La France doit clarifier sa politique énergétique
Stéphane Lhomme, militant antinucléaire, explique dans une tribune au « Monde » qu’il est devenu beaucoup plus rentable de fermer des centrales devenues obsolètes que de s’acharner à les prolonger.
Alors que le gouvernement a le plus grand mal à élaborer sa programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), diverses voix s’élèvent pour promouvoir telle ou telle option, jusqu’à l’éditorial du cahier « Eco & Entreprise » du Monde du 17 octobre qui estime que « le nucléaire sera indispensable pendant de nombreuses décennies », afin que la France « respecte ses objectifs climatiques ».
C’est oublier que, il y a près de vingt ans, Anne Lauvergeon tenait exactement le même discours en mettant sur orbite Areva (issue de la fusion de Framatome et de la Cogema), annonçant la construction partout sur terre de centaines de réacteurs dans le cadre d’un prétendu « grand retour du nucléaire », ce dernier étant alors paré de toutes les vertus dont, avant tout, celle de pouvoir « sauver le climat ».
Mais ce « grand retour » n’est jamais venu, malgré les innombrables publicités qui ont inondé les médias pendant une bonne décennie, jusqu’à la ruineuse campagne baptisée « L’Epopée de l’énergie », diffusée sur tous les supports dans toute l’Europe et aux Etats-Unis, dotée de douze millions d’euros et… retirée en catastrophe, c’est bien le mot, en raison de l’accident nucléaire de Fukushima (11 mars 2011).
Une industrie moribonde
Aujourd’hui, les mêmes belles déclarations nous sont infligées par les tenants de l’atome, de toute évidence frappés de la plus grande amnésie, mais aussi par des personnes « raisonnables » et « réalistes » pour qui le nucléaire est un « mal nécessaire » dont nous ne pourrions nous passer.
Or, cette industrie va s’arrêter bientôt, et ce ne sera ni de la « faute » des écologistes, ni du fait d’un quelconque courage politique : on ne peut d’ailleurs que s’amuser de voir le gouvernement Macron assurer que la centrale de Fessenheim sera fermée « avant la fin du quinquennat », exactement ce que promettait François Hollande cinq ans plus tôt.
Si la France doit se préparer à faire sans le nucléaire, c’est tout simplement parce que cette industrie est moribonde, et même mourante, tant sur le plan mondial que français. Notons déjà que la part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité est passée de 17,1 % en 2001 à 10 % à ce jour : ce n’est pas une baisse mais un véritable effondrement, lequel va se poursuivre et même s’accélérer avec la fermeture inéluctable de dizaines de réacteurs.
Rénovations « post-Fukushima » coûteuses
En effet, la moitié du parc mondial a plus de 35 ans et, malgré les prolongations de durée de vie généreusement accordées par les autorités de sûreté, les sociétés propriétaires décident souvent d’en rester là : les rénovations nécessaires et autres mesures « post-Fukushima » sont si coûteuses qu’il est économiquement préférable de fermer boutique.
On nous objecte que la France pourrait toutefois faire cavalier seul et brandir fièrement l’étendard de l’atome dont elle serait, on nous l’a répété des milliers de fois, la « championne » mondiale. C’est oublier les désastres industriels et financiers des chantiers des réacteurs EPR de Finlande et de Flamanville (Manche). C’est oublier le scandale gigantesque – qui ridiculise lui aussi la France atomique dans le monde entier – des milliers de pièces défectueuses produites dans les usines Areva du Creusot.
C’est oublier qu’Areva a fait faillite et qu’EDF est à son tour dans une situation financière catastrophique, étant dans l’impossibilité de financer de nouveaux EPR – à supposer que l’on sache enfin les construire – ou la ruineuse rénovation des cinquante-huit réacteurs actuels : seuls quelques-uns pourront peut-être être sauvés, à supposer là aussi qu’EDF s’y prenne mieux qu’à Paluel (Seine-Maritime), où un générateur de vapeur de quatre cent cinquante tonnes s’est affalé, endommageant lourdement le réacteur : une drôle de façon de « rénover ».
Le nucléaire, une industrie du XXe siècle
Contre toute attente, le nucléaire n’a pas été « tué » par sa dangerosité – malgré les drames de Tchernobyl et de Fukushima –, ou parce qu’il n’y aura jamais de solution pour les déchets radioactifs – il existe au mieux des « options », et elles sont toutes mauvaises. Le nucléaire n’a pas non plus été abattu par les manifestations antinucléaires, pourtant parfaitement justifiées et qui ont parfois été massives au cours des dernières décennies : parmi les pays nucléarisés, il n’y a guère qu’en Allemagne où l’opinion publique a finalement été prise en compte.
