Il n’y a pas que lui ; il y a aussi Flipo, Jaurès-Théophraste et La Fontaine-Goutelle !
Trop d’articles intéressants ; d’abord le texte d’E. Louis
QUELQUES REFLEXIONS SUR LE MOUVEMENT DES GILETS JAUNES, SUR SON IMPORTANCE, ET SUR LE MÉPRIS ET L’EXTRÊME VIOLENCE À LAQUELLE ON ASSISTE AUJOURD’HUI A L’ÉGARD DES CLASSES POPULAIRES
Depuis quelques jours j’essaye d’écrire un texte sur et pour les gilets jaunes, mais je n’y arrive pas. Quelque chose dans l’extrême violence et le mépris de classe qui s’abattent sur ce mouvement me paralyse, parce que, d’une certaine façon, je me sens personnellement visé.
J’ai du mal à décrire le choc que j’ai ressenti quand j’ai vu apparaitre les premières images des gilets jaunes. Je voyais sur les photos qui accompagnaient les articles des corps qui n’apparaissent presque jamais dans l’espace public et médiatique, des corps souffrants, ravagés par le travail, par la fatigue, par la faim, par l’humiliation permanente des dominants à l’égard des dominés, par l’exclusion sociale et géographique, je voyais des corps fatigués, des mains fatiguées, des dos broyés, des regards épuisés.
La raison de mon bouleversement, c’était bien-sûr ma détestation de la violence du monde social et des inégalités, mais aussi, et peut-être avant tout, parce que ces corps que je voyais sur les photos ressemblaient aux corps de mon père, de mon frère, de ma tante. ..
Ils ressemblaient aux corps de ma famille, des habitants du village où j’ai vécu pendant mon enfance, de ces gens à la santé dévastée par la misère et la pauvreté, et qui justement répétaient toujours, tous les jours de mon enfance « nous on ne compte pour personne, personne ne parle de nous » – d’où le fait que je me sentais personnellement visé par le mépris et la violence de la bourgeoisie qui se sont immédiatement abattus sur ce mouvement. Parce que, en moi, pour moi, chaque personne qui insultait un gilet jaune insultait mon père.
Tout de suite, dès la naissance de ce mouvement, nous avons vu dans les médias des « experts » et des « politiques » diminuer, condamner, se moquer des gilets jaunes et de la révolte qu’ils incarnent.
Je voyais défiler sur les réseaux sociaux les mots « barbares », « abrutis », « ploucs », « irresponsables ». Les médias parlaient de la « grogne » des gilets jaunes : les classes populaires ne se révoltent pas, non, elles grognent, comme des bêtes.
J’entendais parler de la « violence de ce mouvement » quand une voiture était brulée ou une vitrine cassée, une statue dégradée.
Phénomène habituel de perception différentielle de la violence : une grande partie du monde politique et médiatique voudrait nous faire croire que la violence, ce n’est pas les milliers de vie détruites et réduites à la misère par la politique, mais quelques voitures brûlées.
Il faut vraiment n’avoir jamais connu la misère pour pouvoir penser qu’un tag sur un monument historique est plus grave que l’impossibilité de se soigner, de vivre, de se nourrir ou de nourrir sa famille.
Les gilets jaunes parlent de faim, de précarité, de vie et de mort. Les « politiques » et une partie des journalistes répondent : « des symboles de notre République ont été dégradés ». Mais de quoi parlent ces gens ? Comment osent-ils ?? D’où viennent-ils ??
Les médias parlent aussi du racisme et de l’homophobie chez les gilets jaunes. De qui se moquent-ils ? Je ne veux pas parler de mes livres, mais il est intéressant de noter que chaque fois que j’ai publié un roman, j’ai été accusé de stigmatiser la France pauvre et rurale justement parce que j’évoquais l’homophobie et le racisme présents dans le village de mon enfance. Des journalistes qui n’avaient jamais rien fait pour les classes populaires s’indignaient et se mettaient tout à coup à jouer les défenseurs des classes populaires.
