Redonner vie aux sols et sauver le climat
Tourner la page de l’anthropocène
https://blogs.attac.org/auteur/daniel-hofnung
Extraits
L’attention portée au rôle des gaz à effet de serre dans le réchauffement climatique occulte le fait que d’autres interventions humaines mettent aussi en danger notre existence même : la destruction de la vie biologique des sols par l’agriculture productiviste actuelle, l’assèchement des sols et leur pollution.
Des solutions existent pour redonner vie aux sols en rompant avec le système agricole actuel, elles permettent de plus, avec l’arrêt des émissions, de revenir à une atmosphère préindustrielle et de stopper le réchauffement climatique.
Et d’engager une mutation qui tourne la page de l’anthropocène.
Un constat sur l’époque actuelle
L’humanité, avec l’utilisation des combustibles fossiles, modifie la composition de notre atmosphère, et les conférences qui se sont tenues sur le réchauffement climatique ont mis en avant le risque encouru par les écosystèmes et la vie sur notre planète telle que nous la connaissons.
L’intervention humaine a d’autres effets, qui pourraient aussi remettre en cause le fonctionnement actuel des écosystèmes, et mettre en danger l’humanité.
Notre époque se situe dans la continuité d’une révolution industrielle qui a été centrée sur la domestication de l’énergie. C’est avec la machine à vapeur, puis avec l’électricité et le pétrole, qu’est né le développement actuel.
Celui-ci a été marqué par la prédation à grande échelle des ressources de la planète. Alors que le moulin à vent ou le moulin hydraulique n’utilisaient que des énergies indéfiniment renouvelables, la société actuelle a un fondement : l’extraction de ressources naturelles limitées.
Les sociétés du passé utilisaient ce que la nature offrait au cours de ses cycles naturels, notre société est marquée par la prédation à grande échelle des ressources de la planète, matières premières et combustibles. Elle prétend tirer parti sans limite des minerais accumulés pendant des millénaires ou des ères géologiques.
Or, justement, notre civilisation arrive à une limite : ces ressources naturelles fossiles sont en quantité finie, et leur utilisation a une conséquence : l’atmosphère elle-même se modifie avec l’élévation du taux de gaz à effet de serre.
L’humanité constate qu’elle a modifié le climat, et que, si ce processus se poursuit, cela peut mettre en cause notre existence même.
Ce n’est pas la première fois
Les changements actuels se caractérisent par leur rapidité et leur ampleur. Mais le système-monde actuel pourra-t-il continuer à exister, alors qu’il est en train d’épuiser ses mécanismes d’ajustement ?
Pourtant, si cette fois le changement est global, ce n’est pas la première fois que l’humanité coupe la branche sur laquelle elle est assise, et il est intéressant de voir qu’un autre processus, engagé depuis l’invention de l’agriculture il y a des millénaires au néolithique, est toujours en cours, pire, qu’il s’amplifie, alors que la communauté scientifique se focalise sur les seuls gaz à effet de serre.
De quoi s’agit-il ? De la modification de l’utilisation du sol.
Depuis la révolution néolithique, pour disposer de surfaces pour la culture et l’élevage, l’humanité a massivement abattu des forêts : environ un tiers de la surface du globe – soit la surface de toute l’Asie – a vu ses arbres coupés.
La création de champs, de prairies, a transformé le visage de la planète. Parfois des systèmes d’irrigation ont été réalisés, surtout dans les régions les plus sèches. L’humanité n’a pas maîtrisé, dès cette époque reculée, les conséquences de ce qu’elle faisait, et l’environnement s’est trouvé profondément modifié.
Plusieurs de ceux qui ont travaillé sur le rôle de l’eau sont revenus sur ces périodes.
Platon, dans le Critias, évoque un temps très ancien. Certes, il s’agit de témoignages transmis oralement, depuis l’époque reculée de la guerre entre grecs et atlantes, et de la disparition dans un cataclysme de l’île où vivaient ceux-ci .
