Par le collectif 8 juillet-Se défendre de la police
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Eborgné par un Flash-Ball : de la prison avec sursis requise contre les policiers
En juillet 2009, la police intervenait pour disperser une manifestation pacifique à Montreuil. Six tirs de Flash-Ball feront six blessés. L’un d’entre eux est énucléé. Alors que les policiers affirmaient avoir eu affaire à un groupe armé, l’enquête avait montré le caractère disproportionné de l’opération.
C’est le procès du Flash-Ball qui s’est tenu, du mercredi 16 au vendredi 18 mai, devant la cour d’appel de Paris. La justice rejugeait trois policiers accusés d’avoir tiré sur des manifestants à Montreuil en juillet 2009, éborgnant l’un d’entre eux. L’avocate générale a requis à l’encontre des prévenus des peines allant de sept mois à deux ans de prison avec sursis, assorties, selon les cas, d’une à deux années d’interdiction de port d’arme.
https://www.mediapart.fr/journal/france/190518/eborgne-par-un-flash
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http://jefklak.org/wordpress/wp-content/uploads/2018/05/8juillet_1.pdf
Extraits
Le collectif 8 juillet travaille depuis neuf ans à porter la vérité des violences subies sur la place publique. Surtout, il s’agit de montrer le fonctionnement devenu banal des forces de l’ordre dans les banlieues, les ZAD, les manifestations, les camps de réfugié.es ou le simple quotidien : entre brutalité froide et impunité systémique. Pour un rappel des faits et de la procédure qui a permis de faire passer en justice la police, on pourra lire sur le site de Jef Klak un long entretien avec les membres de ce collectif, composé de personnes blessé es par la police et de soutiens. Jef Klak publie les témoignages de la première instance et donne la parole au collectif 8 juillet.
« Le 16 décembre 2016 au TGI de Bobigny, trois policiers ont été condamnés pour s’être adonné à une partie de Flash-Ball le soir du 8 juillet 2009 à Montreuil, et avoir blessé six personnes, mutilant l’un d’entre nous. Non contents des peines pour le moins symboliques dont ils ont écopé, les policiers ont fait appel, prolongeant encore une procédure sans fin. Les sept années qui ont précédé ce premier procès, nous avons rencontré de nombreux collectifs constitués suite à une blessure, à un mort. Partageant nos histoires, nous avons acquis une connaissance précise des mécanismes de la violence policière. Nous avons les pleurs, mais aussi l’expérience, nous avons la rage, mais aussi le savoir. Nos vécus, nos luttes ont fait de nous des expert es.
Le mercredi 24 et le jeudi 25 novembre 2016, c’est cette expertise sensible que nous avons convoquée à l’intérieur du tribunal. Il n’était plus question pour nous de demander la vérité, mais de la faire surgir depuis le réel de nos histoires, et de l’imposer là où elle est continuellement effacée et déniée. Treize personnes directement touchées par la violence policière sont venues témoigner à la barre, et voici deux de ces prises de parole… »
Collectif 8 juillet
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Je témoigne aujourd’hui parce que j’habite à Montreuil et que le soir du 8 juillet 2009, j’étais présente quand la police a tiré. Je participe au collectif 8 juillet qui s’est constitué après les événements qui sont arrivés ce soir-là.
Pour comprendre ce qu’il s’est passé et pourquoi la police a tiré, il faut comprendre sur quoi la police a tiré. Ce soir-là, elle n’a pas seulement tiré sur des individus mais sur des formes de solidarité.
Le soir du 8 juillet, nous sommes dans la rue pour exprimer notre colère suite à l’expulsion d’un lieu occupé qui s’appelait La Clinique. On distribue des tracts pour in- former la population de Montreuil de l’expulsion qui s’est déroulée le matin même. L’expulsion a été violente. Des habitant.es ont été insulté.es, frappe.es et visé.es au fusil d’assaut.
La Clinique, c’était un lieu occupé qui donnait sur la place du marché, près du métro Croix de Chavaux. C’était un lieu ouvert sur la ville. Des activités et des collectifs de luttes s’y organisaient. Montreuil subissait alors une grosse pression immobilière. Dominique Voynet venait d’être élue maire et tout un processus de restructuration se mettait en place. Pour les plus pauvres et les plus précaires, il était de plus en plus difficile de trouver un logement en centre-ville.
