Le malin Ménard

Lundi 4 février avait lieu au palais des congrès de Béziers un débat organisé par son maire, le célèbre Robert Ménard.

Il est évident qu’un débat organisé d’en haut comme celui-là ne peut que poser beaucoup de problèmes. Nous y reviendrons. Ce ne sont pas ceux qui étaient sur les ronds-points qui l’avaient organisé mais ce maire qui avait défilé avec les Gilets Jaunes pendant la manif de Béziers du 1° décembre mais qu’on n’avait plus vu depuis. Depuis que les choses s’étaient considérablement gâtées dans les manifestations, depuis que le gouvernement a sorti ses gros bras et ses flashballs, ses flics et ses magistrats à la botte. La position devenant délicate pour un élu de la République plus soucieux de sauvegarder sa réputation que sa fidélité aux luttes des Gilets Jaunes. Il n’a d’ailleurs fait aucune déclaration pour condamner ces abominables violences policières.

Tout ça ne l’a pas empêché de se réclamer des GJ dès le début de ce débat.

La salle était comble, on a même rajouté des chaises et beaucoup de personnes ont dû rester debout. Certains arboraient fièrement leurs gilets jaunes. Mais la majorité n’en portaient pas qu’ils fussent avec les Gilets Jaunes ou pas.

Ménard annonça vite la couleur. Sur l’affiche il était indiqué que le débat était ouvert à tous. Et il rajouta qu’on pouvait tout dire. Un petit air de liberté soufflait dans la salle. Ça n’allait pas durer. Il introduisit très habilement le débat en indiquant qu’il avait laissé en mairie un cahier pour les doléances des biterrois – les allusions à la révolution française abondent ! – Les dites doléances avaient été dépouillées et une synthèse en avait été faite par ses services. Il en montra sur un immense écran le résultat. Évidemment ce sont ses services qui avaient tout classé en rubriques : gouvernement, fiscalité (taxes et impôts), retraites, citoyenneté, etc … sans oublier l’immigration bien entendu.

Cette synthèse aurait pu n’être que purement indicative des doléances déjà écrites. Sauf que celui-ci, avec une certaine habileté encore, s’en est servi pour canaliser le débat avec les thèmes que lui-même avaient délimités. On pouvait donc tout dire MAIS …en restant dans les thèmes décidés par l’édile habile. Ceci passa comme si de rien n’était. Les premières interventions furent faites par des GJ qui proposaient rien moins que d’instaurer la démocratie directe. On se demande si certains comprenaient bien de quoi il s’agissait et surtout tout ce que ça impliquait, en quoi celle-ci contredisait complètement le système politique en vigueur. Cette incompatibilité totale avec les structures politiques actuelles ainsi qu’avec l’économie de marché mondialisée était incontestablement sous-estimée.

Lire http://faut-le-dire.fr/index.php/2016/08/26/democratie-critique/

Une intervention fut particulièrement applaudie, d’un GJ qui mit en avant tout ce qui, à notre sens, devait l’être. « Le débat qui a lieu aujourd’hui, comme les autres débats, ont été organisés PARCE QUE le mouvement des GJ avait ébranlé le ronron politicien. Le pouvoir a été contraint à ces débats. D’autre part, dit-il, beaucoup de gens adhèrent à l’idée de ce mouvement mais restent douillettement à la maison, il est temps de venir grossir les rangs des GJ et à chacun d’apporter au mouvement son grain de sel. »

Voilà qui était bien dit et, à notre sens, on pouvait se passer du reste de la séance.

La suite a donc donné lieu aux éternelles litanies : on refait le monde mais dans le cadre préétabli par les autorités. Dans les débats organisés par l’État – que Ménard n’a pas ménagé de ses critiques, il fallait bien qu’il mette en avant son image d’ « antisystème » ! – le carcan est sévère. Mais le maire de Béziers procéda avec tact pour manipuler son sujet. Le cadre qu’il avait fixé dans les thématiques opérait discrètement un formatage des interventions. Les accusations fusaient contre les députés, sénateurs et autres politiciens de tous côtés. Et quand certains se plaignent des hauts (voire très hauts) revenus et des avantages de ceux-ci, Mme Ménard – dont nous rappelons qu’elle est députée – défendit sa paroisse avec vigueur… Un GJ demanda à M. Ménard combien il touche d’indemnité en plus de son ‘salaire’ de maire. Quelques remous, faibles mais audibles dans l’assemblée, montrèrent que certains – curieusement pas parmi les Gilets Jaunes – n’appréciaient pas que le père Ménard soit attaqué ou mis en demeure. Le GJ se défend et rappela qu’on pouvait tout dire dans cette assemblée. L’autre répond qu’il n’en touche ‘aucune’ en dehors des 3500€.

