Demain sera-t-il différent… ?
La période que nous sommes en train de vivre ne ressemble en aucun cas à la société de décroissance que nous prônons a affirmé Vincent Liegey du Projet Décroissance. De fait, ce que souhaitent les décroissants est un changement de société volontaire, organisé, au profit de tous et en particulier des plus faibles. Or, ce que nous commençons à éprouver est une récession subie, une débâcle aux terribles conséquences sociales et démocratiques.
Sans sursaut collectif, il est à craindre que ceux qui ont construit une mondialisation destructrice et très vulnérable voudrons reprendre leur business as usual pourtant suicidaire pour l’humanité. Déjà, le G7prévient que « l’économie » est plus importante que le bien-être social : « Nous nous emploierons à résoudre les risques sanitaires et économiques causés par la pandémie au COVID-19 et à préparer le terrain pour une forte reprise d’une croissance économique et d’une prospérité fortes et durables »
Les objecteurs de croissance se demandaient d’où viendrait l’étincelle qui mettrait le feu aux plaines desséchées que sont devenues nos sociétés utilitaristes. On sait maintenant qu’elle a surgi sur un marché aux animaux sauvages de la ville chinoise de Wuhan sous forme d’une grave pandémie. C’était une des possibilités que nous envisagions dans l’article « Les pandémies ne sont jamais loin » paru dans Kairos, le magazine « antiproductiviste pour une société décente ».
L’actuelle crise sanitaire, hélas si dévastatrice, est aussi l’opportunité de faire comprendre que si nous ne voulons pas nous retrouver face à d’autres crises encore bien plus graves, il faudra changer radicalement notre modèle de société. Des mesurettes cosmétiques ne seront pas suffisantes : ce qui est nécessaire est de bannir l’homo œconomicus, égoïste maximisateur de ses profits matériels, et souhaiter la bienvenue à l’homo postcoronavirus, être sensible, conscient de son interdépendance aux autres humains et au monde naturel dont il n’est qu’un rameau parmi d’autres. Cet enfantement ne sera pas sans douleur. Un tel bouleversement devra affronter le conservatisme des privilégiés, l’angoisse des peureux, l’incompréhension des mal-informés.
Certes, l’arrêt momentané de bon nombre des activités productivistes les plus nocives a des conséquences étonnement positives. Un centre de recherche norvégien a calculé que le confinement en Chine et la baisse des concentrations en particules fines qui en est la conséquence, allait sauver plus de vies (2.500 à 3.000 pour la seule province du Hubei) que le virus a fait de victimes. Des chercheurs états-uniens ont indiqué, eux, que 52.000 personnes ne mourraient pas suite à la diminution de la pollution de l’air[1] alors que le virus a, à ce jour, tué 3.304 personnes en Chine (chiffre officiel apparemment sous-estimé). Ces chiffres montrent bien que la logique productiviste est une encore plus grave menace sanitaire.
Ce qu’il est urgent de faire aujourd’hui, à l’occasion de la crise de la pandémie mondiale à Covid-19, est de convaincre de plus en plus de nos contemporains qu’ils devront renoncer définitivement à certains comportements qu’ils ont abandonné sans trop de difficulté et de ne reprendre que ceux qui ont une réelle utilité et valeur. La crise virale pousse certains à quitter leur positionnement néolibéral pour parler d’entraide, de solidarité, de sobriété, de l’absolue nécessité d’un État- providence… dans les discours du moins.
Proches de nous, ils sont nombreux ceux qui réfléchissent à comment coaliser et organiser dans le futur toutes les prises de conscience de la perversité de la logique du productivisme mondialisé. Citons entre maints exemples, l’appel « Et le jour d’après ? Pour un « CoronaReset » de Sandra Evrard, la série des Corona carnets de Paul Hermant sur Pour.press, l’article « Covidécroissance ? » du porte-parole du mpOC Bernard Legros…
On constate aujourd’hui que les métiers les plus utiles à la société (infirmier.ère.s, caissières et épiciers, éboueurs, chauffeurs de bus…) sont aussi les plus mal payés, alors que des professions grassement rémunérées sont sans intérêt, voire nuisibles (traders, publicistes et autres parasites…).
Beaucoup réalisent qu’ils peuvent très bien vivre sans satisfaire de futiles désirs matériels, alors que des besoins, liés aux relations humaines, leur manquent grandement. Le défi que nous devons relever est de tirer les conséquences politiques de cette sensibilité nouvelle et de faire qu’elle ne soit pas qu’une parenthèse avant que les sirènes du consumérisme ne poussent nos contemporains à redevenir les outils consentants de la « relance massive » qu’appellent déjà de leur vœux suppliants les productivistes de tous bords.
[1] À l’échelle mondiale, le tabagisme fait 7,2 millions de morts chaque année, le sida 1 million de victimes/an, le paludisme 600.000 décès/an, les guerres 530.000 décès annuels mais selon plusieurs études convergentes, le fléau qui surpasse tous ceux-là est la pollution de l’air qui cause près de 8,8 millions de morts prématurées (800.000 en Europe, 60.000 en France et près de 9.000 en Belgique).
Mouvement politique des objecteurs de croissance
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