Quand l’économie devient religion
Un livre de Stéphane Foucart, édition Grasset
2007-2008 : la crise des subprimes plonge le monde dans la stupeur. Personne, ou presque, ne l’a vue venir, et surtout pas les économistes mainstream. L’économie n’était-elle pas censée être une science infaillible ?
Peut-être est-ce tout le contraire. Dans l’Occident post-religieux, le discours économique semble avoir pris la place du sacré. Ce culte a pour principe divin le Marché, incarné par une multitude de Marchés dont l’appétit n’est apaisé que par la croissance. Il a pour valeur cardinale la liberté d’entreprendre, pour idéal l’équilibre et pour credo l’infinitude du monde, condition à la satisfaction des dieux. Il a ses temples, ces grandes bâtisses d’allure gréco-romaine où valsent les indices, reflets des humeurs divines changeantes. Il a ses rites de consommation ; il a son clergé, la finance, et ses archiprêtres, les grands banquiers centraux, seuls capables d’apaiser la colère des dieux.
Progressivement, depuis le XVIIIe siècle, l’économie a acquis l’autorité dont était investie la religion. Elle ne s’attaque plus à l’astronomie et à la biologie, comme le christianisme avant elle, mais s’en prend à l’écologie et à toutes les sciences qui fixent des limites au Marché. Le nouveau Jupiter, c’est lui.
Une fascinante enquête historico-économique à la recherche des ressorts profonds du système économique qui nous régit.
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La thèse n’est pas nouvelle, Jean-Pierre Dupuy l’a déjà soutenue. Mais elle est ici systématique : c’est moins l’économie que le Marché – que Stéphane Foucart dote d’une majuscule et parfois d’un pluriel – auquel on voue désormais un culte qui en fait un dieu. Cette nouvelle religion, l’auteur l’appelle « agorathéisme » (la religion du peuple), dont les « éditorialistes néolibéraux sont en quelque sorte les évangélistes » et la science économique « la théologie ».
Muni de cette clé, l’auteur nous en livre les ressorts, qu’une observation attentive des dévots et de leurs lieux de culte (la Bourse) permet de révéler : le grand gourou des Marchés qui parlait à leur oreille (Alan Greenspan) et le miracle de la multiplication des pains (le sauvetage des banques américaines par la banque centrale). Il y a aussi l’utilisation du calendrier des anciens dieux pour honorer le nouveau (la débauche de cadeaux à Noël), la pénétration plus facile des pays où le syncrétisme religieux est la règle (Japon, Chine), des pays à dieu unique exigeant (Islam), l’exaltation de la croissance du produit intérieur brut, preuve que l’on est béni des dieux. N’oublions pas la surveillance de la vraie foi (pas d’enseignant-chercheur hétérodoxe à l’université) et la croyance à l’immortalité de la croissance. Tout cela, bien écrit, bien argumenté et bien documenté, est donc plaisant à lire. Mais au-delà de ce plaisir, et de la moquerie à la Voltaire, l’auteur souligne vers quelle impasse cette nouvelle religion nous conduit. Voltaire, justement, souhaitait « écraser l’Infâme ». Stéphane Foucart, hélas, ne dit pas comment.
Alternatives économiques