Quand la Décroissance investit l’antre de la Croissance

Les 17 et 18 septembre 2018 au Parlement Européen de Bruxelles, la Post-Growth conference, organisée dans le cadre des conférences internationales de la Décroissance, a réuni plusieurs centaines de chercheurs, militants, politiques, syndicalistes mais aussi cadres et membres d’institutions « technocratiques » comme la Commission Européenne ou le FMI.

Poser les bonnes questions : le problème, c’est la croissance

La semaine, qui a été riche en débats et en enseignements, a commencé lundi 16 septembre avec la publication, dans une quinzaine de langues, d’une lettre ouverte signée par plus de 200 chercheurs européens : « Europe : ne plus dépendre de la croissance »*. Ce texte, publié en anglais dans The Guardian, en allemand dans Die Zeit ou encore en français dans Libération puis sur Médiapart, a été largement partagé et commenté. Il avait pour objectif de poser les bases du débat mais aussi de démontrer que ces idées sont appropriées par des universitaires partout en Europe et trouvent un écho citoyen important.

Une plateforme pour se rencontrer, dialoguer

Une journée de préparation était organisée en partenariat avec l’Université Libre de Bruxelles. Elle avait pour objectif de réfléchir à comment amener la radicalité et la multidimensionalité de la pensée de la Décroissance de manière constructive au sein de l’antre de la Croissance, la bulle bruxelloise des institutions européennes. Une soixantaine d’universitaires ont ainsi échangé sur les enjeux, les potentialités, les limites mais aussi les défis d’un tel débat. Comment mener un changement systémique au sein du système ? Est-ce possible et souhaitable ? Si oui, sur quels leviers peut-on jouer, quel vocabulaire utiliser ? Comment des institutions construites autour d’un imaginaire croissanciste et pour l’intérêt des lobbies peuvent-elles être réappropriées pour y amener débats contradictoires et démocratiques ? Cette journée préparatoire a été essentielle pour poser les bases d’un dialogue difficile mais constructif.

Occuper et se réapproprier les institutions politiques

Cette conférence a été portée par 10 Députés Européens de 5 familles politiques différentes (l’ensemble du spectre politique du Parlement à l’exception de l’extrême droite). Avec leurs équipes, ils ont joué un rôle central dans l’établissement d’un dialogue avec les invités représentant les institutions européennes. Ainsi, la rencontre a été officiellement acceptée puis ouverte par le Président du Parlement Européen : bien qu’il n’ait pas pu être présent une lettre de bienvenue de sa part a été lue. Pendant deux jours, des débats intenses ont animé l’antre du Parlement, autour de 2 plénières et 16 tables rondes. Parmi les nombreux intervenants, entre autres, le directeur général des affaires économiques et financières de la commission, la commissaire européenne pour la compétition, le directeur du FMI Europe ou encore le directeur général de la confédération européenne des syndicats ont participé aux discussions avec les 730 participants inscrits.

Ainsi nous avons pu amener nos réflexions autour du revenu de base, de la Dotation Inconditionnelle d’autonomie couplée à un revenu maximum acceptable, sur le non remboursement des dettes publiques, sur la réappropriation démocratique de la création monétaire, sur la relocalisation ouverte ou les low-tech, la sobriété ou encore le rôle joué aujourd’hui par les initiatives citoyennes et le besoin de repenser nos institutions politiques pour plus de démocratie directe.

Pour ne plus avoir raison tout seul

Malgré l’intérêt porté par la « bulle bruxelloise » pour la remise en question de la religion de la croissance, nous avons tout de même pu mesurer un fossé énorme entre la société qui bouge et des institutions engluées dans leur jargon, leur tour d’ivoire, leurs dogmes. De nombreux technocrates reconnaissent un intérêt pour la Décroissance mais soutiennent que le « mot pose problème », et maintiennent leurs illusions de « croissance verte » , « qualitative », « inclusive » découplée de la consommation de ressources et d’énergie. Sans croissance, il serait impossible de réduire les inégalités…

A ce sujet, on peut souligner aussi un fossé générationnel entre un public jeune et acquis aux idées de la Décroissance ou de la post-croissance et des représentants institutionnels plus âgés. Deux réalités se sont ainsi rencontrées et confrontées. Malgré ces écarts, le dialogue s’est amorcée et une première étape semble avoir été franchie. Les débats doivent maintenant continuer, pour faire de la remise en question du culte de la croissance un instrument de lutte contre les lobbies.

Enseignements et prochaines étapes

Après ces deux journées intenses, une dernière matinée a été organisée au siège de la confédération européenne des syndicats avec pour objectif de débattre sur les enseignements de cette rencontre. Les décroissant.e.s et leurs réflexions sont légitimes : il est possible mais surtout souhaitable et nécessaire d’occuper et de se réapproprier les institutions politiques dont nous héritons. Elles ne correspondent pas au modèle de société auquel nous aspirons mais elles peuvent proposer des leviers pertinents afin d’accélérer une transition qui est déjà en marche.

L’été caniculaire que nous venons de vivre et la démission de Nicolas Hulot qui a acté le désastre écologique en cours et la nécessité d’un changement de paradigme ouvre un espace politique favorable à la création de nouvelles dynamiques et narrations comme le montrent le succès avéré de cette rencontre au Parlement Européen, des marches pour le climat ou encore celui à venir de l’Alternatiba début octobre.

Il y a beaucoup d’attentes dans la société pour des changements profonds. Les élections européennes à venir représentent une opportunité pour les voir advenir, à condition d’arriver à mettre les vrais enjeux au cœur des débats, loin des questions de personnes ou de chapelles. Le succès de cette rencontre au Parlement Européen est certes modeste et loin de répondre à elle seule à l’ampleur des enjeux, mais il est symbolique et riche d’enseignement : c’est le fruit d’un équilibre entre radicalité et ouverture. Continuons à avancer nos idées radicales et cohérentes, grilles d’analyse, réflexions et propositions qui sont plus que jamais légitimes et nécessaires.

Vincent Liegey, coordinateur des conférences internationales de la Décroissance, Avec Jérôme Cardinal et Valentine Porche.

* Signer la lettre ouverte :

Europe, le temps est venu pour te libérer de ta dépendance à la croissance

Retrouver  les programmes et les vidéos des discussions sur le site de la conférence :

http://www.postgrowth2018.eu

Plus d’info sur les conférences de la Décroissance ici.

https://blogs.mediapart.fr/projet-de-decroissance/blog/280918/quand-la-d

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Un article dans le journal leMonde

Les théories de la décroissance sont-elles vraiment applicables ?

La décroissance, synonyme – pour ses adeptes – de plus grande qualité de vie, suppose des changements politiques et sociétaux radicaux.

Pour lire l’article :

https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/11/30/les-solutions-des-theoriciens-

Commentaire :

Autrement dit, on assiste à une récupération du mot « décroissance » et à l’émergence d’un oxymore : décroitre dans le système capitaliste