Cela se passe dans les Hauts-de-France
Le conseil régional des Hauts-de-France, dirigé par Xavier Bertrand, a réduit drastiquement les subventions aux associations écologistes locales. La raison : la susceptibilité des chasseurs, soutiens de la première heure du président de région.
Aux élections municipales de 1977, Pierre Mauroy, futur premier Premier ministre de François Mitterrand, se présentait à Lille. À l’issue du premier tour, les représentants d’une liste écologiste ayant obtenu 6,5 % des suffrages exprimés négocièrent avec le futur maire de Lille la création, dans la capitale des Flandres, d’un lieu de rencontre associatif voué à l’environnement et à la défense des droits. Pierre Mauroy accepta notamment de mettre à la disposition des militants les locaux d’une ancienne faculté de géologie au sein de laquelle fut créée, le 16 février 1978, la Maison de la nature et de l’environnement. Elle est devenue, quelques années plus tard, la Maison régionale de l’environnement et des solidarités (Mres). Ainsi, de multiples associations virent le jour et une structure régionale se constitua. 119 associations sont aujourd’hui regroupées au sein du réseau de la Mres, couvrant l’agriculture, l’alimentation, la protection de l’environnement, la culture, l’éducation populaire, l’entraide et la défense des droits, la solidarité internationale, etc.
Le Nord-Pas-de-Calais est un territoire marqué par la fin des industries à forte main-d’œuvre (charbonnages, métallurgie, textile…). Elle détient aujourd’hui le triste privilège de présenter de nombreux indicateurs socio-économiques et environnementaux dégradés [1]. De 1992 à 1998, un soutien important aux actions citoyennes d’éducation et de préservation de l’environnement, ainsi qu’aux démarches de solidarités locales et internationales a été consenti par le conseil régional, alors présidé par Marie-Christine Blandin, écologiste, membre des Verts.
« Les schémas régionaux de cohérence écologique ne doivent plus constituer une entrave à l’agriculture »
Dans un tel contexte, les coupes claires infligées aujourd’hui à ces corps intermédiaires par la nouvelle présidence de région, élue en décembre 2015, sont vécues douloureusement. « Depuis l’élection de Xavier Bertrand à la tête du conseil régional des Hauts-de-France, on tente de criminaliser les associations citoyennes », déclare Xavier Galand, directeur de la Mres. « Dans la fusion des régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie, poursuit-il, les particularités du tissu associatif nordiste — plus dense, structuré par secteur, habitué à des espaces de dialogue avec les élus régionaux — ont été effacées pour prendre modèle sur l’organisation picarde, centralisée autour d’un seul interlocuteur, faisant fi des particularités sectorielles, et ne cherchant pas à créer des espaces de dialogue. »
Singularité marquante de la Picardie : la place du parti Chasse, Pêche, nature et traditions (CPNT). Il a apporté son soutien à Xavier Bertrand dès le 6 décembre 2015, date du premier tour des élections régionales. En cas de victoire, le candidat Les Républicains confierait aux chasseurs — « les vrais connaisseurs de l’environnement » — la charge de la politique environnementale. À la suite de la défaite de Marine Le Pen face au Saint-Quentinois et ex-ministre du Travail des trois gouvernements Fillon sous l’ère Sarkozy, les chasseurs ont été servis et occupent des places de choix dans la nouvelle administration régionale.
« Aux yeux de Xavier Bertrand, s’insurge Xavier Galand, les chasseurs sont donc les mieux placés pour traiter la question environnementale. En vérité, il s’agit de déchirer le tissu associatif, précieusement constitué depuis la fin des années 1970, et d’opérer une grande lessive. Tous ceux qui parlent d’écologie doivent dégager, Xavier Bertrand veut les museler car, comme il l’avait affirmé pendant sa campagne électorale, ils pourraient contrarier ses projets de développement économique régional, pourvoyeur de nouveaux emplois. »
Dans le programme de Xavier Bertrand, intitulé « Notre région au travail », on pouvait lire notamment qu’il est indispensable d’apporter « une aide accrue à la croissance des entreprises », qu’il convient « d’être aux côtés de ceux qui donnent du travail », que l’on « peut concilier croissance et écologie », que « les schémas régionaux de cohérence écologique ne doivent plus constituer une entrave pour l’agriculture » et que « notre région ne doit pas rater le tournant de la troisième révolution industrielle ».
