Nouveau commentaires après la lecture des 25 ordonnances
Le pouvoir a pondu un « état d’urgence sanitaire » n’incorporant que très peu de mesures destinées à lutter contre la pandémie, il continue avec un projet « d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées » qui vise surtout à libéraliser la collecte et le traitement de données médicales au mépris d’anciens principes comme le secret médical, « la confidentialité des données recueillies à l’égard des tiers ». Et pas seulement dans une situation d’urgence.
Comme le note ces jours-ci Edward Snoden (qui a révélé la surveillance mise en place par les États-Unis après le 11-Septembre), « Qu’est-ce qui protège le mieux la santé publique ? Est-ce que c’est la communauté, les médecins, les spécialistes, notre force collective », ou la surveillance ? « Quand on perd un droit qui a pris si longtemps à être obtenu, dans un moment de panique, là est la connexion avec le 11-Septembre. » « Dans une société libre, le virus est nocif, mais la destruction des droits est fatale »
Sur le texte en préparation, le commentaire de Médiapart sur les réserves – modestes – de la CNIL
https://www.mediapart.fr/journal/france/250320/surveillance-
et les remarques plus percutantes de Félix Tréguer pour La Quadrature du Net.
Notamment, il précise que la loi « renseignement » de 2015 permet déjà la géolocalisation. On peut donc se demander quelle est l’utilité d’un nouveau texte, sauf à rajouter un emploi encore plus inquisiteur.
« Je pense par exemple que l’on a surestimé le dispositif de surveillance numérique chinois et son efficacité dans le ralentissement de l’épidémie. Certains chercheurs soulignent que ce n’est pas tant celui-ci que des mesures contraignantes physiques, comme le confinement forcé et l’installation de check-points dans les villes, qui ont eu un effet concret. Cette période est l’occasion d’une grande campagne de marketing pour l’appareil techno-sécuritaire qui en profite pour faire des démonstrations de ses produits. Je pense notamment à l’usage de drones mis en scène par la préfecture de police à Paris ou à certaines start-up qui promettent de détecter les gens malades. »
« On peut se demander si ce solutionnisme technologique n’est pas un palliatif visant à masquer les vrais problèmes, à savoir le manque de moyens et de personnel et d’une manière générale la casse de l’hôpital public. »
Il s’inquiète également des conséquences à long terme qu’aurait la mise en place de dispositifs de surveillance. « Nous sommes dans un processus de sécurisation de cette crise qui a débuté par l’anaphase du président de la République lors de son intervention télévisée, “nous sommes en guerre”, et qui se poursuivait encore aujourd’hui avec le ministre de l’agriculture qui a appelé les Français à “rejoindre la grande armée de l’agriculture française”. On peut donc s’attendre à d’autres mesures d’exception. Le problème est que l’expérience montre que ce genre de période, ça laisse des traces dans les esprits et dans le droit. Il y a un risque de banalisation de certaines techniques de surveillance qui font aujourd’hui encore débat et de pérennisation de certaines mesures.«
Ce texte, qui parle si peu de santé publique (il aurait pu prévoir des réquisitions de cliniques privées, d’usines pour produire des médicaments, masques, tests de dépistage…) renforce pour deux mois (au lieu d’un annoncé au départ) quantité de mesures dérogatoires au droit commun.
– restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, ordonner la fermeture des lieux de réunion, limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature
– amende de 135 €, si 1e récidive, de 1 500 à 3 000 €, si plus de trois six mois d’emprisonnement, 3 750 € et TIG, ces sanctions pouvant être constatées aussi par des agents des polices municipales, agents de surveillance et gardes champêtres
– pour le droit du travail, facilitation du travail partiel ; l’employeur peut imposer ou modifier sans délai de prévenance les dates de congés payés (jusqu’à six jours ouvrables), les dates des jours de réduction du temps de travail ou de repos (forfait ou compte épargne-temps) ; pour les entreprises « nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale » : modifier sans respecter les règles la durée du travail, le repos hebdomadaire ou dominical…
Mais s’y ajoutent aussi d’autres mesures totalement incongrues, pour favoriser tel ou tel secteur économique pas franchement « nécessaire à la sécurité de la nation » et encore moins à notre santé !
Ainsi des télécoms : selon Les Echos du 23/3 « La déclaration préalable avant implantation d’une nouvelle antenne n’est temporairement plus obligatoire, les délais consultatifs non plus. Orange, Free, SFR et Bouygues pourront également accéder facilement aux parties communes des immeubles et aux toits-terrasses sans les délais administratifs habituels, liés notamment au Code de l’urbanisme, a expliqué pour sa part le député Eric Bothorel. »
Quelques explications
– Éric Bothorel, député LREM, était le rapporteur de la proposition de loi sur la 5G adoptée en juillet (https://ericbothorel.fr/la-5g-arrive-en-france/)
– la pose des antennes est ainsi grandement facilitée, sans aucun contrôle ni des mairies ni de l’administration
– or la 5G c’est pour bientôt : le décret devrait passer en urgence en juillet…
… Nous jouons notre vie pendant qu’eux gèrent l’économie !
Denis
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Il y a bien de quoi s’indigner et je partage ta frustration par rapport à cette situation qui contraint à l’inaction alors que le bilan économique et humain va être très lourd. Je pense notamment aux petits commerçants probablement définitivement mangés par la grande distribution, aux petits paysans à qui on interdit de pouvoir écouler dignement leur marchandise sur les marchés, aux sans-abris et marginaux, et à ceux qui n’ont trouvé comme moyen de subsistance que l’illégalité. Je ne pense pas non plus que le changement viendra de nos dirigeants (ça serait bien utopique surtout avec la clique macroniste néo-libérale), mais plutôt à la masse à laquelle nous appartenons et qui, contrairement à la crise de 2008, est dans sa globalité touchée par cette situation merdique. Mon espoir c’est que passé le « connard virus » (qui n’est finalement qu’un prolongement de nous-mêmes), les préoccupations écologiques s’élargissent à une critique plus large de la société de consommation et du système capitaliste, oppresseur à bien des niveaux. Comme je l’ai évoqué avec Gilles lors de notre dernière discussion, je peux voir avec mes élèves et étudiants(es) que la dégradation de la planète est un sujet qui les préoccupe beaucoup, sans que ce soit moi qui ait eu à mettre le doigt dessus car je suis très loin d’être un Vert politisé. J’espère que cette génération, à force de baigner dans les contradictions du système actuel dont elle hérite, fera une sorte d’overdose de communication gouvernementale et entrepreneuriale pour rejeter en masse nos dirigeants malhonnêtes et inconscients, ainsi que leurs alliés les médias. Au-delà de la jeunesse, toutes les catégories de population ne pourront pas oublier ce choc que nous vivons. Reste à en souligner les causes, ce qui ne sera pas une mince affaire, mais sait-on jamais, la voix du pouvoir étant aujourd’hui tellement détestée que celle d’un changement pourrait trouver un écho amplifié.
Alex