Pour une fois que l’industrie française de l’acronyme sort un bon produit, on ne va pas se plaindre !
Le ZAN attise la curiosité sur un concept nouveau, le Zéro artificialisation nette, lequel attire le regard sur un écosystème longtemps méprisé, en train de devenir un acteur politique important, le sol. Au point que l’Institut Paris Region a décidé de consacrer six débats sur le sujet, chaque mois de l’année 2020 jusqu’en juin. Le premier a eu lieu le 30 janvier dans les locaux de L’Institut à Paris. Concrètement à quoi ressemblerait la déjà si dense Région Île-de-France avec cet objectif plus qu’ambitieux de ne plus étanchéifier le moindre mètre carré ? Premier numéro d’une série de six textes sur un sujet qui pourrait modifier en profondeur notre aménagement du territoire, l’aspect de nos territoires vécus.
Le ZAN, carrefour de nos ambiguïtés juridiques, environnementales et sociales
Il s’agissait de bien définir. Qu’est-ce que l’artificialisation ? Le net ? Quel est le brut ? En fait, et c’est une curiosité, on ne sait pas… Le mot est beau, autant qu’il est difficile à prononcer, il parle, on s’en fait des images tristes de zones sans arbres, mais il est scientifiquement très mal assis. Julien Fosse, adjoint à la directrice du département développement durable et numérique de France Stratégie, organe de conseil et d’analyse pour le Premier ministre, a travaillé sur la question. Dans son rapport « Objectif « Zéro artificialisation nette » : quels leviers pour protéger les sols ? », il montre bien que la notion est… nouvelle dans le débat public, et c’est un euphémisme. « Un sol artificialisé, c’est un espace qui n’est ni naturel, ni agricole, ni forestier, c’est une définition imparfaite. » En effet. Avec pareille définition, un parc urbain ou un parking d’hypermarché, c’est pareil. De même, un champ interminable fraîchement labouré laissé nu face aux éléments, une tourbière ou encore un causse, c’est la même chose vis-à-vis de la réglementation. On est ENAF (espace naturel, agricole ou forestier) ou on ne l’est pas.
On ne sait pas compter les hectares
« L’autre problème, c’est le comptage », ajoute M. Fosse. « On a trois méthodes, qui délivrent des surfaces d’artificialisation très différentes. Selon l’une ou l’autre, on en est, en France, entre 16 000 et 61 000 hectares artificialisés par an. » L’auteur de ces lignes, qui a publié deux livres sur le sujet des sols, doit avouer qu’il s’est trompé, prenant le niveau le plus bas, 16000 ha.
Le satellite (méthode Corine Land Cover), l’enquête de terrain par échantillonnage (Teruti-Lucas) et l’analyse des plans de cadastre sont les trois méthodes disponibles (En Île-de-France, un outil spécifique, le Mode d’occupation des sols (MOS) a été développé dès 1982 par L’Institut Paris Region. Il est mis à jour tous les 4 ou 5 ans. Il permet de distinguer des unités minimales de 625 m2). Leurs résolutions, 25 ha pour le satellite, des carrés de 48 à 178 ha pour la seconde, sont très grossières. Une route ne se voit pas, même une quatre voies. La méthode cadastrale semble être celle pour laquelle le bruit de fond statistique est le plus faible. Avec ces deux bémols, rappelés par M. Fosse : « Il reste en France 4 % de surfaces qui ne sont pas cadastrées, et la classification est binaire, c’est bâti ou non bâti. » Allons-y tout de même pour la méthode cadastrale, qui nous dit que 21 000 ha ont été artificialisés chaque année entre 2006 et 2016. « Même si ça reste imprécis, la tendance est robuste : la France continue de s’artificialiser, et, avec un taux compris, selon les méthodes, entre 5 et 9 %, elle est au-dessus de la moyenne européenne qui est de 4 % » 47 km2 pour 100 000 habitants, contre 30 km2 pour l’Angleterre et 41 km2 pour l’Allemagne, c’est un record. « L’autre tendance évidente », ajoute Julien Fosse, « c’est que l’artificialisation est décorrélée de la démographie : depuis 1981, elle a augmenté de 70 %, alors que la population n’augmentait que de 19 % ». Même la baisse constatée depuis 2006 suit le même schéma : l’artificialisation a crû de 7 % quand la démographie ne croissait que de 5 %, environ. Conclusion ? « L’essentiel de cette artificialisation vient du logement, à 42 %, et à 28 % des infrastructures de transport. »
