Au feu !

Bilan de fin juillet

Les campagnes et les villes brûlent, ici et ailleurs, les températures montent, le changement climatique fait son œuvre. Au même moment, en France, une affaire entre toutes occupe toutes les ondes. Ou presque. Avec elle, ses commentaires, ses polémiques, ses non-dits… Le mois de juillet 2018 est fébrile et cache une pathologie sournoise et délétère.

Les incendies sont criminels. Ils seraient dus au changement climatique dont il faudrait désormais prendre toute la mesure. Le milicien de l’Elysée serait une victime… de son enfance, de ses impulsions, de ses intentions citoyennes. L’État français le serait aussi du coup. Les pieds pris dans les beaux tapis de son administration, ses représentants seraient tour à tour, surpris, de bonne foi, légalistes, conséquents. Aussi l’affaire ne serait pas d’État… Car comment pourrait-on être à la fois bourreau et victime ?

Reculons d’un pas. Pendant la période où on nous assène des informations sur la météo, ses dégâts, sur les malversations d’un mercenaire payé aux frais de la princesse et sur les déboires politico-judiciaires d’un cercle présidentiel peu respectable, des députés, très peu nombreux, votent le 25 juillet dernier la loi dite « asile immigration » qui renforce la fermeture des frontières, la criminalisation des migrants et de leurs soutiens et établit leur stigmatisation spécifique. Dans la foulée, le 1er août, une autre poignée de parlementaires adoptent un projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes, dite « grande cause du quinquennat », qui, en entérinant l’absence de fixation d’une présomption de non consentement, tend à laisser les violeurs d’enfants impunis et méprise de fait les victimes et les associations de femmes et féministes. Un peu plus d’un mois plus tôt, à l’Eurosatory, salon international dédié à la défense et à la sécurité, un homme d’affaire proche du Président français, présente un projet qui s’inscrit en concurrence au monopole américain et prend la forme d’une entreprise privée de R&D militaire (essentiellement basée sur l’intelligence artificielle) du nom de Flaminem, un emblème bien chrétien et centré sur les « Lumières » européennes[1]. Et puis, pendant ce temps, des cheminots se font réprimer, des étudiants refouler des facs de leur choix, des médecins exclure des services d’urgences, des malades tuer faute de soins adaptés, des enseignants non remplacer ou transformer en sélectionneurs de main d’œuvre (projet Cap 2022), des femmes assassiner par leurs conjoints…

Que nous disent ces entrefilets dans le flot d’information univoque qu’on nous donne en pâture ?

L’histoire ne se renouvelle pas. Elle devient critique, s’accélère, surenchérit. En France, comme ailleurs, on continue à assister à la montée en charge du libéralisme et de ses fondations, le racisme et le sexisme. On persiste à dissimuler les paroles des véritables « victimes », davantage expertes de la domination que personnes à soutenir, à plaindre, à aider. On observe la banalisation concomitante de la militarisation et en son sein la privatisation de la violence, un système plutôt anglo-saxon visant les rentabilités politique et financière et aujourd’hui adopté à l’échelle internationale, à l’image de l’Afrique du Sud, de la Turquie, des États-Unis[2], de la Chine[3], de la Centrafrique[4], désormais du Mali[5], etc. On mesure l’héritage d’un culte des Croisades, sur fond religieux et expansionniste. Idée moins entendue, on constate la pratique d’un masculinisme politique, pour ne pas dire d’État, qui transforme les dominants (oppresseurs, discriminateurs, aliénateurs, répresseurs, violeurs, etc.) en victimes principales. La meilleure attaque est la défense, dit-on. Les dirigeants des pays en tête de peloton du libéralisme et de la culture de guerre (xénophobe, sexiste, classiste), avides de profit financier personnel rapide, l’ont bien compris. Au feu !

https://joellepalmieri.wordpress.com/2018/08/02/au-feu/
2 août 2018

[1] Ce nom vient de « flamines », des prêtres de la Rome antique attachés au culte d’un même dieu et à l’origine d’une idéologie impérialiste, européocentrée.

[2] Les États-Unis comptent trois fois plus d’agents privés que de policiers ayant des pouvoirs répressifs identiques. En 2012, ce marché de la sécurité privée était l’un des plus importants au monde, avec 64 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel.

