide que nul n’ignore en Amérique, le territoire est conquis. Le 9 janvier 1900, le Sénateur (et historien) Albert Beveridge s’exprime devant le Sénat :
« Monsieur le Président, la franchise est maintenant de mise. Les Philippines sont à nous pour toujours […] Et à quelques encablures des Philippines se trouve l’inépuisable marché chinois. Nous ne nous retirerons pas de cette région […] Nous ne renoncerons pas à jouer notre rôle dans la mission civilisatrice à l’égard du monde que Dieu lui-même a confié à notre race. Le Pacifique est notre océan […] Vers où devons-nous nous tourner pour trouver des consommateurs à nos excédents ? La géographie répond à cette question. La Chine est notre client naturel […] Les Philippines nous fournissent une base aux portes de l’Orient. Nulle terre en Amérique ne peut surpasser en fertilité les plaines et les vallées de Luson […] Le bois des Philippines peut fournir le monde entier pour le siècle à venir. A Cebu, l’homme le mieux informé de l’île m’a dit que sur une soixantaine de kilomètres la chaine de montagneuse de Cebu était pratiquement une montagne de charbon. J’ai ici une pépite d’or trouvée sur les rives d’une rivière des Philippines. Pour ma part, je suis sûr qu’il n’y a pas parmi les Philippins plus de cent personnes qui sachent ce que l’autonomie à l’anglo-saxonne signifie et il y a là-bas quelques cinq millions de gens à gouverner. Nous avons été accusés d’avoir mené au Philippines une guerre cruelle. Messieurs les sénateurs, c’est tout le contraire. […] Les sénateurs doivent se souvenir que nous n’avons pas affaire à des Américain ou des Européens mais à des Orientaux (). »
Dans notre quête sur l’esprit du capitalisme à la suite de l’affaire LafargeHolcim au Moyen Orient, nous voici nettement mieux éclairé par l’éloquence de l’orateur. Le discours est on ne peut plus limpide.
Autorisons-nous quelques brefs commentaires pour relier au travers du 20e siècle l’invariant spirituel du libéralisme.
D’abord remarquons que ce n’est pas un miteux islamiste fanatique recruté dans les milieux défavorisés du monde arabo-musulman ou de la vieille Europe qui parle mission au nom de Dieu mais bien un membre éminemment cultivé de l’élite politique américaine : l’historien et sénateur Albert Beveridge (1862-1927).
Ensuite constatons la clairvoyance fulgurante de l’historien ; elle nous annonce le programme économique du libéralisme ou l’œuvre dévastatrice du capitalisme durant 20e siècle : déforestation, marchandisation du bois et utilisation massive du charbon… En effet, en l’An 1900, l’expansionnisme est à un moment charnière, celui du vieux capitalisme industriel du 19e siècle était en recherche de « marchés pour ses excédents », celui de la seconde révolution industrielle du 20e siècle est en recherche dévastatrices de matières premières.
Mais, pour notre quête sur l’esprit d’entreprise notons que, pour l’élite étasunienne la guerre ne peut en aucun cas être déclarée « cruelle » si elle se limite au massacre d’Orientaux ou, plus généralement, comme on le sait, si elle recrute ses victimes parmi les peuples autochtones (non civilisés, cela va de soi !), comme cela se passe encore aujourd’hui avec les Indiens d’Amérique.
On ignore si, un siècle plus tard, Madeleine Albright, ambassadrice américaine aux Nations Unies puis secrétaire d’Etat durant le mandat de Bill Clinton, était tout imprégnée des lumineuses pensées de cet historien américain visionnaire. On connaît en tout cas le froid glacial de son commentaire quand on l’interrogea sur les conséquences sanitaires désastreuses sur les enfants iraquiens du « régime des sanctions de Nations-Unies » pour le soi-disant « désarmement de l’Irak ». Alors que le monde s’émouvait face à l’hécatombe, Madame Madeleine Albright déclara en langage comptable : « Je pense que c’est un choix très dur, mais le prix – nous pensons que ça vaut le prix. ». Au cours de ces années terribles, 1990-2003, quelques 500 000 enfants en bas-âge périrent par manque de soins élémentaires. Mais il est vrai, en toute franchise, « messieurs les sénateurs », « qu’on n’a pas à faire à des Américains ni à des Européens mais bien à des Orientaux ». Le régime des sanctions fut maintenu jusqu’à l’invasion de l’Irak décidé en 2003 sous le fallacieux prétexte des « armes de destruction massive ». Comble du machiavélisme, on peut se demander a posteriori si cette catastrophe sanitaire maintenue à coup de véto des Etats-Unis et de l’Angleterre, n’était pas le long temps préparatoire de la Guerre d’Irak. Esprit du capitalisme es-tu là ?
Nous laissons au lecteur la liberté de partir lui-même vers les origines à la recherche des milles et une autres manifestations de cet esprit au travers du livre d’Howard Zinn -« une Histoire populaire des Etats-Unis »- : la piste est balisée.
Fin de la troisième partie ; Jean-Marc Sérékian ; Janvier 2018