La peste numérique

Tomjo publiait pendant les présidentielles un livre

« Au nord de l’économie – Des corons au coworking » (Le Monde à l’envers, 2018). Revoici le texte Chez Renart tant l’épidémie de coronavirus accélère la transition (des corons au coworking) vers un « post-capitalisme », numérique, automatisé, et avec revenu universel pour les victimes du « chômage technologique ». Le coronavirus est pour l’industrie numérique une chance inouïe, inespérée, presque providentielle. Le chantage est même sidérant : il en irait de notre santé et de notre « souveraineté » économique. C’est le numérique ou la mort.

Au début du confinement, notre copine Béné nous a raconté comment une voix robotique l’avait priée de rentrer chez elle tandis qu’elle lézardait sur sa terrasse. Cherchant de tous côtés l’émetteur de la voix digitale, il lui fallait lever la tête. La voix sortait d’un drone.

Le monde d’après, c’est tout de suite. Télémédecine, télé-enseignement, télétravail, e-commerce, télé-police et auditions immatérielles, on peut s’indigner des technologies de surveillance appelées à la rescousse de notre déconfinement – que ce soit l’appli STOPCOVID, l’intelligence artificielle appliquée aux données des opérateurs de téléphonie mobile, l’emploi de la reconnaissance faciale –, elles ne sont que la partie émergée de l’iceberg : toute notre vie est appelée à passer sous la coupe des nouvelles technologies, et jusqu’à ce que les robots nous fassent l’aumône en payant notre revenu universel. Même les manifs deviennent virtuelles, si l’on suit Mélenchon, qui avait déjà fait le coup en 2014 pour sa sixième république.

Dans une tribune du 3 avril publiée au Monde, l’économiste Daniel Cohen relève que

« Cette crise sanitaire apparaîtra peut-être, rétrospectivement, comme un moment d’accélération de cette virtualisation du monde. Comme le point de passage du capitalisme industriel au capitalisme numérique. [1] »

Contrairement aux humains, les robots ne tombent pas malades ni ne transmettent de virus. Les centres d’appels délocalisés en Inde ou aux Philippines, eux, sont à l’arrêt en raison du confinement. Le premier réseau de télécoms australien Telstra « utilisera [le Covid-19] comme une opportunité pour numériser et automatiser davantage [son] modèle [2] », annonce son PDG qui prévoit de remplacer les deux tiers de ses salariés en centres d’appel par des machines. Alibaba et d’autres industriels chinois du numérique viennent de déployer leurs livreurs autonomes à Wuhan et Pékin. 70 % des livraisons auprès des hôpitaux de Wuhan sont d’ores et déjà réalisées par des voitures sans chauffeur et des drones livrent les clients confinés dans leur chambre d’hôtel [3]. « Le Covid-19 a accompli en six à huit semaines ce que les apôtres de l’automatisation n’avaient pas réussi […] en plus de cinq ans », vient de déclarer à l’AFP un économiste d’Auckland [4].

La « souveraineté » fait son grand retour. Macron assura au Financial Times « repenser les termes de notre souveraineté » puis déclara que sa priorité est désormais de « produire davantage en France. » Un frein demeure tout de même : le coût du travail. Mais Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État en charge de la reconquête industrielle, a la solution :

« La transformation vers l’usine du futur, plus automatisée et personnalisée, permet d’envisager des relocalisations, d’autant plus que les coûts augmentent en Asie. C’est comme cela que nous recréons de l’emploi industriel en France depuis trois ans. [5] »

Comme un symbole annonciateur d’une ère nouvelle, le fabricant de thermomètres médicaux Stil vient de relocaliser une partie de sa production auparavant située en Chine, automatisation aidant [6]. C’est que les robots sont moins coûteux que les humains, même chinois.

L’échelle de gouvernement est une chose, son contenu en est une autre. Un débat était engagé sur l’adoption d’une 5G française ou bien chinoise. Juste avant le confinement, l’UE lançait son plan pour une Intelligence artificielle européenne « pour gagner la bataille des données » face aux États-Unis et à la Chine, selon les mots du commissaire européen Thierry Breton, qui est aussi un ancien de Bull, France Telecom, Thomson et Atos, des entreprises technologiques publiques et privées [7]. En mai 2019, l’État français signait le lancement de son « appli » de reconnaissance faciale Alicem, un projet tout-à-fait public mené par l’État français soi-même. Le coronavirus signe-t-il le retour des « Trente désastreuses », avec État-stratège et nuisances certifiées « de nos régions » ?

Mais alors quoi ? Le chômage explose sous les effets du coronavirus et l’automatisation devrait accélérer le mouvement ? C’est ainsi que revient la proposition d’un revenu universel, et là encore l’épidémie de coronavirus joue son rôle d’accélérateur. Pendant la présidentielle de 2017, Benoît Hamon se félicitait que des personnalités comme Bill Gates, Elon Musk et Mark Zuckerberg défendent comme lui un revenu universel financé par une taxe sur les robots, chargés de financer notre système social. Aujourd’hui, dix-neuf présidents de départements réclament l’instauration d’un revenu de base « pour amortir le choc social » dû à l’épidémie [8]. Le gouvernement espagnol, socialo-podemiste, lance au mois de mai un « revenu minimum vital » qui durera après la pandémie. 170 parlementaires anglais demandent l’instauration d’un revenu inconditionnel pendant le confinement. Même le PDG de Twitter réclame un tel revenu universel pour gérer l’après-crise [9].

Il n’est peut-être pas inutile de (re)lire Au nord de l’économie. Cette brochure revient sur le « chômage technologique » qui frappa les économies occidentales bien plus conséquemment et précocement que la dite « mondialisation néolibérale ». On y lit combien la relocalisation est une « impasse » tant elle est subordonnée à la robotisation des métiers. Critique est faite ensuite d’un « post-capitalisme », marxiste ou libéral, qui remplacera le travail humain par celui des machines. La conclusion tisse enfin les liens entre « revenu universel, transhumanisme et soumission aux robots ».

La brochure est ici :

https://chez.renart.info/IMG/pdf/au_nord_de_l_economie_brochure.pdf

 

Notes

[1Le Monde, 3 avril 2020.

[2La Croix, 21 avril 2020.

[3] SQLI, 10 mars 2020.

[4La Croix, 21 avril 2020.

[5La Croix, 26 fév. 2020.

[6Europe 1, 5 mars 2020.

[7Ouest France, 19 février 2020.

[8Le Journal du dimanche, 11 avril 2020.

[9France 24, 17 avril 2020.