La France est une colonie numérique

 Elle va le rester !

Le député La République en marche et mathématicien Cédric Villani a remis récemment un rapport pour tenter de réveiller la France dans la course mondiale à l’intelligence artificielle. Enfin ! Face au manque de réactivité des patrons français, il propose une véritable politique industrielle. Mais il est peut-être trop tard.

L’intelligence artificielle, c’est quoi ?

Ce que l’on appelle « intelligence artificielle » (IA) recouvre une révolution technologique qui mêle informatique et sciences cognitives. Elle aboutit à l’élaboration d’algorithmes disposant de capacités autonomes d’apprentissage, en s’appuyant notamment sur le traitement d’un grand nombre d’informations, qui leur permettent de résoudre rapidement des problèmes compliqués.

Avec de l’IA, les machines arrivent à des jugements plus pertinents que les humains : elles évitent les biais cognitifs et les erreurs d’intuition. Pour autant, nous conservons des avantages : une ouverture aux informations nouvelles et du bon sens, ce qui manque aux machines.

La question qui agite ceux qui suivent la dynamique de l’IA est la suivante : va-t-on arriver à créer une intelligence artificielle équivalente à l’intelligence humaine ? Pour Murray Shanahan, spécialiste de robotique cognitive, face à cette question, il y a deux erreurs à ne pas commettre : croire que c’est pour bientôt et croire que cela n’arrivera jamais ! Une fois que l’on aura atteint le niveau d’une intelligence humaine, la rapidité d’auto apprentissage fera que l’on passera très vite à une intelligence supra humaine, analyse le spécialiste. Face au dilemme d’assurer sa survie ou celle de l’espèce humaine que choisira cette IA ? « Aujourd’hui, je ne sais pas » répond-il…

Des enjeux politiques, sociaux, éthiques, économiques

Les enjeux du développement de l’intelligence artificielle sont énormes. Pour Cédric Villani, c’est « une des clés du monde à venir ». Pour Valdimir Poutine : « celui qui deviendra leader dans ce domaine sera le maître du monde » Pourquoi ? Parce que l’IA confère un avantage militaire stratégique, qu’elle permet un contrôle des populations (reconnaissance faciale des piétons en Chine) et qu’elle est au cœur des enjeux de domination économique.

Les problèmes de Facebook sont l’une des illustrations de la capacité des IA à fournir des outils pour identifier, tracer et contrôler les salariés, les clients, les citoyens en général. Le principal enjeu est ici celui de la protection de la vie privée, chez soi et au travail.

Dans le domaine économique, l’IA est, comme Janus, à double face. Côté pile, c’est une source d’efficacité. Par exemple, montrait récemment The Economist, en utilisant l’analyse de données sur les ventes passées et des prévisions météo, l’entreprise française Leroy Merlin a réduit ses stocks de 8 % tout en augmentant ses ventes de 2 %. Une IA écrit des comptes rendus sur les comptes d’entreprises pour l’agence d’informations Bloomberg. En 2017, 22 milliards de dollars de fusions et acquisitions concernaient des entreprises travaillant sur l’IA.

Côté face, l’IA organise un nouveau partage de la valeur ajoutée. Celle incluse dans les voitures autonomes appartiendra aux entreprises qui vont fournir les algorithmes, telles Google, capables de capter de la valeur dans toutes les industries et services qui vont les utiliser. Cela peut conduire à développer un capitalisme de rente, de concentration des richesses et d’inégalités. D’autant plus que le leader peut remporter le paquet : plus de clients amène plus de données, plus d’IA et une meilleure efficacité.

Il ne faut pas l’oublier : le développement de l’IA vise à économiser du travail humain, du moins qualifié et du plus qualifié. Et pour ceux qui ont un boulot, le début du processus de recrutement chez la multinationale américaine Johnson & Johnson, qui reçoit 1,2 million de CV par an, est désormais effectué par une IA, qui va décider d’une partie de la vie des candidats.

Et la France dans tout ça ?

Le rapport Villani rappelle quelques épisodes français peu glorieux. Lorsque l’éducation nationale a voulu répondre à ses besoins numériques, elle a fait appel à Microsoft. La DGSI, nos services secrets, ont acheté des logiciels à l’entreprise Palantir, une start up liée à la CIA… De manière générale, les entreprises françaises font appel aux américaines quand elles ont des besoins d’IA

Au cœur  du modèle économique de l’intelligence artificielle, on trouve trois choses : de grosses quantités de données ; des algorithmes sophistiqués pour les traiter ; une grosse puissance de calcul pour le faire vite. Le rapport Villani propose d’avancer dans les trois domaines.

La France dispose d’une masse de données dans quatre secteurs : la santé, la défense, l’écologie et les transports. Le rapport propose de concentrer les efforts français dans ces domaines prioritaires en y poussant les travaux d’intelligence artificielle par la commande publique. Il suggère également que des règles soient établies pour empêcher le transfert de données hors Union européenne, afin de conserver cette matière première cruciale. Et appelle à réfléchir à la question clé de la conservation des données : en 2040, les besoins de stockage des informations vont excéder la production disponible de silicium qui permet de fabriquer les puces des ordinateurs.

Mercantilisme intellectuel

Afin de développer notre puissance algorithmique, le député assume une forme de mercantilisme intellectuel : il faut mettre les moyens financiers pour conserver les matheux et informaticiens que nous formons et qui vont travailler dans les centres de recherche de Samsung, Google ou Facebook qui viennent s’installer en France. Et même attirer les cerveaux étrangers ! Il recommande enfin de construire un supercalculateur public uniquement dédié à l’intelligence artificielle ainsi que du cloud privé pour développer la puissance de calcul.

Le président de la République a salué ce travail dont il soutient les propositions, mais ne lui affecte que 1,5 milliard d’euros de budget… quand celui de Google est de 13 milliards ! La firme de Mountain View paraît loin devant dans le secteur, voitures autonomes, médecine et même l’IA « pour tous » avec Cloud AutoML. Une application qui, une fois vos données entrées, créée automatiquement une IA qui  propose des conseils pour améliorer l’efficacité de votre entreprise sans avoir besoin d’un polytechnicien : 13 000 entreprises l’ont demandé pour tester. Amazon est derrière, dont les IA suivent nos achats et contrôle 40 % de l’offre de cloud. L’entreprise rachète deux fois plus de start up en IA que Google, quatre fois plus que Microsoft et se développe dans la robotique d’usine et la gestion de livraison de colis. Ce sans oublier les énormes efforts chinois : le pays s’est fixé comme objectif de réaliser une rupture technologique dans le domaine d’ici 2025 et s’en donne les moyens.

Très, très loin derrière, la France semble vouée à rester une colonie numérique.

Alternatives économiques

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Commentaire

Argumentaire très discutable. Il laisse à penser que l’on doit obligatoirement aller dans le chemin des intelligences artificielles… même si on met des bémols : ce n’est pas encore pour maintenant ! Le problème est qu’on est toujours dans cette optique : on n’arrête pas le progrès ! Mais la question de savoir ce que l’on entend par progrès n’est pas évoqué. La question de ce fameux progrès et de ses perspectives n’est pas évoquée.

De plus, on est toujours dans la hiérarchisation des process : «  on ne sera pas en tête, on sera une colonie, c’est-à-dire un moins que rien. »

Bien entendu, le transhumanisme devrait être en filigrane, il n’est pas évoqué ; avec toutes les conséquences sur la nature et aussi sur l’humain.