Nos cerveaux

Zone à défendre prioritaire

Les irréductibles de Notre-Dame-des-Landes ont lancé une idée : « des ZAD partout ! » Quelle que soit la possibilité concrète de cette idée, il a fallu pour la former des esprits capables de raisonner à partir de leur expérience et de leur connaissance. L’autonomie de pensée est la mère de toutes les autonomies. Il n’est pas dit que les enfants d’aujourd’hui disposent encore longtemps de la base biologique de cette pensée, ni des facultés cognitives nécessaires à celle-ci, ni même des capacités minimales de s’exprimer. Le mode de vie des sociétés cyber-industrielles attaque notre for intérieur. S’il est une ZAD à établir d’urgence, c’est celle de nos cerveaux.

Faute de quoi, nous ne saurons même plus pourquoi il faudrait se défendre.

C’est la science qui le dit. Le quotient intellectuel moyen chute depuis les années 2000. Moins 3,8 points en dix ans pour la France. Quoi qu’on pense du QI comme étalon de l’intelligence, cette chute signifie quelque chose. Pour l’endocrinologue Barbara Demeneix, aucun doute : en attaquant l’hormone thyroïdienne maternelle, les perturbateurs endocriniens affectent le cerveau du foetus. Des études ont établi le lien entre l’exposition de la mère aux phtalates, pesticides et autres ingrédients de notre cocktail chimique quotidien et un risque accru de troubles du spectre autistique ou du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité chez l’enfant à naître. Réfléchissez avant de faire des bébés.

Étonnant : les produits neurotoxiques attaquent nos neurones. Pourquoi des insecticides conçus pour endommager le système nerveux central d’êtres vivants nous épargneraient-ils ? La revue Environmental Health Perspectives a publié en 2017 une étude montrant « « des associations avec des conséquences développementales ou neurologiques défavorables » : augmentation du risque d’autisme, de troubles de la mémoire et de tremblements, (…) ainsi que d’une autre anomalie congénitale grave, l’anencéphalie (absence partielle ou totale de cerveau et de crâne à la naissance). » On n’arrête pas le progrès. L’épidémie de maladies neurodégénératives suit l’empoisonnement du milieu, au point que Parkinson est reconnue maladie professionnelle pour les exploitants agricoles. Aux dernières nouvelles, les métaux lourds – plomb, méthylmercure,  cadmium, aluminium, etc – ne sont guère meilleurs pour notre système nerveux. Les enfants risquent déficits de l’attention et troubles du comportement, difficultés d’apprentissage et réduction de QI. N’oublions pas le mercure, responsable avéré de troubles neurologiques tels que la sclérose en plaque, l’autisme et la maladie d’Alzheimer, et dont, pour ne parler que de Grenoble, l’usine Arkema de Jarrie a longtemps rejeté en toute légalité 50 à 60 kg par an dans l’air, 20 à 30 kg dans l’eau. Heureusement, la mémoire défaillante des voisins leur évite inquiétude et colère.

Après des décennies d’infusion de toxiques chimiques dans l’eau, les sols et l’air, les chercheurs tirent le bilan du progrès : nous voilà plus bêtes que nos ancêtres. La preuve, il est interdit de dire que c’était mieux avant.

Heureusement, l’industrie lourde a cédé la place à l’économie 4.0, dématérialisée, verte et sans odeur. Voire. Rappelons aux futurs Alzheimer que produire et jeter smartphones, ordinateurs et machins électroniques pollue et empoisonne. Aux composants neurotoxiques des cyber-gadgets, ajoutez quelques couches de brouillard électromagnétique pour gagner du réseau, faites bouillir le cerveau et admirez le résultat. Les rats exposés au rayonnement d’un portable pendant 2 heures perdent des neurones. Même la technofficielle Agence nationale de sécurité sanitaire admet les « effets possibles des radiofréquences » (et des gadgets connectés) sur les fonctions cognitives et le bien-être des enfants. D’où le conseil des fabricants d’éviter les téléphones avant 14 ans, ce qui leur donne bonne conscience et fait bien rire dans les collèges.

L’altération biologique des cervelles constitue la partie évidente du problème. Celle sur laquelle se ruent les amateurs de seuils d’exposition, de normes sanitaires et d’encadrement du désastre (type la Criirem de la députée verte Michèle Rivasi), faciles à contenter une fois les antennes-relais déplacées de leur champ de vision.

Nous ne cessons de le dire depuis plus de 10 ans : les dangers du numérique sont ailleurs. La déshumanisation nous menace autrement que le cancer. Après une décennie d’observation, les spécialistes l’admettent : « Nous, professionnels de la santé et de la petite enfance (…) recevons de très jeunes enfants stimulés principalement par les écrans, qui, à trois ans, ne nous regardent pas quand on s’adresse à eux, ne communiquent pas, ne parlent pas, ne recherchent pas les autres, sont très agités ou très passifs. (…) La surexposition aux écrans est pour nous, une des causes de retard grave de développement sur laquelle nous pouvons agir de façon efficace. » La rupture du lien entre parents et bébés crée des troubles de type autistique. Les petits d’hommes élevés par des machines ne sont plus des hommes ; l’écran fait écran. Supprimez-le, vos enfants revivront et apprendront à penser.

Quelques années plus tard. Voici les ados accros à leur smartphone. Un tiers des enfants de 10 ans ont un portable. 86 % des 12-17 ans ont un smartphone. 100 % des 18-24 ans10. Le consultent plus de 200 fois par jour. Dès le réveil, ou en pleine nuit. Ont perdu une heure à une heure trente de sommeil par jour à cause de la « lumière bleue chronotoxique » des écrans et de la cyber-navigation nocturne : désastreux pour les capacités cognitives. En 2016, l’Académie américaine de pédiatrie pointait, entre autres, l’effet « négatif sur les résultats scolaires » de l’usage des « médias de divertissement » pour les élèves qui font leurs devoirs en même temps. Sans blague.

On apprend de la bouche des coupables que réseaux et applis sont conçus pour droguer les cerveaux à la dopamine, l’hormone de la récompense. Nombre de « Like » et de « vues », flux d’« actus », messages et notifications, enchaînement de vidéos, n’ont qu’un objectif : figer les proies devant leurs écrans, en créant « un état de chasse frénétique, qui inhibe les zones du cerveau associées au jugement et à la raison », avoue Nir Eyal, « designer d’application ». Ancien président de Facebook, Sean Parker révèle l’obsession du réseau social : « Comment est-ce qu’on absorbe le plus possible de votre temps et de votre attention consciente ? ». Et de se flageller vingt ans trop tard : « Dieu sait ce que ça fait au cerveau de nos enfants (…). Les inventeurs, les créateurs – comme moi, Mark [Zuckerberg], Kevin Systrom d’Instagram et tous ces gens – avions bien compris cela, c’était conscient. Et on l’a fait quand même. » Le cyber-tartuffe est toujours actionnaire de Facebook.

Texte que vous retrouvez sur pecesetmaindoeuvre.com

Un autre texte à ne pas manquer, qui date de décembre 2015 : l’appel de Beauchastel contre l’école numérique.

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