Si l’on regarde précisément les données, un logement individuel neuf avec terrain occupe en moyenne 1 142 m2. On construit surtout dans les métropoles et sur les littoraux, mais la pression sur les zones « naturelles, forestières ou agricoles » est plus forte en zones rurales qu’en zones denses, parce que la pression foncière y est moins forte : quand on a l’espace et des coûts faibles… Ce qui explique que ce n’est pas en Ile-de-France que la situation est la pire. « Un pour cent environ de la région a été artificialisé entre 2006 et 2016, soit 12 191 ha », contre cinq fois plus à l’échelle nationale. « Et la consommation d’ENAF y est moindre que dans d’autres régions. »
Construire tout en « renaturant »
Pour freiner l’artificialisation, l’État a dégainé le concept du ZAN en 2018. Nicolas Cornet, écologue, et Thomas Cormier, urbaniste, tous deux de l’Institut Paris Region, en retracent l’histoire : « Les choses ont commencé à changer avec la loi SRU de 2000, puis ça a été dix ans plus tard la loi Grenelle 2, ensuite la loi Alur et la Loi d’orientation agricole de 2014, la loi biodiversité de 2017 et enfin le Plan Biodiversité du 4 juillet 2018 qui a fixé le principe du ZAN [Ajoutons également, la feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources, parue en 2011 ; ainsi que la Stratégie régionale pour la biodiversité 2020-2030, adoptée en novembre 2019] » Fixé, mais pas non encore traduit dans la loi, précisent les deux spécialistes. Les régions intègrent progressivement le ZAN dans leurs objectifs, écrits dans leurs schémas de planification, les Sraddet. Objectifs cela dit le plus souvent non chiffrés, donc peu engageants, sauf dans le schéma de l’ex-région Paca, nouvelle région Sud.
Qu’en est-il en Ile-de-France ? « Pour faire du ZAN, il faut à la fois artificialiser moins et renaturer. On a fait le calcul pour la région : il y a 840 ha environ d’ENAF urbanisés chaque année, et 250 ha de renaturation. Au bilan, on en est à 590 ha de consommation nette. [Ces chiffres sont issus du mode d’occupation du sol (MOS), outil développé par l’Institut Paris Region, spécifique à l’Ile-de-France, qui permet une observation particulièrement fine des évolutions de l’occupation du sol]. » La région est particulière car de longue date il existe une planification régionale qui réglemente la consommation et la préservation d’espace. MMs Cornet et Cormier projettent des cartes. Frappantes. L’artificialisation se fait avant tout en grande couronne, grossièrement le long des routes principales et au sein de la ceinture verte. « 42 % de cette artificialisation, ce sont les carrières, les chantiers et les décharges, 23 % les parcs et jardins, 14 % les sites d’activités, de logistique et d’entreposage, 10 % l’habitat individuel, 4 % les transports et les parkings, 3 % l’habitat collectif et 3 % également les équipements comme les écoles. » Quant à la renaturation, elle est pour l’essentiel localisée de façon frappante dans les vallées de la Marne, de la Seine et de l’Oise : les remises en état de berges sont en soi des occasions de renaturer sans en avoir l’air ni trop d’effort.
R + D = ZAN
Julien Fosse n’aime pas ce terme de renaturation, auquel il préfère le vocable plus techno et néanmoins factuellement plus juste de « tentative de réparation imparfaite. » Il a réfléchi aux leviers sur lesquels l’on pourrait agir afin d’atteindre le ZAN : « La densification est essentielle, cela passe par une augmentation du taux de renouvellement urbain [R] et celle de la densité urbaine [D], et puis, de façon moindre, par la diminution du nombre de logements vacants. » Concrètement, en faisant passer R de ce qu’il est actuellement, 0,43 (43 % des constructions nouvelles se font sur des sols déjà artificialisés) à 0,6, et D de 0,16 (sur une parcelle de 1 000 m2, on a 160 m2 de bâti) à 0,4 (autrement dit, on ajoute un étage de plancher), on peut parvenir à diviser par quatre l’artificialisation brute. « Et atteindre le ZAN d’ici 2030 en compensant systématiquement toutes les surfaces artificialisées. » Selon les scénarios de M. Fosse, faire passer le taux de vacance de 8 % à 6 % ne changerait pas grand-chose, pas plus que de créer les conditions d’un triplement du prix de l’hectare agricole – un quintuplement aurait des effets plus tangibles, mais à quel coût social ? Reste à savoir où porter l’effort dans une région, l’Ile-de-France, qui affiche toute la gamme de densité, depuis l’habitat individuel jusqu’à l’immeuble haussmannien, nec plus ultra de la densification socialement acceptée : son D est compris entre 4 et 4,5 !
