Les étranges liens de D. Matray, l’avocat de D. Reynders

Cela se passe en Belgique. Mais il est évident que cela ne peut pas arriver en France !!!

http://www.kairospresse.be/article/les-etranges-liens-de-didier-matray-lavocat-de-didier-reynders

Nicolas Ullens de Schooten, ancien agent de la Sûreté de l’État, exprima récemment que désigner Didier Reynders comme Commissaire européen à la justice revenait à placer Al Capone comme chef de la police à Chicago. N’a-t-il pas exagéré ? Au vu de ce qu’on découvre au fur et à mesure de notre investigation, il semble que non.

Nous pourrions refaire un exercice d’investigation comme nous l’avions fait dans « Les politiciens et leur page : comment toucher le pactole sans se faire coincer ». Notre enquête commence par une petite visite sur le site de Cumuleo(1), à la recherche des différents mandats de Didier Matray. On y découvre que ce dernier, avocat de Didier Reynders, exerçait en 2017 onze mandats, dont trois rémunérés. Étrange ?

On apprend notamment que Didier Reynders, qui n’est plus ministre des Finances depuis 8 ans, a un avocat qui dispose de deux mandats rémunérés à la Banque Nationale, où il est Président du comité de rémunération et de nomination ainsi que membre du Conseil de régence(2). Le Conseil de régence est un organe important qui «  procède à des échanges de vues sur les questions générales relatives à la Banque Nationale, à la politique monétaire et à la situation économique du pays et de la Communauté européenne »(3). Ce dernier dispose d’un pouvoir conséquent au sein de la Banque Nationale : il fixe notamment les règles comptables, approuve le budget des dépenses ainsi que les comptes annuels et règle définitivement la répartition des bénéfices proposée par le Comité de direction. Didier Matray devient membre du Conseil de régence le 29 mars 2005.

C’est ici que cela devient croustillant : le Conseil de régence se compose du gouverneur, des directeurs et de dix régents. Les régents sont élus par l’assemblée générale pour un terme de trois ans, renouvelable : deux régents sont choisis sur proposition des organisations les plus représentatives des travailleurs ; trois régents sont choisis sur proposition des organisations les plus représentatives de l’industrie et du commerce, de l’agriculture et des classes moyennes. Et les cinq derniers sont choisis « sur proposition du ministre des Finances » :

«  L’assemblée générale ordinaire du 29 mars 2005 a renouvelé le mandat de M. Jacques Forest. Elle a élu en qualité de régents MM. Rudi Thomaes, Christian Van Thillo, André Mordant et Didier Matray. » À la note de bas de page 5 accolée au nom de Didier Matray, on lit : « sur proposition du ministre des Finances »(4)

Il n’est pas non plus sans intérêt de voir que des patrons de groupe de presse (Persgroep : Het Laatste Nieuws, De Morgen, VTM, etc.), comme Christian Van Thillo, sont régents à la Banque Nationale, ou encore des personnages comme Jacques Forest à l’époque, CEO de la compagnie d’assurance P&V dont le conseil d’administration compte parmi ses membres Jean-Paul Phillipot, administrateur général de la RTBF, lequel siège également dans le comité d’audit de P&V assurances, le comité de rémunération, le comité des risques et le comité de nomination.

Cette histoire de nomination politique rappelle celle récente du demi-frère d’Olivier Chastel, parachuté à la tête d’une intercommunale de santé au pays de Charleroi. Le lecteur aura compris, après l’affaire du Samu social, du Kazakhgate, du déménagement de la police fédérale, notamment, ou encore récemment de Publifin/Nethys, que ces scandales ne sont pas l’expression de dysfonctionnements d’un système, mais au contraire des éléments de preuves récurrents qui éclairent son fonctionnement. Le scoop, à ce niveau, n’est que l’état d’un fait existant qui a juste connu sa révélation publique. Vu l’état délabreux des médias dans les nations occidentales, particulièrement en Belgique, pléthores d’affaires « n’existent pas » pour la seule raison qu’elles ne sont pas médiatisées.