« Ce qui subsiste offre, si l’on compare l’état présent à celui d’alors, l’image d’un corps que la maladie a rendu squelettique, par suite que tout ce que la terre avait de gras a coulé tout autour, et que du territoire (de l’Attique) il ne reste plus que son corps décharné.[…] Elle avait sur ses montagnes de vastes forêts, dont il subsiste encore maintenant des preuves visibles »
Ces images, peut-être mythiques, d’un lointain passé à la végétation luxuriante rejoignent en fait des données de l’antiquité, historiques celles-ci. Au premier siècle, le géographe grec Strabon décrit la zone occupée par l’Algérie et le Maroc actuels : « La Maurusie, à l’exception de quelques déserts peu étendus, ne comprend que des terres fertiles et bien pourvues de cours d’eau et de lacs. Ajoutons qu’elle est très boisée, que les arbres y atteignent une hauteur prodigieuse et que toutes les productions du sol y abondent »
Le Maroc devint alors le grenier de Rome, avec une culture de céréales à grande échelle. Mais les arbres ont été abattus pour construire la flotte phénicienne, puis les terres commencèrent à s’appauvrir après le IIème siècle.
Une évolution similaire s’était produite dans l’ancienne Mésopotamie, autrefois « croissant fertile » qui est aujourd’hui en grande partie désertique, avec la salinisation des sols suite à l’irrigation.
Les écosystèmes de la vallée du Nil ont été profondément perturbés par la construction du barrage d’Assouan en 1960 : les limons fertiles ne se déposent plus sur les cultures en aval du fait de la suppression des inondations, ce qui amène le recours aux fertilisants chimiques. Les limons, peu à peu, remplissent le barrage, comme c’est le cas pour tous les grands barrages, et il sera comblé au bout de moins de cent ans. Sur les zones nouvellement irriguées, la remontée des sels en surface pourra avoir les mêmes conséquences qu’en Mésopotamie jadis : des sols stériles. Les effets ne s’arrêtent pas là : la suppression des apports de sels minéraux dans la Méditerranée a provoqué la chute des populations de sardines. Enfin, le changement de régime des eaux a provoqué le développement d’une espèce de mollusque aquatique causant l’extension d’une maladie parasitaire, la bilharziose, dans la population du delta.
Plus au sud, l’épuisement du sol par les pratiques agricoles a eu des conséquences plus graves. Le Sahara a été une région de brousse où se pratiquait l’élevage, comme en témoignent les fresques de Tassili (-10 à -9.000 ans). La culture sur brûlis ou écobuage, ainsi que le surpâturage ont favorisé le ravinement, en supprimant le couvert végétal ceci alors que la fin de l’ère glaciaire devait jouer un rôle déterminant. Petit à petit le désert s’est installé. Le Sahel, verdoyant il y a 25.000 ans, suit maintenant la même évolution à cause des mêmes pratiques.
Des processus similaires se déroulent ailleurs. Ainsi, au Burkina-Faso, des sols fertiles ont été utilisés en agriculture commerciale ou d’exportation. L’allongement de la durée de culture ou l’utilisation d’intrants chimiques détériore les bonnes terres, dont la fertilité baisse. Ceci peut aller jusqu’à la stérilisation du sol qui devient dur comme du béton (zipellé en langue mooré) et l’eau n’y pénètre plus. Toute culture y devient impossible et même la flore sauvage ne peut y pousser.
Lorsqu’il devient difficile pour les paysans de subvenir à leurs besoins avec la culture de céréales, ils se reportent sur l’élevage. Le surpâturage, la divagation des troupeaux l’été amène une disparition du couvert végétal qui nuit à la brousse.
Ailleurs, dans l’Ouest américain, le ravinement par le vent et l’eau, suite au labour, des prairies naturelles mises en culture a peu à peu amené la désertification.
Sans mesures de préservation des sols et sans modification des pratiques agricoles, la désertification avance dans de nombreuses régions, comme cela s’est déjà produit au cours de l’histoire.
destruction des sols et agriculture productiviste
La destruction des sols est aussi à l’œuvre dans nos pays : alors que l’agriculture jadis travaillait avec la nature, pratiquait les assolements, alternait les cultures et utilisait le fumier pour enrichir le sol, l’agriculture productiviste agit à la place de la nature, sous prétexte que la chimie ferait mieux qu’elle. Ce qu’elle obtient c’est la destruction des sols, avec les fongicides, les insecticides, les engrais chimiques, et aussi avec le labour profond.
