La guerre mondiale contre la nature

Les diri­geants nous rappellent régu­liè­re­ment que nous sommes en guerre

Nous serions en guerre contre le terro­risme, en guerre contre les virus, en guerre contre le chômage. Mais la véri­table guerre d’aujourd’­hui, la guerre mondiale, totale, la guerre de plus de cent ans, c’est la guerre menée non contre une nation ou un fléau mais contre la nature et contre ceux qui la défendent, avec, pour armes de destruc­tion massive, le commerce inter­na­tio­nal et la tech­no­lo­gie. Certains chefs d’États (comme Trump ou Bolso­naro) l’ont ouver­te­ment décla­rée, mais tous la mènent. À cette échelle, la destruc­tion de la nature n’est plus un événe­ment, et encore moins une crise, c’est un âge, une époque, une ère.

La guerre commer­ciale

La guerre, telle qu’on l’a jusqu’a­lors pratiquée, oppose des puis­sances rivales et vise à détruire des hommes, du maté­riel, des milieux, entraî­nant diverses cala­mi­tés (capti­vité, viols, pillages, dépor­ta­tions, saccages, humi­lia­tions diver­ses…) par quoi l’un des belli­gé­rants maté­ria­lise sa victoire sur l’en­nemi. L’art de la guerre, comme on l’ap­pelle, s’en­seigne encore dans des écoles mili­taires et entend former des virtuoses de « l’at­taque de flancs », de la « prise en tenaille », ou du « mouve­ment tour­nant ou débor­dant ». Cette guerre dite conven­tion­nelle méri­te­rait plutôt d’être quali­fiée d’ar­chaïque tant, selon moi, elle appar­tient déjà au passé.

Seuls y ont encore recours non pas de puis­sants États mais des groupes réduits qui ne peuvent se battre qu’a­vec des armes à feu, lors de guérillas ou de guerres intes­tines bien­tôt infec­tées en conflits plus « conven­tion­nels ». Pour les grandes nations, l’af­fron­te­ment physique est devenu un luxe inutile, pas seule­ment, évidem­ment, à cause de ce qu’il coûte en vies, en maté­riel, en destruc­tions, mais bel et bien en éner­gie, en argent, et en « image ». Il oblige par ailleurs à entre­te­nir des soldats, des casernes, des arse­naux, à mobi­li­ser des jeunes gens qui seraient plus utiles ailleurs, et, même en cas de victoire, à surveiller des terri­toires conquis, à répri­mer des révoltes, à défendre de nouvelles fron­tières, à conclure des alliances suspectes, tout ce à quoi pour­rait se résu­mer l’his­toire des empires.

Et avec quel profit ? Quel besoin y a t-il aujourd’­hui d’étendre sans fin un terri­toire, d’y plan­ter son drapeau, d’y lever des impôts, d’y recru­ter des soldats, d’y impo­ser sa langue et ses mœurs par la force, alors qu’il est si simple de parve­nir au même but par des moyens aussi paci­fiques que lucra­tifs ? L’in­té­rêt des empires marchands d’aujourd’­hui, comme celui des multi­na­tio­nales, est bel et bien de conqué­rir non pas des terri­toires mais des marchés, et d’as­su­rer par là leur puis­sance et leur pros­pé­rité. Plus besoin de soldats ni de canons pour exer­cer ce qu’on appelle le « soft power », qui consiste à séduire plus qu’à terro­ri­ser. Plutôt des restau­rants, des ciné­mas, des « busi­ness mana­gers » et direc­teurs d’opi­nion média­tiques, des modes alimen­taires, vesti­men­taires ou compor­te­men­tales, des « séries ». C’est en tout cas le régime que les États-Unis ont choisi d’im­po­ser au monde occi­den­tal à la fin de la dernière guerre, alors que l’Union sovié­tique préfé­rait inves­tir dans les chars d’as­saut et la police secrète, se condam­nant ainsi à un prochain effon­dre­ment. Il n’était plus ques­tion d’hu­mi­lier des vain­cus, d’an­nexer des provinces, mais plutôt de faire régner un ordre écono­mique et cultu­rel, ce qui, avec un peu de patience, revient exac­te­ment au même. Le Plan Marshall de 1947 renflouait les États ruinés par la guerre, y compris les États vain­cus, à condi­tion qu’ils se four­nissent aux États-Unis. Dès lors, commençait la troi­sième guerre mondiale, qui consiste à lancer des marques plutôt que des obus, et à impo­ser aussi loin et aussi long­temps que possible une pratique, une idéo­lo­gie, un système, une tech­nique, un ordre. Sur cet empire commer­cial, le soleil ne se couche jamais. Ainsi que le disait déjà Sun Tzu, le véri­table art de la guerre consiste à vaincre sans combattre. C’est chose faite. Depuis le VIe siècle av. JC on a d’ailleurs fait mieux que vaincre sans combat : on triomphe en diver­tis­sant, sous les accla­ma­tions des vain­cus.

