Enedis, l’Oréal, Vinci, Nespresso, Carrefour, Axa ou Chanel…
Le plantage du reboisement
Un article acheté, un arbre planté… Des marques tentent de verdir leur image en s’engageant dans des programmes censés capter du CO2. Mais la démarche a ses effets pervers.
L’Oréal, Vinci, Nespresso, Carrefour, Axa ou Chanel… Tous veulent en être. Pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre ou verdir leur image, de plus en plus d’entreprises s’engagent dans des programmes de reforestation censés capter du CO2. Pour tout achat d’une paire de chaussures de la marque Faguo, un arbre est planté en France ! Idem pour vingt compteurs Linky installés, promet l’entreprise Enedis, qui commercialise le compteur. Les exemples sont légion.
Certaines agences se sont même spécialisées dans cette démarche. C’est le cas de Pur Projet, qui conduit des projets de reforestation dans les pays du Sud, ou de Reforest’Action, qui recueille les dons de Carrefour, Unilever, Leroy Merlin, Engie, Axa, ou de particuliers, d’un simple clic, pour replanter des surfaces dégradées. La « start-up de l’économie sociale » revendique avoir « compensé 2,3 milliards de kilomètres en voiture » en plantant 2,3 millions d’arbres.
Cette mode a été largement encouragée par les mécanismes de crédits-carbone. L’ONU a lancé en 2008 le programme Redd (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation forestière), devenu Redd+ en 2011, proposant des incitations financières à la plantation d’arbres pour compenser la déforestation, responsable de 12 à 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 13 millions d’hectares de forêts sont détruits chaque année. L’équivalent de trente-quatre terrains de foot par minute.
Il y a donc un intérêt financier pour les porteurs de projet. Quant aux marques, comme Nespresso et ses capsules en aluminium, leur bénéfice en termes d’image est évident. Mais, au-delà des intérêts des uns ou des autres, cette démarche a-t-elle un sens écologique ? Certaines ONG environnementales en doutent et soulignent même plusieurs problèmes posés par cette pratique. « C’est une escroquerie intellectuelle et une démarche purement marketing », tranche Sylvain Angerand, des Amis de la Terre, qui combat surtout l’idée qu’une « compensation » des émissions de gaz à effet de serre puisse constituer une démarche louable. Surtout si cela retarde l’évolution des comportements. « C’est aujourd’hui qu’il faut lutter pour éviter de dépasser des seuils d’emballement climatique. Nous n’avons plus le choix, il faut stopper les émissions de gaz à effet de serre ET faire de la restauration d’écosystèmes. L’urgence climatique est telle que les deux actions sont nécessaires », alerte-t-il.
Autre problème fondamental, prévient cet expert forestier de formation, le postulat de départ de cette fièvre sylvicole repose sur une idée fausse : « Quand on plante des arbres, c’est qu’on a fait des bêtises. Dans une forêt gérée au plus proche de la nature, il y a une régénération naturelle. Un arbre meurt, cela crée un puits de lumière qui fait pousser les plus jeunes. » L’autre modèle de sylviculture, où les plantations de « champs d’arbres » succèdent aux coupes rases (lire notre reportage dans le Morvan, page 26), est beaucoup moins respectueux des écosystèmes.
Les entreprises spécialisées dans le secteur ont intégré, au moins en façade, cette critique. Pur Projet parle moins de « reboisement » et préfère l’expression « reconstitution des écosystèmes », qui suppose de respecter les équilibres et les essences locales. Et -Reforest’Action assure que ses opérations de reboisement concernent en priorité des terrains détruits par des tempêtes, des maladies, des incendies ou des épisodes de « stress hydrique ». Même si son cahier des charges prévoit des cas de « renouvellement de peuplement en impasse sylvicole », ce qui élargit la définition des parcelles éligibles.
Troisième critique, les gros projets de plantation dans des pays déjà fortement affectés par les conflits fonciers ne tiennent pas toujours compte du droit des peuples autochtones, villageois contraints à l’exil et empêchés de s’installer sur les surfaces des projets de reboisement ou peuples nomades tenus à l’écart de leurs zones de vie.
Les Amis de la Terre remettaient en 2014 le prix Pinocchio du greenwashing (le marketing faussement vertueux en matière d’environnement) à Pur Projet pour ses projets de reboisement au Pérou financés en partie par la vente de crédits carbone à GDF Suez, Vinci ou Nestlé. L’ONG montrait comment des conflits fonciers avaient été exacerbés dans certains villages entourés par les concessions forestières gérées par Pur Projet. L’épisode avait entraîné un vif débat avec l’entreprise, qui, dans un courrier, assurait notamment que les tensions sociales décrites par l’ONG étaient antérieures à son projet de plantation, lequel « prétend justement essayer d’y remédier ». L’entreprise disait se refuser à « abandonner les communautés des zones conflictuelles à leur sort (1) ».
Planter serait donc une solution beaucoup trop simple pour autoriser les consommateurs à fermer les yeux et offrir aux entreprises le « permis de polluer » qui les dispenserait d’opérer un véritable virage écologique.
Retrouvez ces échanges sur le site amisdelaterre.org/purprojet.html
Un article paru dans Politis du mois d’août