La conception « bello-mécaniste » (suivant l’expression de Matthieu Calame) de l’agriculture triomphe : il faut exterminer tous les nuisibles (les insectes avec des insecticides issus des gaz de combat, mais aussi mauvaises herbes avec les herbicides, les moisissures avec les fongicides), et apporter artificiellement au sol ce qui lui manque (par la chimie avec les engrais, nés de la reconversion de l’industrie des explosifs nitratés).
La terre est considérée comme un système mécanique, auquel il faut tout amener de l’extérieur : les engrais et l’eau pour que les plantes croissent, les pesticides, herbicides et fongicides pour « faire la guerre » à ce dont on ne veut pas. Les grands conflits en ont donné le moyen, avec le conversion des industries de la guerre de 1914-18 dans la fabrication de pesticides (les gaz) et d’engrais (les explosifs à base de nitrates), ou la fabrication des herbicides sur la base des défoliants produits par Monsanto pendant la guerre du Viêt-Nam.
La conception mécaniste tire ses origines de l’« animal-machine » de Descartes, qui envisage que par les connaissances, nous pourrions trouver une pratique qui nous rende « comme maîtres et possesseurs de la Nature ». L’idée que nous pourrions remplacer les processus naturels par des apports minéraux est due au XIXe siècle à Julius Von Liebig inventeur de la théorie minérale et de la chimie agricole.
Remplacer les processus de la nature par des processus chimiques déséquilibre les échanges naturels et pousse à multiplier les intrants chimiques : l’utilisation de pesticides atteint la vie naturelle des sols, le labour, surtout s’il est profond, y participe aussi, augmente leur compacité de même que l’utilisation de matériel agricole de plus en plus lourd. Les lombrics disparaissent massivement, alors que leur rôle est essentiel pour l’aération des sols, leur perméabilité et la circulation des nutriments.
Les terres les plus touchées par ces pratiques sont sans doute les vignobles, dans le sud-est de la France, où on estime que la destruction de vie biologique (lombrics, insectes, arachnides, bactéries, moisissures) atteint 90 %. La surface des sols devient dure, « encroûtée », l’eau de pluie ruisselle dessus et n’imprègne plus les sols, les nappes phréatiques sont mal rechargées. Si le sol est nu – ce qui est le cas après la récolte en agriculture intensive – les gouttes de pluie tombant du ciel à forte vitesse projettent à leur arrivée au sol des microparticules de sol, qui ensuite sont enlevées par le ruissellement en cas de forte pluie. La couche de sol végétal est évacuée, le sol est privé de sa partie nutritive. En même temps, le taux de carbone organique du sol diminue, or c’est celui-ci qui permet au sol d’absorber l’eau et de la retenir.
Ce carbone est oxydé en CO2 et contribue à la hausse de son taux dans l’atmosphère. Ainsi, l’agriculture, au lieu de stocker du carbone dans les sols, contribue pour 14 % aux émissions de gaz à effets de serre : émission de CO2 sur les sols laissés sans couvert après la moisson, de protoxyde d’azote (lié à l’excès d’azote des engrais non assimilé par les plantes) mais aussi émissions lors de la fabrication des engrais ou par la consommation des machines agricoles.
Les sols, qui lorsqu’ils sont sains sont aérés deviennent compacts.
Alors qu’un bon sol, grâce aux galeries des vers de terre, peut absorber 160 mm de pluie par heure, soit le volume d’un gros orage, si la vie biologique y a été détruite, totalement ou partiellement, il perd cette capacité. La population de vers de terre est passée de 2 tonnes par hectare à moins de 100 kg/ha en cinquante ans : c’est le résultat de l’agriculture productiviste. Il ne faut pas s’étonner, qu’en aval, on constate des inondations lors de précipitations violentes. La contribution du ruissellement sur les terres agricoles au volume des cours d’eau devrait être étudiée, cela pourrait faire un bon sujet de thèse pour des étudiants, avis aux volontaires !
