De la catastrophe. L’Homme à l’oeuvre du Déluge à Fukushima
Introduction de Michèle Riot-Sarcey
Un livre sur la catastrophe ? Sa genèse, ses mythes, ses réalités de plus en plus visibles, toujours plus proches ? Est-ce vraiment sérieux ? Est-il vraiment nécessaire de publier un livre sur un thème d’une actualité aussi brûlante ? Il est vrai que tout le monde en parle et semble redouter la venue de quelque chose mais quoi ? Une idée floue, vague, à propos de laquelle on imagine le pire en étant sûr que rien n’arrivera ? Et pourquoi l’introduire dans une collection au titre évocateur : « Le devenir du passé ? ». L’idée, pourtant nous est apparue évidente tant les avertissements des guetteurs d’hier, bien loin d’être énoncés par des Cassandre, ont été négligés, écartés ou tout simplement pas entendus.
Nous le savons l’inconcevable est déjà arrivé, aussi avons-nous choisi d’affronter l’inhumanité d’un devenir entièrement tendu vers la marchandise, non en politistes, ni en philosophes, mais en historiens, au sens large du terme. Par fragments, en choisissant des moments historiques restés dans les mémoires ; nous abordons ces événements d’exception, ou pensé tels, à travers le regard des hommes qui l’interprètent en termes de catastrophe. Chacun des auteur.es pressenti.es l’aborde à sa manière, à distance de l’événement, au plus près de l’archive, ou par le truchement des textes de penseurs critiques. Dans plusieurs articles, on retrouvera des références aux théoriciens de la catastrophe, Walter Benjamin mais aussi Günther Anders. D’autres au contraire ont voulu éviter l’approche théorique. La multiplicité des regards et des analyses caractérise ce livre.
Le parcours de l’histoire vu sous l’angle de la catastrophe nous offre un panorama d’un monde souvent marqué du signe de l’apocalypse. À l’échelle de la planète, en effet, les catastrophes se succèdent en se renouvelant constamment au cours du temps. De la catastrophe naturelle à la responsabilité humaine, l’enchevêtrement de ces deux causes, dès les temps modernes, ne nous permet plus d’en distinguer l’origine si nous portons l’attention aux populations qui en subissent les effets. Impossible d’atteindre l’exhaustivité dans ce domaine, c’est pourquoi nous avons privilégié les exemples paradigmatiques d’un temps, vu souvent d’Occident, pour des raisons d’accessibilité et de familiarité au lecteur, attentif aux récits d’autrefois.
Le déluge s’imposait, de même que le dernier avatar de l’irresponsabilité d’un monde avide de profits, Fukushima. Beaucoup de manques seront relevés et déplorés, mais les grandes catastrophes des temps modernes sont ici analysées :
Après le Déluge, seront évoqués le sac de Constantinople par les Croisés en 1204, puis la Peste dite Noire, qui s’étend à travers l’Europe à partir de 1347.
Une pause réflexive donnera à voir les représentations de l’Apocalypse dans l’Italie de la Renaissance, puis le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 apparaitra à travers le regard des philosophes.
On réfléchira ensuite sur les étonnantes conséquences de la conquête de l’Amérique, où des hommes sont massacrés par d’autres hommes au nom d’une modernité qui a été dès lors repensée, et d’un point de vue assez semblable, sur la Traite et l’Esclavage, présentés dans la longue durée de leurs effets.
Sur la Première Guerre Mondiale enfin, qui voit le triomphe de la technique en tant qu’instrument de destruction des populations ; la Shoah atteignant le paroxysme, à laquelle deux articles sont consacrés, différents comme le sont chacune des approches.
Le volume se clôt provisoirement par une réflexion sur l’écologie, ou plutôt, sur le thème de l’effondrement qui nous menace suivi, en conclusion, par une note que l’on souhaiterait optimisme, après avoir dressé l’état des lieux des catastrophes en cours. Aucun article ne se ressemble, tant par l’écriture, la méthode, les références historiques ou théoriques. C’est un choix délibéré. Ainsi le lecteur pourra se satisfaire d’une analyse ou d’un thème dont il ou elle avait entendu parlé ou qu’il ou elle découvre. Chacun et chacune pourra se pencher, y compris, dans le désordre, sur ces catastrophes aux multiples facettes et analysées de manière singulière.
Le point de vue des contemporains est toujours privilégié afin de restituer au mieux la réception d’une catastrophe en prenant en compte l’initiative et la responsabilité humaine – une responsabilité qui peut-être collective, mais qui souvent, particulièrement dans les temps contemporains, incombe à des hommes de pouvoir – économique ou politique. Il nous a semblé nécessaire de faire face à la réalité d’une déshumanisation qui menace la planète et les populations dont la lutte pour la survie peut désespérer le reste d’une humanité qui s’estime impuissante face à l’énormité des défis actuels.
Michèle Riot-Sarcey
Sous la direction de Michèle Riot-Sarcey : De la catastrophe. L’Homme à l’oeuvre du Déluge à Fukushima
Editions du Détour, Paris 2018, 298 pages, 22 euros