Pour les dominants, les classes populaires représentent la classe-objet par excellence, pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu ; objet manipulable du discours : de bons pauvres authentiques un jour, des racistes et des homophobes le lendemain.
Dans les deux cas, la volonté sous-jacente est la même : empêcher l’émergence d’une parole des classes populaires, sur les classes populaires. Tant pis s’il faut se contredire du jour au lendemain, pourvu qu’ils se taisent.
Bien-sûr, il y a eu des propos et des gestes homophobes et racistes au sein des gilets jaunes, mais depuis quand est-ce que ces médias et ces « politiques » se soucient du racisme et de l’homophobie ? Depuis quand ?
Qu’est-ce qu’ils ont fait contre le racisme ? Est-ce qu’ils utilisent le pouvoir dont ils disposent pour parler d’Adama Traoré et du comité Adama ? Est-ce qu’ils parlent des violences policières qui s’abattent tous les jours sur les Noirs et les Arabes en France ?
Est-ce qu’ils n’ont pas donné une tribune à Frigide Barjot et à Monseigneur je-ne-sais-plus-combien au moment du mariage pour tous, et, en faisant cela, est-ce qu’ils n’ont pas rendu l’homophobie possible et normale sur les plateaux de télé ?
Quand les classes dominantes et certains médias parlent d’homophobie et de racisme dans le mouvement des gilets jaunes, ils ne parlent ni d’homophobie ni de racisme. Ils disent : « Pauvres, taisez-vous ! «
Par ailleurs, le mouvement des gilets jaunes est encore un mouvement à construire, son langage n’est pas encore fixé : s’il existe de l’homophobie ou du racisme parmi les gilets jaunes, c’est notre responsabilité de transformer ce langage.
Il y a différentes manières de dire : « Je souffre » : un mouvement social, c’est précisément ce moment où s’ouvre la possibilité que ceux qui souffrent ne disent plus : » Je souffre à cause de l’immigration et de ma voisine qui touche des aides sociales », mais : « Je souffre à cause de celles et ceux qui gouvernent. Je souffre à cause du système de classe, à cause d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe. » Le mouvement social, c’est un moment de subversion du langage, un moment où les vieux langages peuvent vaciller.
C’est ce qui se passe aujourd’hui : on assiste depuis quelques jours à une reformulation du vocabulaire des gilets jaunes. On entendait uniquement parler au début de l’essence, et parfois des mots déplaisants apparaissaient, comme « les assistés ». On entend désormais les mots inégalités, augmentation des salaires, injustices.
Ce mouvement doit continuer, parce qu’il incarne quelque chose de juste, d’urgent, de profondément radical, parce que des visages et des voix qui sont d’habitude astreints à l’invisibilité sont enfin visibles et audibles.
Le combat ne sera pas facile : on le voit, les gilets jaunes représentent une sorte de test de Rorschach sur une grande partie de la bourgeoisie ; ils les obligent à exprimer leur mépris de classe et leur violence que d’habitude ils n’expriment que de manière détournée, ce mépris qui a détruit tellement de vies autour de moi, qui continue d’en détruire, et de plus en plus, ce mépris qui réduit au silence et qui me paralyse au point de ne pas réussir à écrire le texte que je voudrais écrire, à exprimer ce que je voudrais exprimer.
Mais nous devons gagner : nous sommes nombreuses et nombreux à se dire qu’on ne pourrait pas supporter une défaite de plus pour la gauche, et donc pour celles et ceux qui souffrent.