La destruction de la vie biologique des sols a d’autres effets : les fongicides tuent les multiples moisissures dont les filaments, adhérents aux racines, plongent profondément dans la terre, jusqu’au double de la profondeur des racines. En période sèche, ces filaments peuvent conduire de l’eau des profondeurs du sol jusqu’aux racines.
L’artificialisation des sols abouti aussi à la baisse du taux de matière organique dans le sol – divisée par deux dans les sols européens depuis 1950, et à la perte de la capacité du sol à stocker le carbone : c’est la vie biologique des sols, la décomposition de végétaux à sa surface qui l’alimentent en carbone. À son tour, ce carbone permet à la terre de stocker des quantités importantes d’eau de pluie : on estime ainsi que 1 % de carbone en plus dans le sol permet le stockage dans le sol de 190.000 litres d’eau par hectare.
Si la terre ne sait plus stocker l’eau, l’irrigation devient de plus en plus nécessaire dans des sols qui se dessèchent. Elle puise dans les eaux de surface et les eaux souterraines, sans se préoccuper de leur renouvellement naturel : ce que la pluie faisait en pénétrant dans le sol, nous le faisons moins bien en puisant dans des ressources qui peuvent s’épuiser : en agriculture, comme dans le domaine de l’énergie, notre monde est celui du non-renouvelable, de l’eau fossile que l’on puise en la faisant disparaître pour des millénaires.
Cette question rejoint celle de l’extractivisme : notre civilisation ne sait plus utiliser les processus naturels pour procurer l’eau aux plantes, mais aussi pour les nourrir. Les engrais chimiques – ou minéraux – ont besoin de l’extraction de ressources naturelles, que ce soit les phosphates ou le pétrole pour les engrais chimiques. L’irrigation existe depuis des temps anciens, elle peut, si elle ne perturbe pas les cycles naturels, être une solution durable. Si elle ne s’accompagne pas de mesures pour infiltrer l’eau de pluie et renouveler les nappes, si elle nécessite des forages profonds, si elle utilise des grands barrages ou des détournements de rivières qui perturbent pour des décennies les cycles naturels, elle peut amener à terme la stérilisation des sols. Ces solutions, basées sur le retour sur investissement sur le court ou moyen terme, sacrifient l’avenir plus lointain. La réflexion sur la nécessité de sortir de l’âge des fossiles dans le domaine de l’énergie devrait ainsi être étendue à l’agriculture avec l’arrêt de l’usage des eaux fossiles, et avec un prélèvement dans le milieu naturel n’excédant pas le renouvellement de la ressource.
Dans le domaine des engrais des solutions basées sur la nature existent aussi et peuvent être apportées tant par la vie biologique des sols que par d’autres plantes, avec les cultures associées ou culture alternées : là aussi, la sortie de l’âge des fossiles est possible.
Toutefois, un nouvel écueil apparaît avec le fait que des « solutions basées sur la nature » sont de plus en plus prônées par les institutions : c’est, avec le « Blue Print » de l’Union Européenne, le paiement et la marchandisation des services écosystémiques. Cela doit être clair : la nature, l’eau sont des biens communs, ils ne peuvent avoir une valeur sur le marché.
Une conséquence de l’utilisation des procédés chimiques est leur effet sur la santé : les cas d’agriculteurs rendus malades ou tués par les produits qu’ils utilisent se multiplient, pour certains, surtout les vignerons, c’est la raison de changer de modèle agricole, pour pouvoir vivre, tout simplement. Ces produits, s’ils sont vaporisés polluent l’air à proximité, s’ils sont épandus pénètrent dans les nappes phréatiques. Beaucoup sont des perturbateurs endocriniens, qui agissent à très faibles doses. Comme ils sont nombreux, l’effet cocktail augmente leur effet. Et les maladies ou troubles les plus divers liés à l’environnement et à l’alimentation voient leur taux exploser : cancers, maladies cardio-vasculaires, diabète de type 2, mais aussi chez l’enfant autisme, syndrome d’hyperactivité et d’inattention, surpoids, chez l’adulte – et les animaux – troubles de la fertilité, ou de différenciation sexuelle (poissons).
régénérer les sols en travaillant avec la nature
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