« Plus jamais nous ne subventionnerons les associations qui veulent la disparition de la chasse et des chasseurs »
Force est de reconnaître que ce qui a été annoncé par le candidat Xavier Bertrand est en cours de réalisation. Ainsi, la commission 2, chargée de l’environnement, sous-titrée Environnement, ruralité, chasse, pêche, est présidée par Guy Harlé d’Ophove, ancien vice-président du conseil régional de Picardie en 1986 sous l’étiquette Front national (parti qu’il a quitté quelques années plus tard) et aujourd’hui président de la Fédération des chasseurs de l’Oise. Il a déclaré en avril 2016 aux journalistes : « J’ai pu constater durant les trois premiers mois de mon mandat le manque d’enthousiasme de voir arriver un chasseur aux commandes de l’environnement. Ma première action a été de demander sur quels critères les 12 millions d’euros étaient versés aux organisations écologiques. Je puis vous assurer que tout cela va changer et que plus jamais nous ne subventionnerons les associations qui veulent la disparition de la chasse et des chasseurs. »
Sur un document transmis par la Mres, on peut observer que bon nombre d’associations environnementales ont vu, en 2017, leurs subventions réduites à leur plus simple expression. Peut-on en déduire que leurs animateurs souhaitaient la disparition de la chasse ? Xavier Galand commente : « Auparavant, on favorisait un tissu associatif indépendant pour maintenir en vie le débat démocratique. Aujourd’hui, ceux qui dirigent la région déclarent ne pas avoir vocation à financer leurs “adversaires’’. Ce n’est pas ce que nous faisons qui les dérange mais ce que nous sommes. Mais en aucune façon, nous ne faisons la chasse aux chasseurs. Ce n’est l’objet d’aucune association de la Mres. De plus, entretenir des clivages entre chasseurs et autres usagers de la nature, entre zones rurales et zones urbaines n’est pas le meilleur moyen de rassembler les énergies ! »
Evolution des subventions en 2016 et 2017 :
https://reporterre.net/IMG/pdf/conseil_reg_com_envir__tableau_evolutionsub2016_17_2.pdf
Directeur des Ajonc (Amis des jardins ouverts et néanmoins clôturés), René Penet a vu la subvention de 90.000 € versée en 2016 être éliminée en 2017 des politiques régionales. Ajonc, inscrite au sein du réseau de la Mres, travaille à faire émerger des jardins naturels partagés et à recréer du lien social par des activités pédagogiques de découverte et de sensibilisation à la nature et à l’écocitoyenneté. Pionnière en France, elle a vu le jour en 1997. « C’est une décision totalement arbitraire, déclare en colère René Penet. Elle a été prise sans explication, sans concertation, sans justification. La méthode employée est perverse. Il y a, de la part du conseil régional, une volonté manifeste de nuire car nos dépenses étaient déjà engagées pour l’exercice 2017 et nous n’avons été prévenus de son retrait qu’en octobre ! Rien ne nous laissait présager un tel désengagement. Les services techniques nous avaient seulement avertis d’une baisse de 15 %. Nous avons ainsi terminé l’année avec un résultat négatif de 80.000 €. Fort heureusement, nous avions quelques réserves, grâce à une gestion saine, sinon nous devions déposer le bilan. » En outre, Ajonc devra procéder à une réduction de sa masse salariale et quatre CDD ne seront pas convertis en CDI. L’un des postes de direction est menacé et René Penet risque de se retrouver inscrit sur les listes de Pôle emploi, tout en demeurant bénévole pour son association.
« Cela se traduira par le plus grand plan social silencieux de France »
Étant donné la situation critique dans laquelle se trouvent beaucoup d’associations présentes dans le réseau de la Mres, le collectif Vents d’assos Hauts-de-France prend forme en novembre 2017, dans le sillage d’une initiative identique prise antérieurement dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Île-de-France. « Nous sommes face à un “trumpisme”, s’insurge Xavier Galand. L’information de plus de 15.000 scientifiques qui, fin 2017, lançaient une alerte à l’opinion publique mondiale sur l’urgence écologique, est ignorée. Les données scientifiques qui attestent de la dégradation de l’environnement en Hauts-de-France sont totalement niées par l’exécutif régional ; ceux qui s’en alarment et se mobilisent sont pénalisés. Comme le vieil adage chinois le dit : “Quand le sage désigne la lune, le sot regarde le doigt.” »
Selon les membres du collectif Vents d’assos Haut-de-France, il s’agit de rendre visibles les conséquences de la disparition des associations, de faire connaître le fonctionnement politique des élus régionaux et en particulier celui de Xavier Bertrand.
À ce titre, le document statistique évoqué plus haut met en évidence une évolution spectaculaire des sommes allouées aux chasseurs par le conseil régional. À titre d’exemple, Naturagora, affiliée à une fédération de chasse, a vu sa subvention passer de 4.642 € en 2016 à 167.791 € en 2017, soit une croissance de 3.615 % !
L’Observatoire régional de la vie associative (Orva), né en 2014, produit également des éléments statistiques à la faveur d’un travail collaboratif des structures associatives, en s’appuyant sur les données de l’Insee. En 2016, l’Orva recensait sur le territoire des Hauts-de-France 82.000 associations actives, parmi lesquelles 10.686 d’entre elles employaient 177.754 salariés, soit 9,6 % de l’ensemble des salariés du territoire. « Ces associations, composées de milliers de bénévoles et de salariés, enchérit Xavier Galand, constituent une ressource culturelle fondamentale, un “commun” précieux. Elles sont un levier déterminant pour la vitalité de notre démocratie. En supprimant des subventions, le conseil régional des Hauts-de-France aggrave une situation déjà dégradée à la suite de la suppression des emplois aidés. Cela se traduira par le plus grand plan social silencieux de France. »
Face à cette inquiétante situation, Vent d’assos Hauts-de-France a organisé le 1er février dernier une première manifestation devant les locaux du conseil régional, à Lille. La délégation du collectif n’a été reçue que par le conseiller régional chargé de la biodiversité, dont les réponses sont demeurées évasives. D’autres actions sont en cours de préparation.
Reporterre.net
[1] Voici quelques indicateurs concernant les Hauts-de-France :
Confirmation de l’augmentation des températures au rythme de + 0,29 °C/décennie (alors que la tendance mondiale est de + 0,22 °C) (Observatoire Climat Hauts-de-France — Cerdd — Sept.2017) ;
Augmentation du nombre de jours de qualité de l’air dégradé, 6.500 décès prématurés et une perte d’espérance de vie entre 11 et 16 mois (Bilan Qualité de l’air 2016 — Atmo Hauts-de-France — mars 2017) ;
À l’échelle du bassin Artois-Picardie, moins d’un quart des cours d’eau présente un bon état écologique et chimique et moins du tiers des eaux souterraines présente un bon état chimique (Bassin Artois-Picardie — AEAP — mars 2017) ;
En 20 ans (1995-2014), les populations d’oiseaux communs des milieux agricoles du Nord-Pas-de-Calais ont décliné de 50 % (Évolution des populations d’oiseaux communs nicheurs NPdC 1995-2014 — GON — Oct.2017).