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Il faut reconnaître son talent littéraire ! Et sur le fond il a totalement raison, à mon avis
Et sans faire de polémique, Edouard Louis conclut sur la nécessité de faire gagner la gauche, mais ladite gauche n’a pas été la dernière à s’ériger en tribunal du « bien penser », contribuant par-là à exclure de fait les classes populaires du débat. C’est donc le seul point que je ne partage pas dans la tribune : puissent les GJ conduire la gauche à se poser des questions sur son positionnement, en particulier la gauche d’avant-garde, dont on a vu les hésitations, face au GJ, face à ce peuple « pas comme il faut », suivant les catégories prévues. Le haro que mène Edouard Louis sur les médias occulte cette question. Quand je vois ce que j’ai entendu, à gauche, sur les GJ, ces dernières semaines, et depuis des années avant cela, c’est en grande partie ce qui est dit ci-dessous : ils sont homophobes (puisqu’il y a peu d’homos), racistes (puisqu’ils sont blancs), nationalistes (puisqu’ils chantent la Marseillaise), anti-écolo (puisqu’ils manifestent contre la taxe C), riches (puisqu’il y a plus pauvre), par ex l’idée suivant laquelle il fallait d’abord abattre Guilluy, que les périphéries n’existent pas, que parler de périphéries c’est parler comme Guilluy donc comme le FN, que les classes pop c’est uniquement les banlieues, que le populisme c’est « hitléro-trotskyste » voire « poutino-trumpien » etc. tout ça en ayant un certain capital culturel, à défaut de capital économique ; « Le philosophe et ses pauvres » disait Rancière ! Etc. le bon pauvre est noir et musulman, ou syndiqué (pas écolo et un peu patriarcal mais on s’en fout n’est-ce pas) etc. tout ça a contribué à laisser le temps passer, à laisser les gens isolés, puis les GJ isolés, sur leur rond-point, alors qu’au contraire il fallait être solidaire, tout de suite – enfin c’est mon avis, j’ai trouvé scandaleux toutes ces précautions face à ces « corps fatigués », depuis de nombreuses années. Que ces précautionneux aillent un peu à l’usine et après on en reparle. Et après on s’étonne d’avoir des Gilets Jaunes ! C’était inévitable, couru d’avance, la seule question c’était : quand ? Perso j’aime bien le style plouc, populaire, rural, c’est ce que je connais depuis toujours, bien que coincé à Paris depuis quelques temps ; aimons les ploucs parce qu’ils nous le rendent bien. Ce n’est pas politiquement correct je sais mais désolé à un moment donné il faut s’arrêter et regarder.
Bon, maintenant que « l’insurrection qui vient » est là ce qui m’inquiète le plus sont les casseurs (principalement, extrême gauche « black bloc », extrême droite et petites frappes de banlieue, plus quelques profiteurs divers) qui sont évidemment utilisés par le pouvoir pour discréditer le peuple. Encore une fois ces casseurs ne font que du mal, rien de bien, ils minent les manifs, discréditent les revendications, si vous en connaissez merci de les dissuader de sortir samedi, il y aura déjà assez à faire avec le pouvoir. Ces gens-là sont contre le peuple. Que faire ? Un texte exhortant les violents à rester chez eux, et appelant à la non-violence ? Rappelant qui sont les principaux casseurs, à savoir pas l’énorme masse des GJ ? Si certains souhaitent s’y coller ils sont les bienvenus. Saluons tout de même le travail des médias qui ont bien différencié les différentes populations
Les gilets jaunes ne sont pas anti taxe : ils sont anti vie chère, pour simplifier. Ils voient que leur argent part dans l’Etat et qu’il ne revient plus : ils partent de leur perception locale, construite dans le brouillard d’information qui est à leur disposition. Ils ne sont pas contre les taxes si elles servent aux pauvres. Ils sont contre celles qui servent aux riches. Ils tiennent bien les deux bouts, malgré l’enfumage quotidien. Les 42 propositions et les itw télévisées notamment montrent bien qu’ils résistent très bien sur ces deux points-là. Ils ne sont pas anti climat non plus mais là encore comme je le disais dans l’un de mes textes en m’appuyant sur des sondages ADEME ils n’ont pas de connaissance suffisante du sujet. Nous le savons bien puisque nous faisons de l’éducation populaire et que ce n’est même pas ces catégories-là qui sont en général parmi nos lecteurs, tant ils sont loin. Là ils apprennent, tout le monde apprend, « l’histoire s’accélère » car « les conjonctures sont fluides » (expression du sociologue Michel Dobry). Ce qui déconcerte est qu’ils construisent les problèmes à partir de leurs catégories, qui ne sont pas celles des cadres établis au sein des élites – pour le meilleur (débats bloqués ou hors sol) mais aussi pour le pire (leur faire prendre des vessies pour des lanternes, minorer le rôle des riches). Le décalage s’avère donc dans le même temps.
