Nous parlons de l’impérieux devoir d’asile
Mais dans les faits nous traquons les migrants et les réfugiés autour de nos gares, dans les centres d’hébergement, à nos frontières, et jusqu’en mer. En Libye, au Soudan, en Erythrée, nous sommes prêts à signer des accords infâmes avec des régimes infâmes.
A peine sortis de l’état d’exception, nous nous installons dans l’état d’abjection. Nous parlons de l’impérieux devoir d’asile, mais dans les faits nous traquons les migrants et les réfugiés autour de nos gares, dans les centres d’hébergement, à nos frontières, et jusqu’en mer. En Libye, au Soudan, en Erythrée, nous sommes prêts à signer des accords infâmes avec des régimes infâmes. Nous imposons à nos alliés africains de faire le sale travail de refoulement à notre place. Nous acceptons la résurgence de l’esclavage sur les rives de la Méditerranée, et rendons à leurs maîtres les fugitifs. Nous stigmatisons l’immigration clandestine, mais rendons impossible l’immigration légale dont l’Europe a besoin, économiquement et démographiquement, et ce pour le plus grand bénéfice des passeurs contre lesquels nous prétendons lutter, et le plus grand danger des émigrés que nous assurons vouloir défendre de ces derniers. Nous nous alarmons du flot des réfugiés que nos bombardements et nos interventions militaires en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie ont fait grossir. Dans nos villes, nous détruisons de pauvres biens de pauvres hères, nous assoiffons, nous privons d’hygiène et de sommeil, nous condamnons au froid et à l’errance, nous enfermons. Calais est devenu le visage hideux de la République.
De même que l’état d’exception a institué l’Etat d’exception, par l’inscription dans le domaine de la loi ordinaire de plusieurs de ses dispositions temporaires, l’état d’abjection nous conduira à l’Etat d’abjection, par acceptation générale de l’inhumanité sur laquelle il repose. Dans la droite ligne d’un Manuel Valls affirmant qu’expliquer c’est excuser, le président de la République entend « se garder des faux bons sentiments » et enfourche le cheval du populisme en opposant les « intellectuels » au « peuple » : « Quand il y a des désaccords entre le peuple et les intellectuels, c’est qu’il y a beaucoup de confusion chez les intellectuels », a-t-il déclaré à Rome le 11 janvier. A quand les jurys populaires pour recruter ou évaluer les universitaires ?
Or, le chercheur sait que cette politique est dangereuse en même temps qu’elle est abjecte. Elle met en dissidence un nombre croissant de personnes. Les migrants eux-mêmes, bien sûr, qu’elle accule à une clandestinité publique. Mais aussi les militants associatifs ou les simples citoyens qui leur portent assistance, et que pourchassent les forces de l’ordre ou qu’incriminent les juges. Les organisations mafieuses d’Europe du Sud ou d’Afrique saharo-sahélienne prospèrent grâce à la rente artificielle que leur procure la prohibition de l’immigration, et elles développent un savoir-faire dans le franchissement illégal des frontières que les djihadistes n’ont pas manqué d’exploiter à leur tour. En Libye, voire dans le Sahel, elles tendent à se militariser, sur le modèle du Mexique, où les cartels tirent parti tout à la fois du convoyage des migrants et du trafic de narcotiques. Le blocage des routes sahariennes désorganise l’économie du nord du Niger, au risque d’y favoriser une reprise de la rébellion touarègue, laquelle se grefferait sur les mouvements djihadistes du Mali.
De manière générale, l’endiguement de l’immigration a pris le Sahel dans un effet de ciseaux, préjudiciable à sa stabilité. Depuis plus d’une décennie, l’aide publique au développement diminue ou stagne, au point que les « remises » des expatriés – leurs transferts financiers vers leurs pays d’origine – l’ont dépassée, mais la progression de ces dernières est aujourd’hui hypothéquée. Soumise à des programmes de libéralisation qui ont accru l’inégalité et ne cessent d’aliéner la ressource foncière au profit d’investisseurs agroindustriels ou miniers, confrontée au réchauffement climatique, ébranlée par les suites politiques et financières du renversement de Kadhafi en 2011, la région est placée sous un régime sécuritaire internationalisé auquel est désormais subordonnée l’aide publique au développement elle-même. Néanmoins, les interventions militaires aggravent dans la durée les problèmes qui ont paru les justifier. Nous avons réuni toutes les conditions pour que le Sahel s’enfonce dans une situation incontrôlable, à l’image de l’Amérique centrale.