L’acceptabilité sociale de la densité
Pour répondre à la question, il faut se tourner vers Philippe Louchart, expert démographe à L’Institut. Il a ses idées quant aux visages qu’aurait une région Ile-de-France « ZANée ». Il s’appuie pour les montrer sur des cartes particulièrement éclairantes. Elles nous montrent tout d’abord qu’entre 1982 et 2016, l’activité francilienne s’est accrue de 3,07 millions (d’habitants et d’emplois) qui ont été accueillis pour 40 % en densification et pour 60 % en extension urbaine. Où se sont-ils installés ? En gros, pour 9 % à Paris et quelques communes limitrophes, 31 % dans la dense petite couronne, 33 % en grande couronne peu dense dans des communes qui se sont étendues, et enfin à 28 % aux confins ruraux de la région qui ont connu l’extension urbaine la plus importante. « Depuis 2008, les choses ont changé : les près de 600 000 habitants et emplois créés ont été accueillis à 77 % en densification et 23 % en extension urbaine. » Il y a donc déjà une nette tendance à la densification. Comment l’accroître encore un peu plus ? M. Louchart partage en partie les idées de M. Fosse : faire passer le taux de renouvellement urbain de 0,43 à 0,5, voire 0,6 d’ici 2030, sera sans doute plus efficace qu’augmenter la densité, qui est déjà élevée dans la région. Baisser la vacance et augmenter le prix des terres libres sont selon le spécialiste peu efficaces. « Il ne faut pas oublier non plus qu’il y a une corrélation forte entre la densité humaine et l’accessibilité en temps de transport : plus la commune est dense, moins on met de temps pour en gagner le centre en transports en commun. »
Voilà bien un paramètre social qu’il s’agit de ne pas oublier quand on parle du ZAN, un concept qui pourrait relever sinon du jeu de rôles entre urbanistes. « On regarde à L’Institut comment faire pour atteindre le ZAN en 2050, tout en respectant le programme de 70 000 logements supplémentaires voulu par la région d’ici 2030. Le facteur limitant c’est en fait ce que les gens sont prêts à supporter : quelle densité réelle serait mal vécue ? » Il faut aller chercher la réponse certes dans la psychologie, mais aussi dans les infrastructures de transport et la disponibilité de commerces, de loisirs etc. : il faut qu’il y ait une compensation sociale à la densité, on l’accepte mieux si au pied de l’immeuble on peut tout faire à pied.
Les ménages, l’autre densification
« La question impose aussi de réfléchir aux facteurs démographiques. À Paris par exemple, il y a un marché local, un marché national et un marché international pour le logement », reprend M. Louchart, autrement dit il y a concurrence entre les aspirants à habiter la capitale, les heureux propriétaires qui louent sur Airbn’b (avec les appartements en résidence secondaire, cela représente près de 10 % des logements parisiens mais… entre 20 % et 25 % dans les huit arrondissements centraux) et les étrangers qui veulent un pied-à-terre dans la capitale. « Cela nuit à la densification, car les aspirants à la résidence principale sont obligés de partir, pour des questions de coût et de disponibilité de logements. Cela crée des besoins de logements ailleurs, avec le risque d’encourager l’étalement urbain. »
Le dernier facteur à prendre en compte est la taille et le nombre des ménages. Ce dernier augmente avec la démultiplication des séparations et divorces, tandis que la taille diminue en parallèle… mais peut croître sur une même surface. Explication : quand le marché de l’immobilier est tendu, autrement dit, lorsque le logement est de plus en plus cher, les familles, séparées, recomposées ou constantes, vivent dans des appartements plus petits. La densité humaine augmente. « C’est ce qu’on observe dans le Grand Londres, dans les logements créés pour les Jeux Olympiques. Enfin, il y a un facteur qui est difficile à modéliser, c’est la baisse de la fécondité, de même que le vieillissement de la population. Or, il n’est pas intégré dans les simulations. » En regardant les tendances passées, on voit tout de même que les Franciliens font nettement plus d’enfants qu’ils ne meurent (110 000 naissances de plus que de décès chaque année depuis 2006), mais qu’ils sont plus nombreux à quitter la région qu’il n’arrive de nouveaux habitants. La région perd entre 60 000 et 90 000 habitants chaque année depuis 2008, qui sont en partie compensés par des étrangers (10 000 à 30 000 de plus chaque année depuis 2008). Au final, la population continue d’augmenter parce qu’elle a une belle vitalité et que les Françaises et Français des autres régions aiment Paris, au moins pour trouver un premier boulot ou faire leurs études : elle a accueilli 1,5 million d’habitants supplémentaires depuis 1990 ! La crèche, l’école maternelle, l’université, la multinationale et le tourisme. Ce n’est pas parce que cela a été efficace durant des années que ça le sera encore demain.
