Il s’agit de celle des commissaires-enquêteurs
Cette indépendance du commissaire enquêteur, affirmée également par le ministère de la Transition écologique sur son site, est-elle bien respectée ? La radiation début décembre d’un commissaire enquêteur qui a conduit une soixantaine d’enquêtes publiques durant plus de 20 ans pose en effet question. Le 21 décembre dernier, Gabriel Ullmann se voyait signifier sa radiation de la liste des commissaires enquêteurs de l’Isère.
La commission départementale chargée de se prononcer sur cette radiation, réclamée par le préfet de département, a soulevé plusieurs griefs à l’encontre de l’expert, docteur-ingénieur et docteur en droit de l’environnement. De façon surprenante, elle lui reproche de concevoir les enquêtes comme « des missions d’expertise« , ce qui le conduit à mener des investigations trop approfondies, à solliciter les services administratifs ou les porteurs de projet « de façon disproportionnée« , avec un coût plus important pour la collectivité publique et le porteur de projet. Autre grief, « l’attitude dont il fait preuve au cours des enquêtes dont témoignent le contenu et la forme inappropriée de mails adressés aux services de l’Etat« , ainsi que la publication « sur le réseau internet de prises de position tranchées dans le domaine de l’environnement« . Cette dernière critique visant les chroniques sur le droit de l’environnement publiées par M. Ullmann dans les colonnes d’Actu-Environnement.
« Chacun appréciera la réalité des griefs, sachant que les débats ont porté clairement sur le fait que je donnais trop d’avis défavorables aux yeux de l’administration et des élus présents« , réagit M. Ullmann, après avoir été invité à s’expliquer devant la commission. Et de rappeler le code de l’environnement, selon lequel il revient au commissaire enquêteur de « conduire l’enquête de manière à permettre au public de disposer d’une information complète sur le projet (…) et de participer effectivement au processus de décision ». M. Ullmann a rendu six avis défavorables sur la soixantaine d’enquêtes qu’il a menées au cours de sa carrière. Soit 10 % de ses missions, mais dix fois plus que la moyenne constatée par le Tribunal administratif de Grenoble. Parmi les avis négatifs rendus par le commissaire-enquêteur, l’un a porté sur le projet contesté de Center Parcs de Roybon, un autre, en juillet 2018, sur le projet de zone industrialo-portuaire Inspira de Salaise-Sablons située le long du Rhône.
Tentation de faire taire les commissaires-enquêteurs
Les représentants de l’Etat peuvent toujours passer outre un avis négatif d’une commission d’enquête, comme le montre la signature, le 19 décembre dernier, de l’autorisation unique nécessaire au projet Inspira par le préfet de l’Isère. Mais un tel avis constitue malgré tout une épine dans le pied des porteurs de projet puisqu’il met en avant les insuffisances du dossier et de son instruction, et peut donner des arguments à ses opposants. D’où la tentation de certains préfets et maîtres d’ouvrage de faire taire les commissaires enquêteurs trop entreprenants. Soit en les radiant de la liste d’aptitude, soit en faisant en sorte qu’ils ne soient pas reconduits lors de la révision annuelle de cette liste. Car si la désignation d’un commissaire enquêteur relève du président du tribunal administratif, celui-ci doit le choisir dans une liste d’aptitude fixée par une commission départementale.
La tâche n’est pas trop difficile pour les préfets compte tenu de la composition de cette commission. Un décret du 4 octobre 2011 prévoit en effet que, présidée par le président du tribunal administratif, elle comprend quatre représentants de l’Etat désignés par le préfet, un maire désigné par l’association départementale des maires, un conseiller général désigné par le conseil départemental, ainsi que deux personnalités qualifiées désignées par le préfet. Un commissaire enquêteur, nommé également par le préfet, assiste aux délibérations mais avec une simple voix consultative.
« Cette composition, entièrement aux mains des maîtres d’ouvrage publics, permet de tenir les tribunaux administratifs et d’exclure les commissaires enquêteurs qui déplaisent« , explique Gabriel Ullmann qui a attaqué l’arrêté préfectoral renouvelant la commission départementale chargée d’établir la liste d’aptitude. La composition de la commission iséroise est assez instructive à cet égard, comme le fait ressortir l’association grenobloise Démocratie, écologie, citoyenneté (Ades) qui a mis au jour plusieurs conflits d’intérêts. Outre les représentants de l’Etat, déjà majoritaires, y siège le vice-président du conseil départemental, qui est aussi le président de la société en charge de l’aménagement du projet Inspira. Parmi les personnes qualifiées figure aussi le directeur du Conseil architecture urbanisme environnement (Caue), structure présidée par le même représentant du département.
« La vraie question qui se pose à travers cette affaire, c’est celle de l’indépendance des commissaires enquêteurs et finalement des tribunaux administratifs qui les désignent à partir d’une liste issue d’une telle commission« , pointe Gabriel Ullmann. « Les conditions de la démocratie locale sont dangereusement faussées« , ajoute le lanceur d’alerte. D’autant plus que la mainmise du préfet sur le projet est susceptible de se manifester à travers l’enquête publique mais aussi via le contrôle de l‘autorité environnementale chargée de rendre un avis sur le projet. De quoi étouffer toutes voix critiques qui pourraient entraver un projet jugé économiquement stratégique.
Laurent Radisson
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