Des millions de manifestants aux quatre coins du pays ont fait plier le régime.
Mais attention, tout n’est pas gagné. Il n’est pas encore tombé et cherche toujours à manœuvrer. On voulait une élection sans Bouteflika, on se retrouve avec Bouteflika sans élections, ont grincé quelques humoristes.
Frappé par la simultanéité, nous ne disons pas la similitude, des événements de part et d’autre de la Méditerranée, en Algérie et en France, toujours fidèle à notre ligne directrice, tenter de poser les bonnes questions, nous avons sollicité l’avis de Pascal Périlleux.
Pascal Périlleux, chercheur au CEVIPOF (Centre d’Études de la Vie Politique Française de Sciences-Po Paris) est spécialiste en sociologie politique et électorale.
Il vient de rendre publique la dernière enquête du Centre d’Études sous le titre, Gilets Jaunes, une flambée de défiance envers les institutions politiques. Avec cette conclusion, ce sont ses propres termes : « Nous n’avons jamais vu un tel sentiment de dégoût, de morosité mais aussi de colère. ». C’est à ce titre que nous l’avons questionné quant au parallèle à faire entre les événements de part et d’autre de la Méditerranée.
Bien conscient que si ce parallèle peut être fait, nous prenons bien soin pourtant de préciser que par parallèle, nous entendons comparaison, et non pas, selon le postulat d’Euclide, que les parallèles sont des droites de même direction et ne peuvent jamais se croiser.
Pascal Périlleux, nous ne plaisanterons pas avec votre patronyme. Nous le constatons, il n’est plus hasardeux aujourd’hui de vouloir renouer avec les idéaux de justice sociale. Pas de doute, ce qui se déroule en ce moment en Algérie ressemble à un mouvement de masse de type pré-révolutionnaire. Nous insistons bien et ne voulons pas créer de confusion dans les esprits, ce renouveau des idéaux de justice sociale, quelles perspectives lui donnez-vous dans nos deux pays aux situations pourtant si différentes ?
Cher ami, commençons par les dissemblances. La première, et elle saute aux yeux, nous ne sommes pas en 2037, et, Dieu nous garde, notre président ne s’apprête pas à postuler pour un cinquième mandat, éventualité tout à fait respectable pour l’encore vigoureux quinquagénaire qu’il sera à cette date. À supposer bien entendu, que la prochaine révision constitutionnelle ait instauré le mandat à vie.
Certes, Pascal Périlleux. Mais ne plaisantons pas. La chose est trop sérieuse. Permettez-nous de voir malgré tout quelques similitudes, toutes proportions gardées, entre l’espèce de chantage des cercles du pouvoir algérien qui brandissaient hier encore le risque du chaos et du retour à la guerre civile, avec le même chantage des hommes du pouvoir en France : nous ou Marine Le Pen. La même, à propos de laquelle nous avons apprécié la belle formule de Jean-Pierre Chevènement : « Marine Le Pen est au système ce que la quille est au navire : un stabilisateur automatique ». C’était une parenthèse.
Je vous le concède. Et rajouterai que dans les deux cas, la réalité de la contestation va au-delà de la question de l’homme au pouvoir. Derrière l’invalide et moribond Président Bouteflika, se cachent en réalité d’énormes intérêts : la FCE (Forum des Chefs d’Entreprise), l’équivalent de notre MEDEF, ainsi que les grands groupes de médias audiovisuels et les oligarques du secteur pétrolier et gazier.
De la même manière que derrière notre sémillant Président Macron, se tiennent dans l’ombre les oligarques de la grande distribution, de l’armement, de la banque, de l’audiovisuel et des médias papier, en oublierai-je…
Sur ce point Pascal Périlleux, nous vous rejoindrons. Mais, dissemblance toujours, nous citerons cette lettre ouverte adressée au Président par 35 ophtalmologistes de renom « Monsieur le Président, le nombre inquiétant de lésions oculaires graves par lanceur de balles de défense (LBD) conduisant à la perte de la vision, nous font devoir de vous alerter. »
« On a vu arriver des personnes atteintes de lésions oculaires et faciales très graves » a confié à la presse le Pr Bahram Bodaghi, Chef du service d’Ophtalmologie de l’hôpital La Pitié-Salpêtrière à Paris. Dissemblance toujours, le Pr Bodaghi n’est pas algérien et La Pitié-Salpêtrière n’est pas à Alger.
Oui, cher ami, et vous touchez là au point essentiel. Celui de la capacité répressive pour un régime face à sa contestation sociale, économique et politique. Elle tient en un seul mot : le soutien de sa police.
Les images étaient prédictives : celles de manifestants, jeunes gens, hommes et femmes, face à une police pacifique et prête à la fraternisation. Le régime ne pouvait plus compter sur elle. Éminente dissemblance avec la situation de notre pays, où, à Paris, Bordeaux, Quimper encore, les images se multiplient d’une police matraquant, gazant et éborgnant à tout va tout va.
À tel point, cette alerte de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU et de sa Présidente Michèle Bachelet réclamant « une enquête approfondie » sur les violences policières en France pendant les manifestations des gilets jaunes. La même France qui réclame le départ du Président Maduro au Venezuela, pour des motifs identiques.
À tel point encore, le rapport critique du Défenseur des Droits, l’ancien ministre de la Justice Jacques Toubon, dénonçant vivement le durcissement de l’action de l’État et « l’affaissement des libertés », ainsi que le « le nombre jamais vu d’interpellations et de gardes à vue préventives ».
Au moment même où vient d’être votée au Parlement une proposition de loi dite Loi anti-casseurs, mettant en place interdictions préventives individuelles de manifester, fouilles policières, instauration du délit de dissimulation du visage et fichage des personnes interdites de manifester.
Oui, tant que la police obéit et réprime, le pouvoir conserve toute marge de manœuvre. Si la police fraternise, comme en Algérie, le pouvoir doit renoncer. À cette simple observation, cher ami, nous pouvons dire que la France ce n’est pas l’Algérie. Ici, le régime garde encore la main. C’est la leçon à tirer : toujours regarder la police.
La dialectique, cet art de la négation de la négation selon Hegel, permet de comprendre que l’usage de la force par un régime est le signe de son affaiblissement – il n’a plus d’autre moyen pour se perpétuer – et simultanément qu’il conserve encore une marge de manœuvre, la police lui obéit toujours
Merci Pascal Périlleux, pour ce condensé que nos lecteurs jugeront certainement limpide.
Nous terminerons citant Gandhi.
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