Les ambiguïtés des PLU
Durant cette table ronde sur les tenants et aboutissants du ZAN, tout le monde était d’accord sur un point : on n’a pas de besoin de lois spécifiques pour l’atteindre, car on a déjà tout ce qu’il faut. Amélie Blandin est avocate spécialisée. Elle dresse un tableau de la boîte à outils existante, « complexe, pour les maires des petites communes qui ont besoin de conseil », ceux, par exemple, du cabinet Bellenger-Blandin. Le droit de l’urbanisme est aussi simple que le code du travail. « La loi Elan par exemple, elle introduit l’objectif de lutte contre l’étalement urbain dans les objectifs généraux dévolus aux collectivités publiques. Pour cela, elle ouvre la possibilité de définir des actions en matière de densification via les OAP (orientations d’aménagement et de programmation) des PLU. Mais voilà, les possibilités sont nombreuses, mais complexes, souvent peu utilisées par les collectivités. » Par ailleurs, la loi Elan a introduit un coin dans la loi littoral en incitant à combler les dents creuses : certes, cela participe de la limitation de l’étalement urbain, mais cela encourage tout de même l’artificialisation. « En fait, c’est tout le code de l’urbanisme qui est ambigu », abonde Maylis Desrousseaux, docteur en droit de l’environnement et maître de conférences au CNAM. « Les documents d’urbanisme et de planification incitent de fait à la construction, et puis les possibilités d’actions en justice contre les projets d’aménagement sont rognées sous prétexte de lutter contre les recours abusifs, » poursuit-elle.
Madame Blandin nous rassure cependant, le PLU reste un outil puissant pour dire l’usage les sols. « Il définit le zonage, il dit ce qu’on peut faire sur les parcelles, il peut imposer des choses en termes d’imperméabilisation, de renaturation etc. Mais tout cela est à discrétion des élus. Quant au Sraddet, qui s’impose au Scot et, en son absence au PLU, il reste vague. » Autant celui de la Région Sud a fixé un objectif chiffré de réduction de moitié de la consommation d’ENAF à l’horizon 2030 (et 75 % d’ici 2050) autant celui de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, enthousiasmant sur le papier, risque d’être retoqué par le Préfet, car il ne comporte aucun objectif chiffré. Il n’est pas le seul.
Terres agricoles, l’arme de la jurisprudence
Un autre outil est celui de la protection des espaces agricoles. La loi d’orientation agricole du 9 juillet 1999 a créé des zones agricoles protégées, la loi du 23 février 2005 a mis en place les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN) – ces outils sont très peu mis en œuvre en Ile-de-France. « Ça se chevauche un peu, mais c’est efficace comme le zonage dans le PLU, d’autant que c’est très jurisprudentiel, » explique Me Blandin. La justice administrative a fait avancer le droit en la matière. Il apparaît ainsi que le juge peut valider le classement d’une parcelle en zone agricole même quand celle-ci… est dépourvue d’intérêt agricole, en prenant en compte son contexte géographique ainsi que les choix d’urbanisme et les objectifs de protection des ENAF écrits dans le PLU : « Une zone agricole peut par exemple englober des parcelles en bordure d’une voie publique, desservies par des équipements publics et voisines de terrains bâtis dès lors qu’elle participe de la préservation des qualités territoriales identitaires de la commune. De même un classement en zone agricole est légal, même si les terrains ne font pas l’objet d’une exploitation agricole, dès lors qu’ils sont situés dans un secteur à dominante rurale. » On peut ajouter que le juge administratif admet le classement en zone A (agricole) de terrains manifestement impropres à l’agriculture dès lors qu’ils se tiennent dans le prolongement d’une zone agricole et s’ouvrent sur une vaste zone naturelle. L’interprétation du code de l’urbanisme est une arme puissante, encore faut-il la saisir.