Si l’industrie nucléaire est moribonde et en fin de vie, c’est parce que c’est une industrie du XXe siècle, un dinosaure qui s’est complexifié au fil du temps – jusqu’à ce que les nouveaux réacteurs comme l’EPR soient quasiment impossibles à construire – et qui est devenu ruineux pour ses propriétaires. D’ailleurs, outre Areva, l’entreprise historique du nucléaire mondial, l’américain Westinghouse, a elle aussi fait faillite.
Il n’est finalement plus très utile d’être « pour le nucléaire » ou « contre » : la messe est dite, l’atome a perdu et va quasiment disparaître dans quelques années. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de la France peut bien proclamer l’inverse, la réalité est que le nucléaire ne va pas constituer une réponse, même partielle, aux graves problèmes de l’énergie et du changement climatique. Il est donc grand temps de prévoir d’autres options, sous peine de se retrouver très vite dans une impasse.
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La France doit clarifier sa politique énergétique
A la veille de l’annonce du plan de Programmation pluriannuelle de l’énergie, rappelons que le « en même temps » du président Macron ne peut pas fonctionner en la matière.
Emmanuel Macron devrait annoncer, mardi 27 novembre, les grandes lignes de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Cette feuille de route voulue par la loi de transition énergétique de 2015 vise deux objectifs. D’abord, affronter le défi du changement climatique en limitant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, qui sont reparties à la hausse en 2017. Ensuite, permettre de diversifier le mix électrique, en réduisant notre dépendance au nucléaire.
Le gouvernement peut agir sur plusieurs fronts. La réduction de la consommation d’énergie est le plus important. Les bâtiments représentent 45 % de celle-ci et 19 % des émissions de gaz à effet de serre. La trajectoire voulue par le gouvernement prévoit une éradication des « passoires » énergétiques d’ici à 2025 et un parc de logements basse consommation à l’horizon 2050. Mais les dispositifs actuels, parfois flous, souvent inadaptés, ne permettent pas de rénover assez rapidement le parc. Or, sans réduction drastique de la consommation dans les bâtiments, tout débat sur les perspectives énergétiques de la France est vain.
L’autre grand chantier est celui des transports, qui pèsent pour 29 % dans les émissions de CO2. Le débat actuel sur la fiscalité écologique et le mouvement des « gilets jaunes » doivent inciter au développement d’alternatives crédibles à la voiture à essence, tout en prévoyant des dispositifs d’accompagnement pour les ménages les plus modestes. Qu’il s’agisse de développer les véhicules électriques, le covoiturage, le vélo, les transports en commun, ce chantier est prioritaire.
Dernier chantier : la production d’électricité. En France, elle est à 75 % d’origine nucléaire et n’émet quasiment pas de CO2. Une situation unique au monde. Par ailleurs, le président de la République s’est engagé à fermer avant 2022 les quatre dernières centrales à charbon françaises – une décision nécessaire.
Rattraper le retard
Reste à dessiner ce que doit être notre mix électrique pour les dix prochaines années. D’un côté, François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, demande six fermetures de réacteurs nucléaires avant 2028 et un développement massif des énergies renouvelables. De l’autre, EDF, qui opère les 58 réacteurs installés sur le territoire, estime que rien ne presse, et qu’aucune fermeture n’est nécessaire dans les dix prochaines années. Le groupe demande aussi au gouvernement de se prononcer sur la construction d’au moins un nouvel EPR, un réacteur de troisième génération. Le développement de l’éolien et du solaire – dont les coûts ont considérablement baissé ces dernières années – semble, lui, faire consensus.
Entre ces différentes pistes, Emmanuel Macron paraît tenté de ne pas trancher. C’est néanmoins indispensable. Pour dessiner un futur énergétique sans augmenter les émissions de CO2 à l’horizon 2035, la France ne pourra pas longtemps différer les décisions. Le parc nucléaire vieillit et ne sera pas éternel. Souhaite-t-on engager son renouvellement ? Il faudrait alors décider rapidement la construction de nouveaux réacteurs. Souhaite-t-on développer massivement le solaire, l’éolien et le stockage d’électricité ? Il est impératif de s’engager sur une trajectoire ambitieuse pour permettre à la France de rattraper son retard dans ce domaine.
Quel que soit l’arbitrage du président de la République, il sera difficile de faire les deux. En matière de politique énergétique, le « en même temps » risque de nuire à la clarté. Elle est pourtant nécessaire.
Le Monde
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