En Europe même, la misère et l’exclusion sociale auxquelles on astreint les réfugiés ou les migrants constituent une menace pour la santé publique en les privant de suivi et de soins médicaux, alors même que ces populations en provenance des zones de guerre d’Irak, de Syrie et de Libye sont potentiellement porteuses de maladies graves et de formes de résistance aux antibiotiques qu’a engendrées leur exposition aux métaux lourds et à toutes sortes de pollution, dans les ruines des villes bombardées – l’une des conséquences des guerres de l’Occident que leurs thuriféraires néoconservateurs préfèrent passer sous silence, mais qui est la hantise des hôpitaux.
Pis encore, la République – son administration, sa police, sa classe politique – perd son âme et son honneur. Face à l’état d’abjection qui tourne à la violation systémique des droits de l’Homme, comme le déplore M. Jacques Toubon, leur Défenseur, le fonctionnaire doit faire valoir son devoir de désobéissance à des ordres anticonstitutionnels de nature à compromettre un intérêt public, et le citoyen son droit à la désobéissance civile. La complicité, même passive, n’est plus de mise. C’est en toute clarté intellectuelle qu’il convient de résister à la confusion morale qui entache notre politique migratoire depuis près de cinquante ans.
Le blog de Jean François Bayart
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À propos des pratiques préfectorales
Ces derniers temps, les décisions de justice à l’encontre des pratiques des préfectures se multiplient. Dans les Alpes-Maritimes, le préfet a été condamné en 2017 (le 31 mars et le 4 septembre) pour avoir interdit l’entrée en France à des demandeurs d’asile adultes, puis le 23 février pour avoir refoulé 19 mineurs.
La préfecture de Seine-Saint-Denis, de son côté, a perdu au tribunal administratif le 20 février, parce que la dématérialisation de ses procédures empêche de nombreux étrangers d’accéder à leurs droits. L’année précédente, le préfet de Paris avait cumulé 135 condamnations en deux semaines pour non-respect de l’enregistrement des demandes d’asile dans le délai imposé par la loi de 2015.
Non-respect de la loi érigé en système
Même lorsque la France est pointée du doigt par la Cour européenne des droits de l’homme, il ne se passe rien. Ainsi, en 2016, Paris a été condamné six fois par la CEDH pour le placement d’enfants en rétention (et pourtant le ministère de l’intérieur a refusé d’inscrire cette interdiction dans le projet de loi en discussion). Il est vrai, comme le regrette Gérard Sadik, responsable asile à la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués), que « ces condamnations ne changent pas grand-chose aux pratiques ».
Sur « les 100 000 requêtes annuelles devant le tribunal administratif, quelque 10 % à 15 % sont justement déposées pour contester les illégalités commises par l’administration », observe Serge Slama, professeur de droit public à l’université de Grenoble. Preuve à ses yeux que le non-respect de la loi est bien érigé en système. « Sur les étrangers, l’administration va se faire retoquer une fois sur six ou sept ; les autres fois, soit on ne fait pas de recours, soit le tribunal donne raison au préfet. Les préfectures tablent dessus pour leur gestion quotidienne du sujet », déplore Gérard Sadik à propos de l’asile.
Pour mesurer l’ampleur du phénomène, « il suffit d’observer le taux de libérations des centres de rétention ordonnées par les juges », ajoute Sarah Belaisch, directrice des pôles thématiques à la Cimade. Si 40 % des étrangers en rétention sont libérés sur décision de justice, c’est bien que leur privation de liberté n’a pas respecté les textes qui l’encadrent. « Près d’une personne sur deux, cela ressemble à un système », s’insurge la spécialiste en droit des étrangers, qui n’oublie pas que s’ajoutent à ces décisions de justice « les quelque 10 % de retenus que les préfectures libèrent avant la présentation au juge, parce qu’elles se savent en tort et préfèrent devancer une décision inéluctable ».