L’expulsion de La Clinique est arrivée dans un contexte où la ville connaissait un processus de transformation aussi rapide que brutal. Certain.es essayaient de résister, de s’organiser et de prendre en main les besoins liés à leur condition de jeunes précaires. Concrètement, cela voulait dire : s’organiser contre les arrestations et les expulsions de sans-papiers, participer à des collectifs de chômeurs et chômeuses, se solidariser autour des questions de revenu et de travail, faire des cantines, des projections, aider à la recherche de logements et à la défense de gens menacés d’expulsion.
Le soir du 8 juillet 2009, la police a tiré sur tout cela. Elle a tiré sur toutes ces formes de solidarité, de partage et d’organisation collective. Si jamais on ne raconte pas cela, on ne peut pas comprendre pourquoi la police nous a tiré dessus. Si je le répète, c’est parce qu’en blessant six personnes, c’est sur bien plus qu’ils ont tiré. On a eu peur. Il y a eu de la panique. C’était une démonstration de puissance. Expulser ce lieu, de cette manière, c’était nous dire :
« Rentrez chez vous, on ne veut plus vous voir dans la rue, on ne veut plus vous voir faire toutes ces choses ».
Et cette violence a continué, parce qu’après le soir du 8 juillet, nous n’avons pas déménagé, et la plupart d’entre nous ont continué à habiter Montreuil. Elle a continué à travers une série de vexations, d’humiliations, d’arrogances. Par exemple, vous rentrez chez vous le soir, une voiture banalisée roule doucement, s’arrête à votre hauteur et les policiers à l’intérieur vous montrent leurs armes en souriant… Il est arrivé que des policiers nous appellent par nos noms de famille dans la rue. Ou encore que certains d’entre nous se fassent frapper dans une voiture de police après avoir été arrêtés suite à une expulsion. Ou encore, pendant l’occupation d’un Pôle Emploi à Montreuil, qu’un policier lance : « Vous faites moins les malins maintenant que vous avez perdu un œil ! »
Si je raconte tout cela, c’est pour dire qu’au-delà de ce qu’il s’est passé le soir du 8 juillet, il y a une violence plus quotidienne, plus banale, qui prolonge celle qui nous est tombée dessus le 8 juillet. Cela ne nous concerne pas seulement. Il y a pleins d’autres histoires de ce type à Montreuil. Et ce ne sont pas des rumeurs, ce sont des affaires que l’on peut trouver dans la presse. L’année suivante, devant le centre social des Morillons, la BAC est arrivée et a tiré au flash-ball au milieu de gamins en train de jouer à cache-cache. Au printemps 2010, un jeune adolescent s’est fait contrôler, puis a été emmené dans un terrain vague, tabassé et laissé là. En octobre 2010, pendant une expulsion de maison, un habitant s’est pris un coup de taser. Le même jour, juste après cette expulsion, la même patrouille s’est rendue devant le lycée Jean-Jaurès et a tiré au LBD 40. Un jeune lycéen de 16 ans, Geoffrey, qui manifestait contre la loi sur les retraites, a perdu la vue d’un œil.
C’est insupportable d’assister à toute cette violence, dans la même ville, un an après ce qui nous est arrivé. Et cela se passe dans pleins d’autres villes. Pour nous, qui avons vécu la soirée du 8 juillet, il a fallu conjurer la peur et comprendre ce qu’il s’était passé. Pourquoi on nous avait tiré dessus, pourquoi il y avait eu des blessés, pourquoi l’un d’entre nous avait été mutilé.
C’est ce que nous avons fait pendant les sept années qui ont suivi, en allant rencontrer d’autres gens qui avaient vécu la même chose, mais dans d’autres contextes. C’est comme cela que nous avons réussi à faire face collectivement à cet événement. C’était une façon de lutter contre l’isolement et la peur. C’était une façon de tenir ce à quoi nous nous étions engagés au lendemain du 8 juillet : nous ne nous laisserons pas tirer dessus en silence.
Paule, membre du collectif 8 juillet-Se défendre de la police
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Je m’appelle Farid El Yamni, j’ai 31 ans. Je suis le frère de El Yamni Wissam, battu à mort par la police le 1er janvier 2012
Wissam a été battu à mort par des policiers le 1er janvier 2012 à Clermont-Ferrand dans un couloir du commissariat. Je suis ici devant vous pour vous parler de ce que j’ai vécu depuis et ce que j’ai appris en côtoyant d’autres familles de victimes de la police, ainsi que d’autres victimes.