[3] En début d’année, la Chine a investi dans la sécurité privée dans le but de réprimer les populations des provinces du Sud-Est et ainsi obtenir un accès sans frontière vers la mer. L’État chinois a pris à cet effet des parts dans une des nombreuses entreprises du créateur du modèle américain, Blackwater, une armée privée très puissante, ayant notamment organisé des massacres en Irak.

[4] Moins d’un an après le retrait officiel de l’opération militaire française « Sangaris », plus de 80% du territoire de la République centrafricaine est sous le contrôle de quatorze factions armées, milices locales, mercenaires venus des pays limitrophes, qui ensemble forment une armée informelle.

[5] On compte aujourd’hui au Mali dix-sept groupes politico-militaires, en plus des milices djihadistes, quatre armées dont trois étrangères.

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Histoire de Joëlle Palmiéri … racontée sur son blog

Je suis la dernière d’une famille ouvrière de quatre filles. La petite dernière. Ma mère, à ma naissance, se considère déjà vieille. Elle a 35 ans. Mon père, militaire civil, et surtout militant au parti communiste, anticlérical convaincu, est entré à l’arsenal de Bizerte, Tunisie, à l’âge de 13 ans. Il en a 40 quand je pointe mon nez. Mes deux premières sœurs naissent, comme mes parents en Tunisie. Mes parents immigrent en France en 1951. « Les filles ne parlent pas politique », se plaît à répéter mon père. Quand j’ai 18 ans, je décide de prendre la pilule. La réaction de mon père est à la hauteur de ses préjugés : « putain », « salope », « tu n’es plus ma fille »… Bref, tout en n’ayant pas encore « couché », je suis la dernière des traînées.

35 ans plus tard, j’entends tous les jours un peu plus les discours d’empêchement ici ou ailleurs. « On va aider “la” femme à faire » ceci. « “La” femme porte tous les… mais ne peut… ». Je ne m’énerve plus. J’écris. Je me sens plus que jamais héritière de Simone de Beauvoir. Grâce à elle, mon combat quotidien pour la transmission de la mémoire des femmes, ainsi que la valorisation de leur Histoire, prend encore plus de sens. Je me suis toujours intéressée aux savoirs propres des femmes. A leur invisibilité ou à leur mise en lumière. J’ai toujours pensé qu’Internet était une arme violente. En faveur de la subversion comme de l’aliénation, sur les terrains sociaux, politiques, économiques et épistémiques.

Féministe par rébellion, antiraciste par construction, anti-impérialiste et anticolonialiste par tradition familiale, le tout dès l’adolescence, je me suis emparée des technologies de l’information et de la communication (TIC) depuis leur naissance dans les années 1990, et ai créé avec d’autres militantes les Pénélopes, une agence de presse féministe internationale. Pendant huit ans, nous n’avons eu de cesse de publier la voix des autres, de mettre à disposition cet espace que nous avons voulu ouverts. Des débats se sont croisés, sur la guerre, les violences, le sexisme ordinaire mais aussi sur les luttes, les mouvements, les alternatives, en Afrique, en Amérique Latine, en Amérique du Nord, en Europe de l’Est, en Asie… La dynamique d’échanges que nous avons créée à ce moment reste précieuse.

Parallèlement, après vingt-huit ans passés à tirer le portrait, à mener des entretiens, à partir sur les routes et à reporter, à monter des journaux, des publications, à aider les autres à faire de même, je me suis retrouvée au chômage. C’est dans les couloirs de l’ANPE, que j’ai appris que cette expérience de travail pouvait être valorisée… même si je n’avais aucun diplôme et si je n’avais jamais fréquenté les bancs de l’université. Moi qui militais pour la valorisation des savoirs propres, j’étais en première ligne ! Et un an après, je rédigeais deux mémoires de masters et devenais chercheure… J’entrais dans la grande maison de l’académie. Portant sur l’étude comparée en Iran et en Europe de l’Est et Centrale des usages des TIC par les organisations féministes comme outils stratégique de lutte, mon sujet d’étude m’a menée jusqu’à un doctorat en science politique idoine sur le Sénégal et l’Afrique du Sud.

Je milite aujourd’hui pour une autre épistémologie féministe qui porte sur la déconstruction d’une société caractérisée par des rapports de colonialité numérique. J’espère que mon aspiration à rendre visibles les savoirs propres des femmes rendra compte au quotidien de nouveaux rapports de domination (de classe, de race, de genre) régis par la dépolitisation du réel par le virtuel.