Le sol, ce clandestin juridique
Tout est dans la loi, il n’y a qu’à se servir. Pourtant, prévient Maylis Desrousseaux, il lui manque l’essentiel. La juriste rappelle que depuis la loi de 2016 sur la reconquête de la biodiversité, les sols sont considérés comme le patrimoine commun de la nation. Enfin, presque, car il y est dit ceci : « Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage (…) Les processus biologiques, les sols et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine. » Concourir, c’est contribuer à, ce n’est pas la même chose que faire partie de. En tant que tels les sols ne sont donc pas un patrimoine, ils n’existent qu’en tant que partie d’un tout, d’un paysage par exemple.
« En réalité, le sol n’existe pas vraiment en termes juridiques. Le code de l’environnement ne le reconnaît pas au titre des milieux physiques comme il le fait de l’eau ou de l’air. Il est pourtant fondateur du droit de propriété et du principe de souveraineté des états, mais il n’existe pas vraiment. » Un étrange paradoxe. Qui arrange sans doute bâtisseurs et aménageurs. Le sol est présent dans le droit civil (le droit de propriété), le droit rural (en tant que support de culture), le droit de l’urbanisme (la valeur foncière), le droit de la santé (protection des aires de captage), mais il n’existe pas en tant qu’entité physique et écologique. Il faut qu’il y ait une valeur d’usage ! Maylis Desrousseaux regrette le rejet du projet de directive européenne des sols qui aurait tout changé. « Elle définissait un cadre pour la protection des sols et la préservation de leur capacité à remplir des fonctions écologiques, économiques, sociales et culturelles qui étaient listées… » En définitive, le sol n’est pas un « commun » comme l’eau et l’air, il est donc un bien immeuble appropriable. « L’eau est gouvernée selon une vision commune, par bassin-versant, qui se substitue aux limites administratives. Il y a des SAGE, des SDAGE [deux schémas administratifs de gestion de l’eau], des commissions locales des eaux, des comités de bassin. Il y a aussi une police de l’eau. Pourquoi n’y aurait-il pas une police des sols ? Il existe déjà 70 polices administratives en droit de l’environnement ! »
Le ZAN, un bien commun ?
Forcément, sans considération juridique précise du sol, la notion d’artificialisation est en droit très floue. « C’est en fait la lutte contre l’étalement urbain qui guide les documents d’urbanisme et de planification, Sraddet, Scot et PLU. Du coup ils promeuvent la libération du foncier pour densifier, au détriment des terres agricoles. » Que faire ? Maylis Desrousseaux a des idées : renforcer les procédures consultatives comme celles des CDPENAF (commissions de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers) et prendre en compte la qualité des sols dans les documents d’urbanisme et de planification. « Il faudrait aussi exiger que les mécanismes d’études d’impact s’appliquent à tout, y compris aux parkings de moins de 50 places ou aux villages de vacances de moins d’1 ha, qui en sont exclus ! » Ceci fait, demander que tout aménagement soit réversible, de façon qu’en cas de faillite ou de cessation d’activités, la friche puisse être facilement réinvestie ou retourner à l’état de nature. Par ailleurs, en Slovaquie, en Allemagne, en Suisse, en République Tchèque, il existe des systèmes de compensation et de taxes qui rendent coûteux l’artificialisation.
Tout de même, les choses avancent, en France. Dans notre inconscient collectif, le seul fait de parler des ZAN n’est pas rien. Que le préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes ait pu parler des sols, en juin 2019 lors d’un colloque à Lyon, comme d’un « bien commun de la nation » n’est pas anodin. C’est même en soi extraordinaire dans un pays qui considère le droit de propriété en tant que « droit naturel et imprescriptible » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) « inviolable et sacré dont nul ne peut être privé [si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité] » (Constitution). Une seconde révolution, qui remettrait en cause le premier acquis de la Révolution, serait-elle en cours ? Sans doute, car la proposition de loi du député Lagleize portant sur la réduction du coût du foncier a été adoptée au Parlement en novembre 2019. Elle est toujours dans la navette parlementaire. Elle propose d’élargir à l’ensemble du marché immobilier la séparation du foncier du bâti. Voilà un fantasme de juriste, un tabou, enfin réalisé, au moins dans la sémantique. Le ZAN semble bien parti.