Mais revenons à nos charognes. Maître Matray exerce un troisième mandat à la Banque Nationale de Belgique, comme membre de la Commission du Fonds spécial qui a pour mission « d’examiner l’affectation du Fonds Spécial pour le mécénat de la Banque ». À la question : est-ce que ces trois fonctions de l’avocat de l’homme politique ont pu avoir un impact sur le dégel des fonds libyens, le Kazakhgate ou sur d’autres affaires où Didier Reynders est impliqué, on a envie de répondre oui, à voir les compétences de la Banque Nationale de Belgique en matière de fraude fiscale et de terrorisme : « la BNB est notamment chargée de contrôler le respect par les institutions financières de leurs obligations, européennes et nationales, relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT), ainsi que de leurs obligations en matière de gel des avoirs et de transferts de fonds »(5).

Quand on se souvient de l’affaire de l’argent public belge qui avait été investi dans une structure offshore, classée dans les archives « anciens scandales », aux oubliettes de la mémoire pour éviter surtout que l’individu lambda, dindon de la farce, comprenne que ces affaires font système et que ce dernier est dirigé par une mafia politico-financière, quand on se souvient donc de cette affaire et de nos révélations présentes, des connexions synaptiques ne manquent pas de se faire : la Société belge d’Investissement (SBI), détenue à 64 % par l’État belge, apparaît dans les « Paradise papers », via une société « Infra Asia Development », sise au Vietnam et immatriculée aux Îles Vierges britanniques, paradis fiscal notoire. Et qui retrouve-t-on à la présidence de la SBI – et du CA de la SNCB par ailleurs : Jean-Claude Fontinoy, « homme lige(6) de Reynders ».

Comme administrateur délégué ? Koen Van Loo, ancien chef de cabinet de Reynders. Le second actionnaire de « Infra Asia Development » n’est autre que Ackermans & van Haaren, société dont le patron est Luc Bertrand, et sa fille, Alexia Bertrand, également administratrice d’AvH, chef de cabinet de… Didier Reynders. De 2006 à 2016, Hans D’Hondt a siégé au conseil d’administration de la SBI, mais il est aussi Président du Comité de Direction du Service public fédéral Finances et représentant du ministre des Finances auprès de la Banque Nationale, dont il devrait surveiller les opérations(7). Quand on sait qu’aux Finances, il était censé lutter contre la fraude fiscale, on imagine plus d’efficacité à recruter au Luxembourg.

Le « Baron » Matray

Nous avions déjà montré comment les titres nobiliaires permettent de se protéger entre amis(8). Ainsi, « sur la proposition du Vice-Premier Ministre et ministre des Affaires étrangères Didier Reynders, le Roi a accordé les faveurs nobiliaires suivantes par arrêtés royaux du 13 juillet 2012 », à Didier Matray, en même temps que Jef Colruyt, issu de l’une des familles les plus riches de Belgique (4.213.066.000 €(9)) ou encore Olivier de Schutter(10)… Le nouveau baron Matray grimpera relativement vite les échelons, puisqu’il deviendra dès septembre 2017 « Président de la Commission d’avis sur les concessions de faveurs nobiliaires et sur l’octroi de distinctions honorifiques de grade élevé », officine chargée avec le Conseil de noblesse, de « donner des avis au ministre des Affaires étrangères appelé à faire rapport au Roi ».

