A propos d’un livre de Fabien Ollier
Voici un entretien avec Fabien Ollier, auteur de L’Homme artefact. Indistinction des sexes et fabrique des enfants (Editions QS ?), précédé de rappels et considérations sur le sujet.
Depuis la parution de notre Manifeste des Chimpanzés du futur contre le transhumanisme, en septembre 2017 (Editions Service compris), nous voyons des volées d’ouvrages tournant dans l’air du temps, autour du même sujet, s’abattre sur les tables des librairies. Peut-être avons-nous mis à jour un puzzle de faits et d’explications qui, une fois assemblés, saute aux yeux avec la force de l’évidence et de la surprise, contraignant dès lors ceux qui l’ont vu à y penser et à en parler. Et il en sera ainsi tant que l’humain, le vivant politique dans son milieu vivant, sera une cause disputée, et non un produit de laboratoire commandé sur Amazon et livré par drone.
Parmi les pièces de ce puzzle en cours depuis vingt ans, on peut citer en vrac et de manière non exhaustive : les concepts de machination et d’auto-machination (homme-machine, monde-machine, etc.) ; le lien établi entre volonté de puissance et développement des moyens/machines (mekhané) de cette puissance ; la filiation reliant la technologie (moyens de production) à la technocratie (en tant que classe détentrice effective de ces moyens) et la technocratie au transhumanisme ; le « multiculturalisme » et le transhumanisme comme idéologies dominantes – et convergentes – de la technocratie dirigeante. Au même titre que son art, « l’art contemporain », est l’art officiel de notre époque. La reproduction artificielle de l’humain et la convergence, objective et subjective, entre transhumanistes et transidentitaires (alias queer).
Parmi la volée de livres évoquée plus haut, il en est de mauvais et d’autres. Sans parler des livres transhumanistes, consacrés à la défense et illustration de « l’Homme augmenté », nous avons vu passer des ouvrages platement opportunistes, d’auteurs et d’éditeurs désireux de figurer sur ce marché, et dans ce débat ouvert par l’intrigante audience du Manifeste ; quitte à en paraphraser les références et les idées. Il aurait fallu recenser ces livres au fur et à mesure, engager la discussion avec leurs auteurs, etc. Faute de temps, nous avons préféré creuser notre propre enquête 1, et participer à la contestation populaire des villes-machines (smart city) avec le mouvement anti-Linky.
Ce qui nous décourageait surtout, c’était l’incohérence de la critique, sa veulerie bornée, chez des gens pourtant fort diplômés, philosophes, psychanalystes, sociologues, économistes… ayant tribunes et micros ouverts, professionnels célébrés de la pensée ou scientifiques praticiens.
Faut-il évoquer le pathétique Testart, qui, livre après livre, s’en va nous « alertant » sur les « dangers », les « dérives eugénistes et transhumanistes » du DPI (diagnostic pré-implantatoire), tout en soutenant mordicus la pratique de la PMA pour les couples stériles. C’est-à-dire à la reproduction artificielle qu’il a introduite en France, en 1982, avec son compère René Frydman. Il est pourtant évident qu’en ouvrant la possibilité de la reproduction artificielle, on ouvre celle de l’amélioration du produit ; et d’innovations en améliorations à toutes les manipulations génétiques offertes par Crispr-CAS9 et les prochaines « avancées des connaissances ».
Et que dire de Sylviane Agacinski, qui prétend faire rempart de son CoRp (Collectif pour le Respect de la Personne), contre la prostitution des mères porteuses (GPA), mais se tait sur la PMA, et ne s’avise que cinq ans plus tard, ces derniers jours, du lien entre reproduction artificielle et idéologie queer 2. Dans cinq ans, peut-être, s’avisera-t-elle également du lien que nous avons établi depuis des années entre eugénisme et reproduction artificielle, entre transhumanisme et transidentitarisme.
De même que Marianne Durano, catholique et « féministe intégrale », hostile à la GPA, aux usines à bébés, à l’eugénisme et au transhumanisme, mais aussi muette sur la pratique de la PMA pour les hétérosexuels infertiles.
