La politique environnementale du gouvernement actuel
La publication, mercredi 4 juillet, du plan pour la biodiversité porté par -Nicolas Hulot, le ministre de la transition écologique et solidaire, est l’une des plus frappantes illustrations du » en même temps « cher à Emmanuel Macron – et de ses limites. Il faut préserver l’environnement, et » en même temps « autoriser sa destruction. Il faut établir des principes protecteurs de la nature, et » en même temps « les rendre le plus inoffensifs possible.
L’un des axes majeurs du plan est ainsi de parvenir à la fin de l’artificialisation nette des terres agricoles et des espaces naturels – dont le rythme est insoutenable –, mais c’est l’exécutif qui a fait appel de la décision de justice annulant la création de la zone d’aménagement du projet EuropaCity qui prévoit la construction, sur 280 hectares de terres agricoles d’Ile-de-France, de centres commerciaux et de parcs de loisirs. Et c’est encore le gouvernement qui a donné son imprimatur au » Grand Contournement ouest » de Strasbourg, un projet autoroutier contesté de plus de 300 hectares.
Le plan présenté met aussi l’accent sur la préservation de la biodiversité dans les territoires d’outre-mer et à l’étranger. Mais le gouvernement envisage d’accorder à un consortium russo-canadien une concession minière dans la forêt guyanaise, en dépit des dégâts écologiques irréparables que provoquerait une telle exploitation. Et c’est encore le gouvernement qui autorise l’importation, par Total, de centaines de milliers de tonnes d’huile de palme, dont la production est l’une des causes majeures de déforestation dans l’archipel indonésien.
De fortes pressions
Il faut aussi lutter contre la prolifération du plastique, lit-on dans le plan. Il y a urgence car, des microplastiques, on en retrouve désormais partout. Mais c’est encore le gouvernement qui a blackboulé un amendement destiné à interdire l’utilisation de plastique dans les cantines scolaires, lors de l’examen en première lecture, par l’Assemblée, du projet de loi agriculture et alimentation. » J’ai été très surpris que le gouvernement rejette cet amendement et cède au lobby du plastique, a d’ailleurs déclaré, dans Le Parisien, le sénateur Xavier Iacovelli (PS, Hauts-de-Seine). C‘est à la fois un enjeu de santé publique et une nécessité absolue en matière de réduction des déchets. Le plastique est devenu un véritable fléau. «
Préserver la faune des campagnes françaises ? C’est une nécessité, lit-on dans le plan. Mais cela n’empêche pas le gouvernement de réfléchir, à voix haute, à une baisse de 50 % du coût du permis de chasse… Ni de soigneusement éviter l’inscription, dans la loi agriculture et alimentation, de toute mesure d’interdiction du glyphosate d’ici à 2021, contrairement à la promesse présidentielle. Or l’utilisation des pesticides en général est l’un des facteurs-clés de l’effondrement de la biodiversité dans les campagnes françaises, où 30 % des oiseaux ont disparu au cours des quinze dernières années.
Sur ce dossier, les pressions semblent d’ailleurs avoir été singulièrement fortes. Le Parisien a ainsi déniché quelques cocasseries, comme ces trois députées de La République en marche qui ont voté contre l’amendement interdisant le glyphosate, après avoir signé une tribune dans Le Monde appelant à son interdiction. Une autre élue LRM, elle, est allée jusqu’à voter contre son propre amendement, qui prévoyait aussi l’interdiction de la substance controversée.
Déposer un amendement et » en même temps « voter contre lui, préserver et » en même temps « détruire, faire et » en même temps « ne rien faire… S’agissant d’environnement, le » en même temps « macronien perd de son élégance rhétorique. La société et l’économie ont des souplesses que les lois de la nature n’ont pas : dès lors qu’il s’agit de réalités matérielles, le » en même temps « devient la manifestation d’une forme banale de dissonance cognitive, cette disposition d’esprit qui nous incline à ne pas croire en ce que nous savons.
Celle-ci peut aller très loin. Le 2 juillet, on a ainsi pu voir le premier ministre, Edouard Philippe, et Nicolas Hulot, dans un » Facebook Live » (un exercice de communication dans lequel de hauts personnages de l’Etat deviennent, l’espace d’une demi-heure, des sortes de youtubeurs répondant face caméra aux questions d’internautes) consacré à l’environnement, deviser tranquillement sur les enseignements d’Effondrement (Gallimard, 2006 ; Viking Penguin, 2005), l’une des œuvres majeures du biologiste et géographe américain Jared Diamond.
Dans cet essai important sont rassemblés des exemples historiques montrant que des sociétés incapables de s’adapter aux bouleversements – naturels ou anthropiques – de leur environnement ont sombré dans le chaos économique, social et politique, pour finalement disparaître. Ou qu’au contraire, des sociétés qui prennent de bonnes décisions, en temps et en heure, peuvent surmonter des contraintes environnementales fortes…
Les deux ministres présentent, ainsi, la lutte pour la préservation de l’environnement comme un enjeu littéralement vital pour la société. » Cette question me taraude beaucoup plus que certains peuvent l’imaginer, a dit M. Philippe. Comment fait-on pour que notre société humaine n’arrive pas au point où elle serait condamnée à s’effondrer ? «
Face à des tels enjeux, assumés comme vitaux au sommet de l’Etat, le plan biodiversité présenté trois jours plus tard est sous-financé, ne repose que sur des mesures incitatives et n’est en aucune manière en capacité de ralentir le rythme effréné auquel la vie s’érode. Pourquoi une telle timidité face à l’importance du défi ? Edouard Philippe le sait bien : nul n’a jamais pu mettre en évidence une société qui serait parvenue à s’effondrer et, » en même temps « , à ne pas s’effondrer.
Le monde daté du 8 juillet