Si vous suivez attentivement les publications de Kairos, vous vous rappellerez que le contact le plus prestigieux de Didier Matray, à savoir Didier Reynders, a remercié comme il se doit ses amis, notamment Olivier Theunissen, antiquaire et expert en œuvres d’art, qu’il fera Chevalier de l’Ordre de la Couronne, et Ernest de Laminne de Bex, président du Cercle international diplomatique consulaire (CIDIC), pour lequel il proposera au Roi de donner le titre de baron, le même jour où Georges Forrest obtiendra celui de Grand Officier de l’Ordre de la Couronne(11). Se faire anoblir, c’est intégrer une grande famille et, à l’instar des clans mafieux, respecter la loi du silence. Il nous revient en effet que certains témoins disposés à déposer plainte devant la police fédérale sur des éléments liés à la corruption relative à des marchés publics, que gérait Monsieur Fontinoy et donc indirectement Didier Reynders, refusent de se montrer à visage découvert, notamment du fait de leur anoblissement.

L’analyse des mandats de Matray sur Cumuleo nous révèle un autre élément, extraordinaire : Didier Matray est Président du conseil scientifique et Vice-président du conseil d’administration du Centre pour l’Étude et la Pratique de l’arbitrage national et international (CEPANI). Or, il côtoie, dans ce conseil d’administration, l’avocat de deux membres du trio kazakh, Jean-François Tossens, qui représente les intérêts de Patokh Chodiev et Alexandre Machkevitch. Il doit s’agir sans doute du hasard. Didier Reynders intervient par ailleurs au CEPANI, par exemple lors de son assemblée générale le 6 juin 2019 où il fit un exposé sur « Arbitrage et médiation : changement de perspectives ». À l’Association des Liégeois Travaillant à Bruxelles (ALTB), Didier Reynders donne des conférences, et retrouve également son compagnon Didier Matray, qui en est un des fondateurs. Mêmes personnages, mêmes perspectives.

Nous poursuivons notre enquête et arrivons sur ICC Belgique pour découvrir que le baron Matray est administrateur de l’ASBL, au même titre que Jean-François Tossens. Enfin, persévérant, nous découvrons une troisième ASBL du nom de Francarbi, pour y retrouver les deux compères. Francarbi, c’est une « association nationale d’arbitrage » qui, le 2 décembre 2016, invita pour un colloque intitulé « Regards croisés sur le principe du contradictoire », Didier Reynders.

Jean-François Tossens au coeur du Kazakhgate

Qui est Jean-François Tossens, quel a été son rôle ? Ce dernier est en tous cas au cœur du Kazakhgate. Nous l’écrivions en avril 2018 : « L’homme collectionneur de scandales, Nicolas Sarkozy, mis en garde à vue le 20 mars 2018 pour le financement occulte de sa campagne présidentielle de 2007, fait jouer ses relations pour accélérer le processus législatif belge et permettre au trio kazakh de bénéficier d’une « transaction pénale élargie ». La pression se propage et s’exerce sur des relais, mettant en branle les procédures de facilitation dans l’objectif de faire avancer le processus et d’aboutir à la relaxe : Damien Loras, conseiller Asie centrale de Sarkozy, connu comme « l’officier traitant » de Patokh Chodiev(12), contacte Jean-François Étienne des Rosaies pour qu’il lui trouve un avocat d’affaires international. Le choix se portera sur Catherine Degoul. Loras et des Rosaies montent donc une équipe technique (judiciaire et financière) et politique, entre la France et la Belgique. Outre Damien Loras, pilote du dossier, des Rosaies, intermédiaire, Catherine Degoul, avocate chapeautant le volet judiciaire, s’ajoute le vice-président du Sénat belge de l’époque, Armand de Decker, ainsi que le cabinet d’avocats Toosens (13)». Maître Degoul avait témoigné à l’époque que Jean-François Étienne des Rosaies « avait dit que pour les cabinets Tossens et Stibbe (NDLR du Soir : les deux cabinets bruxellois qui ont défendu Chodiev), il faudrait au moins 2 millions chacun de frais et pareil ensuite pour De Decker »(14).