Tout aura été cousu et bien cousu par la famille Ménard. Les employés de la place ne passèrent le micro qu’à ceux qui étaient désignés par le patron des lieux, la consigne leur en avait préalablement été donnée par le chef, m’a confessé une des pourvoyeuses de micro. Quand on ajoute que les thèmes abordés étaient les siens on a l’étendue de la manipulation. Ce qui était assez prévisible quand on connaît les politiciens. La différence avec les débats du gouvernement étant que M. Ménard fut plus habile, beaucoup plus que notre gouvernement dont on rappellera qu’ils n’ont même pas su passer la patate chaude à la CNDP qui avait, elle, l’habitude de se faire taxer de manipulatrice.

On se souviendra des débats en 2009 sur les nanotechnologies :

http://faut-le-dire.over-blog.com/pages/une_manipulation_de_plus_les.

Ils n’ont su qu’organiser des assemblées complètement corsetées sans le moindre débat tant avec les maires et autres élus locaux triés sur le volet. Doit-on rappeler que pour qu’il y ait débat il faut un aller-retour dans la parole et non pas des questions et réponses. Si manifestement truqués furent les débats gouvernementaux que, mis à part les partisans macronistes et autres névrosés du statu quo, personne ne pouvait y croire.

On peut tirer toutefois quelques enseignements sur la façon dont ce débat s’est déroulé. Et il faut dire que, si Ménard avait plus d’un tour dans son sac, les GJ nous ont paru bien naïfs.

Ensuite, il y eut beaucoup de personnes pour dénoncer les gabegies et dysfonctionnements de l’État mais très peu pour pointer la domination économique des grosses entreprises qui corsètent les politiques aussi bien de gauche que de droite. M. Ménard a beau regretter – il l’a dit dans son long préambule – qu’une poignée de milliardaires possédaient autant que la moitié de l’humanité, il ne dit jamais – pas plus, d’ailleurs, que les GJ – comment sortir de cette situation aberrante. Car nous voyons chaque jour à quel point cette domination des multinationales entraîne baisses de salaires, destruction d’une protection sociale pour les plus humbles, etc. Ce qui fait partie des préoccupations des GJ tout de même. La mondialisation de l’économie est la voie royale pour l’expression de cette domination. Par ailleurs, la politique de la Commission Européenne – non élue – est là pour canaliser dans le sens de cette mondialisation les politiques des États qui ont (encore) quelques (petits) comptes à rendre aux électeurs.

Il y a donc nécessité d’engager la réflexion sur ce sujet dans le débat instillé par les GJ. Et on pourrait se désoler que ce ne fût pas dans les tablettes de l’édile biterrois mais… est-il vraiment souhaitable de parler de ce genre de choses – éminemment sérieuses – devant (ou avec) des gens comme Ménard ? On peut, par contre, regretter que nos GJ biterrois n’aient pas ce genre de préoccupations. (1)

Le ‘débat’ allait donc s’enliser et s’éterniser autour de propositions de détails sans intérêt …sauf pour les politiciens qui adapteront tout ce qu’ils voudront retenir à leur principe de réalité.

Car nous voyons tous les jours que, pour l’actuelle classe dominante ( comprenant autant de politiciens que de patrons qui, comme Macron passe de la banque Rothschild au gouvernement ou Sarkozy qui alla dans l’autre sens après sa prestation présidentielle) le débat n’oppose plus le capital et le travail, les riches et les pauvres, les dominants et les dominés, ou que sais-je ? Mais les défenseurs de la vérité, rebaptisée « réel » ou « modernité », et les partisans des « archaïsmes » ou, tout simplement, de « l’erreur ». C’est bien là, le discours des macronistes sur le monde, sur eux-mêmes et sur ceux qui luttent contre ce monde.

http://faut-le-dire.over-blog.com/pages/Capitalisme_et_totalitarisme_De_la_contrainte_

Nous avons donc quitté la salle avec soulagement car tout cela semblait bien lourd et bien long.

Note 1_

Dans d’autres endroits, d’autres villes, le problème se pose différemment et il m’a été rapporté que les problèmes évoqués ici n’existent pas uniformément sur tout le territoire français. Les débats du gouvernement sont clairement dénoncés comme falsificateurs et réducteurs et la racine économique des politiques macronistes est comme une évidence pour une majorité de GJ à ces endroits-là. On ne s’attarde donc pas à la critique du salaire des sénateurs mais à décortiquer la façon dont les « élites » adhèrent au libéralisme économique qui fait notre malheur.

faut-le-dire.fr