Il y a une semaine, Kewi, 15 ans, a été tué d’un coup de couteau aux Lilas. Une tribune qui s’adresse aux responsables. Ils n’auront pas à se reconnaître, nous les nommons.
« Tout l’océan du grand Neptune arrivera-t-il à laver ce sang de ma main ? Non, c’est plutôt ma main
qui teindra d’incarnat les multitudes urbaines, changeant tout ce béton en une étendue rouge. »
presque Macbeth, acte II scène 2.
Le Monde l’a classé dans les faits divers. Fait divers… fait divers… Quel fait ? Au milieu de quoi ? « Un adolescent est mort aujourd’hui en France. » « Une vie supprimée, deux, trois ou quatre vies ruinées. » Il y a une semaine, Kewi, 15 ans, a été tué d’un coup de couteau aux Lilas.
Le jour d’avant cette mort, nous étions à Bobigny, au cœur du rassemblement à la mémoire de Christine Renon, notre collègue qui s’est suicidée sur son lieu de travail, l’école maternelle Mehul de Pantin. Dans la foule, on scandait « Macron complice, Blanquer assassin ».
En juin, nous étions parmi les enseignant·e·s que le gouvernement qualifiait de « terroristes » parce que nous participions à la rétention des copies. Nous étions de celles et ceux qui accomplissaient « quelque chose de sacrilège ».
Il y a quelques semaines, nous faisions notre rentrée. Dans un lycée de Saint-Denis, un élève de 2de s’est fait tabasser au matin de son premier jour de classe. Et à la pause, entre nous, on avoue mal à l’aise que c’est de ça dont on a peur. Ça. Un mort. La mort d’un·e de nos élèves, la mort d’un·e de leurs enfants.
Entre les mots qu’on ose à peine laisser sortir, les slogans de la foule et les épithètes du gouvernement, il y a un point commun : la mort violente. Subie par des adolescents de Seine-Saint-Denis, donnée par des adolescents de Seine-Saint-Denis, quand ce n’est pas par la Police.
Alors ? Content·e·s ? Ils s’entretuent ! Vous savez, ces adolescents dont vous ne savez pas quoi faire, cette jeunesse qui vous encombre, ces filles et ces garçons que vous voudriez trier sans avoir jamais eu la curiosité d’apprendre à les connaître.
Ils s’entretuent parce que vous laissez faire. Ils s’entretuent parce que ça vous arrange bien. Ils s’entretuent aujourd’hui parce que depuis des années vous laissez pourrir ce département, vous dépouillez les services publics, vous asphyxiez les associations, vous laissez croître la misère et vous organisez le désespoir.
Si vous saviez notre haine et notre mépris !
… et pourtant vous n’en rougiriez même pas.
Vous avez permis que meure un garçon de quinze ans et qu’un autre devienne un assassin.
Vous n’avez tenu compte d’aucun de nos cris d’alarme.
Vous avez, en toute connaissance de cause, fait le lit de cette violence meurtrière. Puisse le torrent laver votre cynisme plutôt qu’emporter leur jeunesse !
Et maintenant, venez. Venez voir de vos yeux, entendre de vos oreilles, venez et montrez-nous vos fronts qui ne rougissent pas. Regardez-nous en face et soutenez si vous l’osez que leur sang n’a pas taché vos mains.
« Le sang tache tes mains, ton front ne rougit point » : alexandrin, Racine, Macbeth… parce que ce n’est pas un fait divers, c’est une tragédie. Ne vous y trompez pas, Le Monde. Une foutue tragédie où la fatalité n’a rien de transcendant ; le destin à l’œuvre, ici, a plus d’un nom et d’un visage : MM. Auverlot, Blanquer, Macron, Leclerc, Castaner, Mmes Pécresse et Isnard. Comptez-vous. Tenez-vous bien chaud. Vous êtes tou·te·s responsables du climat de violence dans lequel est la Seine-Saint-Denis ! N’oubliez pas, vous êtes responsables.
Nous pouvons encore nous regarder dans une glace. Le jour où vous ne pourrez plus le faire car le sang montera à vos visages : nous serons plus nombreuses et plus nombreux, nous serons partout, soudé·e·s, mu·e·s par une colère et une rage qui vous dépassent depuis des lustres.
Collègues, camarades et ami·e·s, il est grand temps de désigner les coupables et de continuer le combat ! Nos élèves et leurs parents n’ont rien à perdre. Nous n’avons rien à perdre. Alors, en avant !
Des enseignant·e·s de Seine-Saint-Denis