Ou enfin, pour borner là cette revue à la Dubout, ces anarchistes qui, ayant commis le faux pas de nous accompagner dans la contestation de la RAH (reproduction artificielle de l’humain), s’étonnent de l’esclandre du « milieu », et se défilent en courbettes apaisantes.
Il faut dire que nous avions poussé l’outrage aux bons sentiments jusqu’à la critique du transidentitarisme, de son déni du réel et de ses délires subjectivistes. C’était dans un texte de novembre 2014, intitulé, Ceci n’est pas une femme (à propos des tordus « queer ») 3. Circonstance aggravante, ce texte suivait une série consacrée à La Reproduction artificielle de l’humain, corédigée avec « Alexis Escudero », et publiée en mai/juin 2014 4. Endurcis dans le délit d’opinion et le crime de pensée, nous avons récidivé avec une mise à jour publiée en juin 2018 : La reproduction artificielle pour toutes ; le stade infantile du transhumanisme 5. Aujourd’hui encore, tout anarchoqueer ou « transgenre » qui se respecte pique une crise d’épilepsie à la mention de ces horreurs. Et si ce n’est iel ce seront ses amis « techno-progressistes ». Toute l’aire libérale-libertaire, de l’extrême gauche en décomposition, au showbizz (musique, mode, cinéma, publicité), en passant par les media (groupe Le Monde, groupe Radio France, Libération, etc.), l’édition et l’université, tous se trémoussant à la remorque de la Gay pride.
Bref la danse macabre des transhumanistes, conscients ou inconscients.
C’est pourtant de cette critique du « transidentitarisme » qu’est parti Fabien Ollier, cinq ans plus tard, dans L’Homme artefact, sans craindre les références à Ceci n’est pas une femme, ni à La Reproduction artificielle de l’humain.
Ce courage, si rare chez les critiques de la société industrielle aurait suffi à attirer notre attention. A l’exception des Italiens de Resistenze al Nanomondo, des Belges de la revue Kairos, des anarchistes espagnols de Contra toda Nocividad, et des Lyonnais de La Décroissance, nous n’avons rencontré au sujet de la reproduction artificielle de l’humain, du lien entre eugénisme et transhumanisme, entre transhumanisme et transidentitarisme, qu’esquives, silence, sourdes oreilles et regards fuyants. Nos propos sont « clivants », voyez-vous, ou « maladroits ». Il aurait été bien plus adroit et rassembleur de nous en tenir aux lieux communs de la critique écologiste : la contestation des ravages territoriaux, des barrages, autoroutes, aéroports, TGV, etc. Ou encore aux sujets qui nous valaient tant de suspicion quand nous parlions, depuis 2001, des nanotechnologies et du nanomonde, de l’emballement et du totalitarisme technologiques, à partir des symptômes fournis par Minatec, Clinatec, le téléphone portable, les puces RFID, les mems et les nems (micro-electro-mecanicalsystem), la biologie synthétique, les bio-et neurotechnologies, etc. Autant de critiques devenues après de longues années d’études la matière à penser de Camille Ran-tan-plan ou du Groupe Voiture-Balai.
Il se trouve qu’en outre, L’Homme artefact esquisse ce que nous n’avons pas fait – ni personne à notre connaissance : l’histoire générale de cette crise anthropologique depuis les années 1970.
Sans doute, nombre de faits, de notions, d’épisodes, de personnages, d’auteurs, etc., avaient été repérés dans d’autres ouvrages. Parmi les plus récents, La philosophie devenue folle, de Jean-François Braustein (Grasset, 2018), qui rappelle les conditions sordides de l’invention du « genre social » par John Money ; l’essai remarquable d’Isabelle Barbéris sur L’art du politiquement correct (PUF, 2019) ; Au rendez-vous des mortels de Jacques Luzi, sur le déni de la mort de Descartes au transhumanisme (La Lenteur, 2019) ; Leurre et malheur du transhumanisme d’Olivier Rey (Desclée de Brouwer, 2018) ; et vingt pages de bibliographie, des dizaines de notes en bas de page, attestant que Fabien Ollier a recyclé une multitude d’éléments épars, mais précisément, il l’a fait. Et ce faisant, il en restitue l’enchaînement, les ressorts et les articulations.