Jean-François Tossens a rencontré plusieurs fois Catherine Degoul, l’avocate du trio kazakh, et a participé à l’application de la loi sur la transaction pénale au bénéfice du trio kazakh. C’est Patrick De Wolf qui comme avocat général « proposera » au trio kazakh et aux quatre autres coïnculpés, « l’extinction de toute action publique en Belgique – quinze années d’instruction judiciaire gommées d’un trait – en échange du paiement d’une amende (3.492.500 millions d’euros, presque le maximum légal), le remboursement des frais de justice (251.756,72 euros) et l’abandon par équivalent de la valeur de cinq immeubles achetés avec des fonds d’origine probablement délictueuse (18,45 millions d’euros)(15) ». Pour les pauvres, la prison. Pour les riches, l’amende, payée avec l’argent qu’ils ont volé aux pauvres. Le temps passe, les règles iniques demeurent.

Patrick De Wolf appliquera cette loi de transaction pénale malgré les instructions du procureur général : « Il est actuellement contre-indiqué de proposer des transactions pénales jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi réparatrice. Si, toutefois, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, vous estimez devoir proposer une telle transaction, il y aurait lieu de m’adresser un rapport circonstancié justifiant ces circonstances particulières et de solliciter, au préalable, mon accord. »On voit donc que c’est très clair. On ne veut pas que vous le fassiez. On ne peut pas vous l’interdire parce que la loi est en vigueur, mais si vous le faites, je dois être d’accord et surtout, il faut un rapport écrit et motivé pour savoir pourquoi vous êtes aussi pressés de signer ce genre de transaction »(16) ». Jean-François Tossens serait également un de ceux qui a participé à l’écriture du réquisitoire. Catherine Degoul, auditionnée par un policier et une magistrate belge à Paris, en présence des juges d’instruction français, « explique, lors de cette audition, que c’est l’équipe des avocats de M. Chodiev dont elle assure la direction, avec ses confrères Mes Libotte et Tossens qui ont en fait rédigé un projet de réquisitoire pour M. De Wolf(17)». Le cabinet Tossens aurait touché une somme à 7 chiffres.

Mais il y a plus grave. La juge d’instruction française Aude Buresi, a mis Patokh Chodiev en examen pour « blanchiment de fraude fiscale, dans une affaire d’enveloppes de 800.000 € et 5 millions d’euros remises respectivement à Paris et à l’hôtel Hyatt de Zurich à l’avocate française Catherine Degoul et son porteur de valise Eric Lambert ». Une partie de cet argent aurait été versé à des bureaux d’avocat bruxellois, dont celui de Jean-François Tossens. Notons qu’il est assez « amusant » que Patokh Chodiev soit mis en examen pour les mêmes faits en France alors que la justice a clôturé son enquête en Belgique. Difficile de penser que ce ne sont pas les relais complices au niveau politique, judiciaire, et de la Sûreté qui ont permis cela en Belgique.

Il serait très intéressant d’entendre Jean-François Tossens, proche de Catherine Degoul et avocat de deux membres du trio kazakh, et Didier Matray, avocat de Didier Reynders, sur tout cela. N’auraient-ils pas vu passer des enveloppes ? Il va sans dire que la proximité des deux avocats dans trois ASBL, leur permet d’avoir un canal de discussion extrêmement discret et échappant à d’éventuelles écoutes.

Dernier point sur Didier Matray : il est administrateur et président du conseil d’administration de la chambre de commerce belgo-luxembourgeoise-allemande, au sein de laquelle il œuvre au rapprochement entre ces trois pays. Inutile de dire que cette situation a dû être profitable à la candidature de Didier Reynders comme commissaire européen, dont Ursula von der Leyen, Allemande, deviendra la présidente en novembre 2019…

La promiscuité entre ces deux avocats, les liens avec différentes institutions et ASBL, et le rattachement systématique à Didier Reynders, constitue une petite bombe pour cette mafia hyper-protégée. À nous de la faire exploser, ainsi que cet irréductible et structurel appât du gain qui ruine l’avenir de l’humanité. Sans cela, notamment, n’espérez aucun changement véritable.