Cette année, avec d’autres familles de victimes, nous avons été invite.es à l’ONU, qui a condamné la France sur la question des violences policières. Il est intéressant de considérer ce que disent les organisations internationales et étrangères sur la police française. Même le New York Times, considéré comme le journal le plus sérieux au monde, a dénoncé une culture de l’impunité profondément ancrée dans la police française. Ce qui choque le monde entier à propos de la police française, c’est le manque de transparence, le déni des institutions sur ces questions-là. Aux États-Unis, on peut savoir qui ça concerne, quoi, comment, où, combien. En France, on ne sait pas.
C’est ce qui fait qu’en France, aujourd’hui, on ne peut se reposer que sur la vérité de nos expériences personnelles. Que disent ces vérités empiriques ? Elles disent une chose : qu’il y a effectivement impunité et qu’elle est volontaire .
Depuis 5 ans, depuis la mort de mon frère, il n’y a pas une seule affaire de violence policière – et on en côtoie quotidiennement – où il n’y a pas un dysfonctionnement vou- lu et créé par ceux qui sont chargés de faire la vérité. Tout cela rajoute de l’injustice à l’injustice. Le processus judiciaire ne fonctionne pas.
Quels sont les acteurs de ce processus ?
Ça commence par le parquet. Lorsqu’il y a une histoire de violence policière, c’est lui qui choisit de saisir un juge d’instruction ou pas –ce qui est étonnant pour un pays qui se dit des droits de l’homme et qui a fait de la séparation des pouvoirs l’un des murs porteurs de la société. Si le parquet ne fait pas son travail, vous n’avez pas la vérité. Par contre s’il le fait, ce n’est pas suffisant.
La police des polices est le deuxième acteur. Elle dépend du ministère de l’Intérieur. Dans l’affaire de mon frère, le ministre de l’Intérieur, le plus haut placé dans la hiérarchie policière, a pris position. Or rarement, voire même jamais, la police des polices ne vient contredire la position du ministre de l’Intérieur. Mais, même si elle cherche à faire la vérité, ce n’est pas non plus suffisant.
Il y a ensuite le juge d’instruction. Il demande des actes judiciaires. S’il ne les demande pas convenablement et dans des délais raisonnables, on n’a pas la vérité. Et s’il le fait, ce n’est pourtant pas suffisant.
Il faut aussi qu’il y ait des témoins, de nombreux témoins visuels. Dans l’affaire de mon frère qui a été battu à mort, il y a près de 10 témoins. Mais ce n’est toujours pas suffisant. La version policière n’est pas remise en cause.
Il faut qu’ensuite il y ait des experts judiciaires qui fassent correctement leur travail. C’est peut-être le dysfonctionnement majeur de la justice française aujourd’hui. Dans les expertises judiciaires, un expert peut écrire que le sol est bleu. Le juge d’instruction se contentera de lire la conclusion, et dira qu’en sa qualité d’expert, cette personne a dit que le sol était bleu. S’il n’y avait pas d’expert judiciaire qui mente, on pourrait le croire ; mais dans de nombreuses affaires, des experts judiciaires mentent. Et si l’expert judiciaire fait la vérité, si le juge d’instruction fait la vérité, si l’on entend et croit les témoins visuels, si la police des polices fait la vérité, si le parquet fait la vérité, alors on peut avoir la chance d’avoir un jour un procès, comme c’est le cas aujourd’hui.
Mais ce n’est toujours pas suffisant pour obtenir justice. Il faut que le personnel de justice, c’est-à-dire vous qui êtes en face de moi, applique la loi. Que dit la loi ? Elle dit que le fait que des policiers exercent des injustices est une situation aggravante. Mais dans les faits, le personnel de justice n’applique pas la loi…
On nous dit souvent que la police française est la plus contrôlée au monde. Mais qui fait l’enquête interne ? C’est la police des polices. Qui fait l’enquête administrative ? C’est la police. Qui fait l’enquête judiciaire ? C’est le juge d’instruction qui demande à la police des polices qui, à son tour, demande à la police. Il y a aussi le défenseur des droits, qui demande des actes au juge d’instruction, qui demande à la police des polices, qui demande à la police, etc. Alors, effectivement, la police française est très controlee, mais uniquement par elle-même.
En 2012, la Cour des comptes a critiqué l’indépendance de la police de polices. Il y a un manque de transparence criant sur la question des violences policières, qui crée de l’impunité et rajoute de l’injustice à l’injustice.