Ce qui nous est donné à voir, c’est le déchaînement de la volonté de puissance (le « désir »), au moyen du déchaînement technologique, dans la production et la reproduction du client roi. Il s’agit, littéralement, de prendre ses désirs pour des réalités et de les imposer comme telles, au défi, précisément, des réalités objectives. Et ce n’est pas beau à voir. Boucheries chirurgicales et intoxications pharmaceutiques pour fabriquer des fake femmes et des fake mecs. Imposition du langage et du délire mental d’une minorité « tordue » (queer), à l’ensemble de la société sommée d’authentifier ses hallucinations, et de leur donner un faux-semblant de vérité grâce aux dernières avancées de la science. Contradictions entre refus du biologique et exigence de validation biologique de l’identité auto-machinée. Entre haine de la chair, de la « guenille humaine », et surinvestissement narcissique du corps designé sur mesure. Egotisme des auto-entrepreneurs en identité, obsédés par la dissection de leurs particularités et par le strict respect des étiquettes. Quiconque confond créatures « binaires » et « non-binaires » commet le crime de lèse-identitaire. Sanction encourue : la mise au ban de la nouvelle bonne société, celle qui respecte toutes les différences, quitte à en fabriquer pour mieux les instrumentaliser. Si l’intérêt de l’industrie de l’auto-machination pour cette diversification des options identitaires ne fait pas de doute, plus stupéfiante est la complaisance perverse du monde intellectuel pour ce renversement du réel. Anne Fausto-Sterling, Thierry Hocquet, Eric Fassin, Elsa Dorlin, Sam Bourcier, Paul Preciado et tant d’autres universitaires cités par Fabien Ollier, qui font carrière sur la défense de prétendues différences. C’est la règle du jeu comme dirait Bourdieu qui l’a si bien pratiquée 6. On se distingue comme on peut sur le marché des idées.
Quand les habits magiques de l’empereur sont censés rester invisibles aux yeux des imbéciles, quel intellectuel aurait le courage de s’exclamer – « Mais sa Majesté est nue ! 7 »
Quel universitaire oserait dire aujourd’hui devant une Marie-Hélène, « Sam », Bourcier, ou une Beatriz, « Paul », Preciado « Mais ! Ceci n’est pas un homme ! ».
Qu’un simulacre plus ou moins réussi puisse se faire passer pour ce qu’il n’est pas ; qu’il en arrive à croire sa propre fiction ; et à trouver des faux témoins diplômés pour garantir, en toute compétence scientifique et philosophique, qu’on y doive croire aussi, vérifie en retour le poncif de Debord sur « l’ère du faux sans réplique » :
« Le seul fait d’être désormais sans réplique a donné au faux une qualité toute nouvelle. C’est du même coup le vrai qui a cessé d’exister presque partout, ou dans le meilleur cas s’est vu réduit à l’état d’une hypothèse qui ne peut jamais être démontrée. Le faux sans réplique a achevé de faire disparaître l’opinion publique, qui d’abord s’était trouvée incapable de se faire entendre, puis très vite par la suite, de seulement se former 8. »
Fabien Ollier contribue à la survie d’une opinion publique. Ceux qui comme lui préfèrent penser par eux-mêmes le vérifieront en lisant notre entretien (ci-après).
Pièces et main d’oeuvre
9 juillet 2019
1 Cf. Ecrasons l’infâme. Le culte de la Mère Machine et la matrice religieuse du transhumanisme (2017) ;
Reproduction artificielle pour toutes : le stade infantile du transhumanisme (2018) ; Alain Badiou nous attaque, et nous faisons (humblement) notre autocritique (2019)
2 L’homme désincarné. Du corps charnel au corps fabriqué. Editions Gallimard, juin 2019
3 http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=539
4 http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=507
5 http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1064
6 Cf. Les Règles de l’art, Le Seuil, 1992
7 Cf. Les Habits neufs de l’empereur, Andersen
8 Commentaires sur la société du spectacle, Editions Gérard Lebovici, 1988
Pour lire l’entretien avec Fabien Ollier :
Lire les pages 4 à 6 du document joint :