Souviens-toi.
Sur le territoire français, les nazis ont entre 1941 et 1943 édifié un camp pour y emprisonner des opposants politiques allemands en un premier temps puis des membres de la Résistance française victimes des décrets « Nuit et brouillard » de 1941. Le camp de Natzweiler au Struthof n’était pas un camp d’extermination mais un camp de concentration comme celui de Dachau et de Buchenwald. Les nazis y rassemblaient les opposants politiques qui furent contraints au travail forcé ainsi que tous ceux qu’ils considéraient comme indésirables ou asociaux.
Il importe de distinguer formellement ces camps de détention où l’industrie allemande trouvait parfois une main d’oeuvre abondante et gratuite et les camps d’extermination comme Auchwitz, Sobidor ou Treblinka dont la finalité, comme leur nom l’indique, était l’extermination en particulier des juifs et des tziganes.
Le général Pinochet en fut un prolongateur quand trente ans plus tard au Chili il fit enfermer, sur un stade de Santiago, les partisans de l’Unité Populaire du président Salvador Allende. Les khmers rouge du Cambodge réduisirent leur propre peuple en esclavage et le massacrèrent pour… le purifier. Les serbes de Milocevic ouvrirent d’autres camps de concentration comme celui d’Omarska en Bosnie-Herségovine pendant la guerre qui déchira la Yougoslavie, il y a moins de trente ans. En Syrie, un criminel contre l’Humanité bombarde, napalme, gaze son peuple après avoir enfermé, torturé et violé dans le seul but de terroriser la population avec la complicité et sous le regard bienveillant de son allié russe.
La volonté de réduire à néant toute résistance politique par la déportation, l’enfermement et la violence extrême n’est pas morte avec les pratiques nazies, elle renaît sans cesse avec les mêmes méthodes. De la même manière, la volonté d’extermination d’un peuple, d’une ethnie ou simplement d’un groupe humain n’a pas commencé avec les nazis et ne s’est pas achevée avec eux. Comment qualifier la mise en esclavage et l’extermination des amérindiens du cône sud quand Espagnols et Portugais s’y implantèrent puis s’y installèrent ? Comment appeler l’extermination des amérindiens du cône nord quand d’autres européens les parquèrent dans les réserves pour s’accaparer leurs terres ancestrales ? Que dire du massacre des Hottentots et des Namas en Namibie ? Comment lire le massacre de centaines de millions de Tutsis dans l’indifférence, y compris celle de la France ? Dans quelle représentation de l’esprit classer la chasse aux Rohingyas en Birmanie ?
Des mots nous viennent immédiatement à l’esprit : génocide, nettoyage ethnique. Nos sentiments hier comme aujourd’hui : impuissance mais colère et mémoire que rien ni personne ne pourra jamais annihiler. Nos réponses : Nuremberg et la Cour internationale de Justice, toutes les commémorations que vous voudrez mais surtout une mémoire sans faille et des mots pour dire et nous souvenir jusqu’à la nuit des temps.
Ce dimanche 30 avril sera la Journée nationale de la Déportation. Ce jour-là, je pavoiserai. Je pavoiserai trois fois : le drapeau de la France, le drapeau de l’Union européenne et la bannière bleu ciel des Nations-Unies. Ce jour-là, je me souviendrai avec tristesse de tous ceux qui ont été les victimes de la droite extrême allemande et française. Sans distinction. Je ne laisserai pas ma pensée s’enfermer dans une commémoration particulière ; juifs, tsiganes, namas et hottentots de Namibie, tutsis et hutus, syriens, rohingyas et tous les autres, vous peuplerez ma mémoire.
Ce dimanche 30 avril, je me souviendrai du pasteur protestant et allemand qui disait :
« Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif.Puis ils sont venus me chercher et il ne restait plus personne pour dire grand chose ».
« Le chant des marais », en allemand « Die Moor Soldaten », a été écrit en 1934 par des détenus politiques allemands du camp de Börgermoor. Il est l’hymne commémoratif des anciens déportés. Lors de la cérémonie aux Invalides, il accompagnera le cercueil de Simone Veil qui survécut à la déportation.
Le chant des marais
Loin, vers l’infini, s’étendent
Les grands prés marécageux.
Pas un seul oiseau ne chante
Dans les arbres secs et creux.
Ô terre de détresse
Où nous devons sans cesse piocher, piocher !
Dans ce camp morne et sauvage,
Entouré de murs de fer,
Il nous semble vivre en cage,
Au milieu d’un grand désert.
Ô terre de détresse
Où nous devons sans cesse piocher, piocher !
Bruit des pas et bruit des armes,
Sentinelles jour et nuit,
Et du sang, des cris, des larmes,
La mort pour celui qui fuit.
Ô terre de détresse
Où nous devons sans cesse piocher, piocher !
Mais un jour dans notre vie,
Le printemps refleurira,
Libre alors, ô ma Patrie !
Je dirai : tu es à moi.
Ô terre enfin libre
Où nous pourrons revivre, aimer !
Ô terre enfin libre
Où nous pourrons revivre, aimer, aimer.
https://www.youtube.com/watch?v=UyViReIewSw
Ce dimanche j’écouterai également le Kaddish pour violoncelle et piano par Sonia Wieder et Daria Hovora.
https://www.youtube.com/watch?v=Yui3LRh-CIc
Colère. Oui, mais également émotion en pensant à Pierre Brossolette, Geneviève De Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay. Le premier se jeta par une fenêtre pour ne pas céder à la Gestapo et le dernier mourut assassiné par la Milice française aux ordres des nazis. Les deux résistantes ouvrent et ferment à la fois la marche. Elles survivront à leur déportation à Ravensbrück et poursuivront leurs engagements jusqu’à leur mort.
Tzvetan Todorov quitta sa Bulgarie natale pour s’installer en France, nous honorant ainsi de sa présence et nous enrichissant de la puissance de sa pensée. Il a consacré à Germaine Tillion des pages inoubliables. Lire pour cela « Mémoire du Mal, Tentation du bien-Enquête sur le siècle ». L’éditeur Textuel a édité quatre brèves mais si parlantes biographies des Résistants qui sont entrés dans notre Panthéon.
Geneviève De Gaule Anthoniaz consacra sa vie à ATD-Quart monde. Germaine Tillion mit ses connaissances et ses compétences d’ethnologue au service de la recherche historique sur la seconde guerre mondiale et plus particulièrement sur les crimes commis par les nazis. La guerre d’Algérie qui pendant très longtemps ne voulut dire son nom, retiendra toute son énergie. Elle tentera l’impossible pour que les deux parties prennent langue et mettent fin à une guerre fratricide qui lui était insupportable.
Klein ; sur mediapart