Alors qu’une majorité des Français doute désormais du nucléaire et que les énergies renouvelables se révèlent plus rentables et surtout moins dangereuses que l’atome, de nombreux indices laissent à penser que le Président Macron envisagerait la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France.
Acceptera-t-il alors d’être considéré dans le futur comme un criminel contre l’Humanité ?
Ce n’est un secret pour personne, la confiance dans le nucléaire a fortement décliné à partir de 1979, avec l’accident de Three Miles Island aux États-Unis, qui a failli virer à une catastrophe majeure. À partir de cette date, les Américains ont d’ailleurs cessé de construire des centrales sur leur sol. Le désaveu et l’inquiétude face au nucléaire a encore augmenté en 1986 avec Tchernobyl, puis en 2011 avec Fukushima.
Désormais, la plupart des personnes compétentes reconnaissent la probabilité d’un accident grave tous les vingt ou trente ans. La question n’est donc déjà plus de savoir « s’il » y aura d’autres accidents, mais « quand ? » et « où ? ».
Dans ce contexte, si l’humanité était un tant soit peu raisonnable, le nucléaire civil aurait légitiment dû être abandonné, d’autant qu’il souffre d’au moins trois tares supplémentaires :
1) il produit des millions de m3 de déchets toxiques et dangereux qu’on ne sait comment gérer et qui vont rester sur Terre pendant des centaines de milliers et même des millions d’années ;
2) le nucléaire est une énergie faussement « bon marché », car les coûts en aval (comme celui du démantèlement des centrales, du traitement et du stockage des déchets…) ont été notoirement sous-estimés, ce qui passera ces coûts aux jeunes d’aujourd’hui dans les décennies à venir et aux générations futures ;
3) il n’y a pas assez d’uranium pour en faire une énergie « durable » à l’échelle planétaire. Même à 2 % de l’énergie mondiale, comme actuellement, il y a moins de 100 ans de réserves de combustible selon l’AIEA. Si le nucléaire devait passer à ne serait-ce que 20 % de l’énergie mondiale, il n’y aurait plus que dix ans de combustible avant que l’on ne soit obligé de fermer toutes les centrales. Le nucléaire ne pourra donc remplacer significativement les énergies fossiles qui représentent 80 % de notre consommation actuelle.
Si les accidents et ces arguments pourtant rédhibitoires n’ont pas suffi, c’est surtout à cause de la France. Après Fukushima, quasiment tous les pays étaient prêts à abandonner le nucléaire. Seule la France, avec Nicolas Sarkozy à sa tête, a continué à défendre cette énergie dangereuse, et empêché qu’un moratoire ne soit instauré au niveau européen voire même mondial.
Au nom de la défense de leur filière, les pro-nucléaires s’efforcent de faire croire que cette énergie serait « nécessaire », et ils ont trouvé une cheval de bataille de poids : le réchauffement climatique.
Certes, le réchauffement climatique est indéniablement une autre menace environnementale majeure pour la planète et il faut une mobilisation mondiale pour lutter contre, comme l’ont d’ailleurs montré l’Accord de Paris lors de la COP21 en 2015, et le dernier rapport du GIEC en octobre 2018 (SR15). Mais il est totalement ridicule de laisser croire que le nucléaire permettra de résoudre le problème du réchauffement climatique. Ce serait même plutôt le contraire, et pour au moins trois raisons :
1) comme on vient de le voir, il n’y a pas suffisamment d’uranium ;
2) le nucléaire crée une illusion de solution et entrave la recherche de véritables alternatives sérieuses ;
3) le réchauffement climatique va accentuer les phénomènes extrêmes (sécheresses, inondations, cyclones…) qui mettront en péril le fonctionnement des installations nucléaires et ne pourront qu’augmenter la probabilité d’accidents graves.
Reste que le lobby nucléaire est particulièrement puissant en France. Il a eu visiblement raison de l’opposition de Nicolas Hulot, en le poussant à la démission, et pourrait détourner Emmanuel Macron de ce qui relève pourtant du bon sens.
Va-t-on donc devoir se résigner à accepter que de nouvelles centrales soient construites ? Du moins jusqu’au prochain accident majeur qui aura probablement lieu dans moins de trente ans, peut-être même en France.
On ne peut en tout cas qu’interroger Emmanuel Macron pour lui demander si, par-delà des raisonnements à courte vue, il est prêt à affronter le jugement de l’histoire ?
En effet, s’il prend cette décision lourde de menaces, il aura la responsabilité d’avoir donné un signal fort pour continuer dans une voie sans issue, qui ne pouvait que causer d’innombrables victimes. Et les générations futures ne se laisseront pas duper par les discours absurdes car en 2018, toutes les personnes un peu sensées savent que le nucléaire est une énergie du passé, ce qui n’enlève rien à sa dangerosité présente et dans l’avenir.
Ne pas prendre de décision en 2018, en prétextant du besoin d’études supplémentaires sur les coûts, serait également une faute grave, car pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique, il y a urgence à envoyer un message au monde, et notamment à des pays comme la Chine ou l’Inde, pour leur montrer que le nucléaire est une impasse contre-productive.
Alors, monsieur le Président, êtes-vous prêt à être considéré dans le futur comme un « criminel contre l’Humanité » ?
Le blog de Yann Quero ; mediapart