Je vous ai parlé de ce que l’on voit depuis cinq ans. Maintenant, je vais vous parler de l’affaire qui me concerne, l’affaire de mon frère. Le 1er janvier 2012, mon frère, Wis- sam El Yamni, a jeté une pierre sur une voiture le Jour de l’an. Oui, il aurait du être jugé pour ça. Non, les policiers n’avaient pas à se faire justice.
Les policiers qui vous font face aujourd’hui ont aussi choisi de faire justice eux-mêmes. Le message qu’ils vous envoient, le message qu’ils nous envoient, c’est que ce n’est pas à un tribunal de faire justice, mais à eux. Si vous, magistrats, les suivez, vous leur donnez raison. Mais dans un État de droit, c’est au tribunal de rendre justice.
Nous ne sommes pas pro-flic ou anti-flic, ni pro-justice ou anti-justice. Nous sommes pour ce qui est juste et nous demandons simplement le respect de nos droits. Aucune famille de victimes de violences policières, aucune victime ne désire autre chose que le respect de ses droits les plus vitaux, le respect de sa dignité.
Dans l’histoire de mon frère, il y a eu des manipulations de preuves. Mon frère est tombé dans le coma après avoir été battu par les policiers : trois fractures au visage, des fractures au col, des marques de strangulations. Il est mort dix jours plus tard. Une première autopsie a été faite, sans prendre en compte qu’il avait été pris en charge en soins intensifs, comme s’il venait de mourir. Si vous prenez un boxeur dix jours après son combat, ses marques de coups se seront résorbées. Le médecin légiste a donc pris la version policière et nous a dit : voici la vérité. Il a oublié des fractures et des marques de strangulations, pourtant observées par les médecins qui s’étaient occupés de lui, tout comme il a oublié les versions des témoins.
Comme dans beaucoup d’affaires, ils ont mis la pression sur la famille pour qu’on enterre rapidement le corps. Nous, nous ne voulions rien de plus que la vérité. On ne pouvait pas s’accommoder de la version des policiers, même si le légiste y avait mis un tampon. Ça ne correspondait pas. Ça n’avait rien de scientifique. Ce n’était qu’un acte de communication. Et puisque nous refusions cette expertise et demandions une contre-autopsie, on nous a fait patienter des semaines. Ils ont laissé mon frère dans un état de putréfaction pendant six mois, et pendant tout ce temps, ils nous ont refusé de faire une contre-autopsie. On nous a rendu le corps six mois après –un record mon- dial– et lorsqu’ils nous ont enfin autorisé.es à faire une contre-autopsie, c’était impossible parce que le corps était en état de putréfaction. Le médecin-légiste ne pouvait plus pratiquer d’autopsie, seulement des expertises.
Le premier médecin légiste n’a pas utilisé de dossier médical. Le second a noté qu’effectivement le premier légiste avait oublié des fractures, mais que c’était compréhensible, car elles étaient anciennes. Comme si mon frère vivait avec des fractures oubliées. Il a aussi dit que les marques au cou étaient des marques de frottements de vêtements, et il a utilisé les analyses d’un soi-disant expert cardiologue –en fait un gériatre– qui dira que durant le coma, l’électro- cardiogramme était bizarre et que la mort était probablement due à un problème cardiaque, vu qu’il y avait aussi des traces de drogues. Ce second médecin légiste a mis un an et demi pour rendre son rapport. Et le juge d’instruction a trouvé ça totalement normal.
Nous avons été voir de vrai es expert.es en cardiologie, qui ont fait remarquer que le médecin gériatre n’était pas compétent, et que ce qu’il disait était faux. Notamment sur la base des médicaments qu’on avait donné à Wissam durant son coma, et qui avaient pu influencer les résultats. Une contre-contre-expertise a alors été ordonnée, et a conclu que la mort de mon frère avait pu être causée par la prise de drogue. Mais cette expertise ne contenait même pas de bibliographie.
Nous avons donc alerté des députés et des journalistes. Nous avons alors été contacté.es par un des experts toxicologues les plus reconnus. Celui-ci a réfuté les âneries des premières expertises, montrant que mon frère était en dessous du seuil de positivité toxicologique. Non seulement il n’était pas sous l’influence de la drogue au moment de son interpellation, mais en plus, il était mille fois en dessous du seuil de létalité que peut causer la prise de drogue.
Cinq ans après, nous n’avons toujours pas la vérité médicale des causes de la mort de mon frère –ce qui arrive régulièrement en France.
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