Je suis plutôt admiratif devant l’intelligence populaire, vu ses moyens et le contexte dans lequel elle opère, qui est très difficile
Ce que j’aime bien c’est le côté « les représentants c’est nos salariés, c’est nous qui les payons, ils doivent rendre des compte de ce qu’ils font avec notre argent ». L’aspiration universelle à l’autonomie, à la démocratie
F. Flipo
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La violence selon Jean Jaurès (pacifiste)
Violence du peuple
Ah ! Les conditions de la lutte sont terriblement difficiles pour les ouvriers ! La violence, pour eux, c’est chose visible […] Oui, la violence c’est une chose grossière, palpable, saisissable chez les ouvriers : un geste de menace, il est vu, il est retenu. Une démarche d’intimidation est saisie, constatée, traînée devant les juges.
Violences des riches
Ah ! Le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ! Quelques hommes se rassemblent, à huit clos, dans la sécurité, dans l’intimité d’un conseil d’administration, et à quelques-uns, sans violence, sans gestes désordonnés, sans éclat de voix, comme des diplomates causant autour du tapis vert, ils décident que le salaire raisonnable sera refusé aux ouvriers … ».
Violence policière
« Ce [que les classes dirigeantes] entendent par le maintien de l’ordre, ce qu’elles entendent par la répression de la violence, c’est la répression de tous les écarts, de tous les excès de la force ouvrière ; c’est aussi, sous prétexte d’en réprimer les écarts, de réprimer la force ouvrière elle-même et laisser le champ libre à la seule violence patronale. […].
Violence d’Etat
De même que l’acte de la violence ouvrière est brutal, il est facile au juge, avec quelques témoins, de le constater, de la frapper, de le punir ; et voilà pourquoi tout la période des grèves s’accompagne automatiquement de condamnations multipliées. » (Jean Jaurès, 9 juin 1906, discours à la Chambre des députés).
Théophraste R. (ou plutôt Jean Jaurès, assassiné par un fanatique que les juges français ont acquitté et que des anarchistes espagnols ont exécuté à Ibiza. N’allez pas le répéter, mais j’ai pris deux fois de la paella en l’apprenant).
« Le Capital épuise deux choses : le travailleur et la nature » (Karl Marx).
Legrandsoir.info
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La Fontaine, façon Goutelle
La Cigale et la Fourmi
Le Macron et la France d’en bas.
La Cigale, ayant chanté
Le Macron, ayant défiscalisé
Tout l’été,
Tous les rentiers,
Se trouva fort dépourvue
Se trouva fort dépourvu
Quand la bise fut venue.
Quand le chaos fût en vue.
Pas un seul petit morceau
Pas un seul petit magot
De mouche ou de vermisseau.
Par la voix du juste impôt.
Elle alla crier famine
Il osa crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
Chez la France d’en bas qu’il enfarine
La priant de lui prêter
L’obligeant à payer
Quelque grain pour subsister
Quelques taxes pour mieux crever
Jusqu’à la saison nouvelle.
Et aller vivre dans les poubelles.
Je vous paierai, lui dit-elle,
Il dit: tu paieras ma belle,
Avant l’août , foi d’animal,
Pour l’évasion fiscale,
Intérêt et principal.
Et les profits du capital.
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
La France d’en bas n’est pas conne
C’est là son moindre défaut
C’est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Que faisiez-vous des impôts ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
Dit-elle à cet esseulé neurone.
Nuit et jour à tout venant,
L’I.S.F à tout venant,
Je chantais, ne vous déplaise.
Je détruisais, ne vous déplaise.
Vous chantiez ? j’en suis fort aise :
Vous détruisiez ? J’en suis fort aise :
Et bien ! Dansez maintenant.
Et bien ! Récupérez maintenant.