ENTRE LE DROIT NON RESPECTÉ ET LE DROIT NON SANCTIONNÉ LORSQU’IL N’EST PAS RESPECTÉ, NE MANQUERAIT-IL PAS EN FRANCE UNE VÉRITABLE CULTURE DU CONTRÔLE DE L’ETAT ?
Ces constats conduisent à s’interroger sur l’opportunité d’une nouvelle loi sur le sujet (la 17e depuis 1985) dès lors que l’administration prend des libertés avec les textes. Les juristes observent qu’un nouveau texte permet d’abord de légaliser des pratiques jusqu’alors non encadrées. Depuis septembre 2017, l’enfermement des potentiels demandeurs d’asile qui vont être renvoyés dans un autre pays européen où ils ont laissé leurs empreintes (dublinés) était hors la loi, la Cour de cassation l’ayant jugée illégale. « Ce qui n’a pas empêché plus de 1 000 placements entre-temps », s’indigne Mme Belaisch…
La loi Collomb réparera cette lacune comme elle rendra possible le partage d’information entre les foyers d’hébergement d’urgence et l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), point faible du décret Collomb du 12 décembre 2017 sur le recensement dans les hébergements d’urgence.
« Si une loi sert d’abord à montrer la détermination du ministre qui la porte, et fait partie de la comédie du pouvoir, elle permet de compléter les lacunes des textes précédents », confirme Danièle Lochak, professeure émérite de droit public. Ainsi, avant la loi de mars 2016 relative à la protection de l’enfant, l’usage des tests osseux pour évaluer l’âge d’un mineur étranger et savoir s’il faut le prendre en charge ou le refouler ne s’appuyait sur aucune base légale. Le fait d’inscrire l’« encadrement de sa pratique » l’a du même coup légitimé. Ironie du sort, ce sont les associations de défense des étrangers qui, en faisant du contentieux, mettent le doigt sur les maillons manquants et aident les ministères à tricoter les lois suivantes, qu’elles combattront ensuite.
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« Partout autour de nous, nous observons la récurrence de la suspicion »
Entre le droit non respecté et le droit non sanctionné lorsqu’il n’est pas respecté, ne manquerait-il pas en France une véritable culture du contrôle de l’Etat ? Souvent, le « procureur et le parquet ne veulent pas forcément mettre en cause les préfets », observe Serge Slama. Nicolas Hervieu, spécialiste de droit européen et professeur à Sciences-Po, ajoute que, quand l’affaire remonte au Conseil d’Etat, elle devient politique, puisque « le Conseil d’Etat a la mission de conseiller le gouvernement et d’être la juridiction supérieure du droit administratif ». Ce qui pose question.
Sauf si, à l’instar de Grégoire Bigot, membre de l’Institut universitaire de France et professeur à l’université de Nantes, on estime que la justice administrative « s’apparente d’abord à une ruse de la domination, puisqu’elle a pour objet premier de transformer un rapport de force en droit, de rendre tolérable la domination d’un pouvoir qui se meut dans le silence – lorsque ce n’est pas l’absence – de lois qui contraindraient l’administration à n’agir que dans l’intérêt des particuliers ». Son analyse date de 2015 (Ce droit qu’on dit administratif…, Ed. La Mémoire du droit). Elle est plus que jamais d’actualité.
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NB : quand Serge Slama parle de 10 à 15% c’est le taux d’annulation.
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NON ! M. Collomb n’a pas assoupli le délit de solidarité !
Le combat pour en finir avec le délit de solidarité avait bien engagé : il se solde pour celles et ceux qui ont tenté de le porter au sein de l’assemblée nationale par une amère défaite en rase campagne. Seul a survécu l’amendement dérisoire du gouvernement, enrobé de beaux discours et sous les applaudissements de la majorité. Le délit de solidarité a de beaux jours devant lui.
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La réforme française du droit d’asile en désaccord avec le droit européen
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