Dans cette guerre sans missiles, que tentent à présent de gagner la Chine et les États-Unis, et que l’Eu­rope a déjà perdue, aucun soldat n’oriente les foules vers les comp­toirs ou les fourches du vainqueur : elles se ruent spon­ta­né­ment dans les fast food ou à Disney­land, se livrent avec joie au jogging, lisent des news­let­ters ou des E-books. Vainqueurs et vain­cus commu­nient ensemble dans le culte du bonheur, de la liberté de consom­mer, impa­tients du progrès des sciences et des tech­niques, qui leur promet un monde encore meilleur, ou tout simple­ment « moderne ». Le phéno­mène n’est d’ailleurs pas nouveau. En voyant les Bretons soumis par les Romains adop­ter le port de la toge, le théâtre, la posi­tion couchée pour les repas ou l’usage du latin, Tacite remarquait déjà : « Ils appellent civi­li­sa­tion les marques de leur asser­vis­se­ment. »[1]

On pour­rait dire en copiant Clau­se­witz que le commerce (y compris sous sa forme diver­tis­sante), c’est la guerre par d‘autres moyens, et l’on voit d’ailleurs que le voca­bu­laire guer­rier est devenu celui de l’en­tre­prise, qui déve­loppe des « stra­té­gies », se flatte de « conquêtes », s’oc­cupe de « logis­tique », parle de « cibles », d’ « impact », ce qui ne relève plus du tout de la méta­phore. Alors que les Lumières, Montesquieu, Voltaire, voyaient dans le « doux commerce » un facteur de paix entre les peuples, seul Jean-Jacques Rous­seau dénonçait dans l’échange de marchan­dises une logique guer­rière, en quoi, une fois encore, il se montrait non pas vision­naire mais lucide.

La destruc­tion de la nature

La Troi­sième Guerre mondiale c’est d’abord la guerre des matières premières : le pétrole, la viande, le bois tropi­cal, le soja, l’huile de palme, le coton, les miné­raux, tout ce qui oblige à forer, à creu­ser, à défri­cher, à empoi­son­ner, à exter­mi­ner peuples indi­gènes et animaux sauvages. Le paysage emblé­ma­tique de cette poli­tique, c’est la mine à ciel ouvert, sans herbe, sans habi­tants, sans vie, sans avenir, sans rien (fig.1). Un terri­toire exploité est un terri­toire soumis, et aussi­tôt balisé. Son occu­pa­tion par les hambur­gers, les champs de maïs, Mickey-Big Brother ou Coca-Cola, l’amé­ri­ca­ni­sa­tion du langage et des compor­te­ments marquent une domi­na­tion sans équi­voque, que lui envient et lui disputent à chaque coin de rue trai­teurs chinois, vête­ments bon marché et paco­tille élec­tro­nique massi­ve­ment déver­sés par l’Em­pire du milieu. Plus de drapeau trico­lore devant les mairies d’In­do­chine ou d’Afrique occi­den­tale, ni de croix gammée sur l’arc de triomphe (fig.3), mais partout le grand M jaune de Mac Donald (fig.4) ou le chat porte-bonheur avec bras arti­culé (fig.5), comme autant d’aigles romaines (fig.2). De même que les Mèdes victo­rieux arra­chaient les oliviers de Grèce ou jetaient du sel sur la terre pour la stéri­li­ser, les vainqueurs d’aujourd’­hui, s’ils veulent s’éta­blir dura­ble­ment en terrain conquis, s’acharnent à détruire ou à effa­cer non seule­ment le passé histo­rique des villes mais surtout la nature.

Tant que la nature exis­tera, la liberté y pourra renaître, une résis­tance s’y déve­lop­per. Un pouvoir véri­table ne s’en­ra­cine que sur une terre dévas­tée. Les auto­routes, les aéro­ports, les mines, carrières ou centres commer­ciaux ne sont pas situés en pleine nature malgré les forêts, les rivières et les paysages qu’ils détruisent, mais bel et bien et juste­ment contre ces forêts, ces rivières ou ces paysages, pour les détruire, parce que tout ce que perd la nature est gagné par la « civi­li­sa­tion » et ainsi livré au commerce inter­na­tio­nal.

Plus besoin de napalm pour anéan­tir les forêts tropi­cales : le commerce du bois y réus­sit aussi bien et souvent mieux. Et le napalm coûtait alors que le bois rapporte. C’est ce commerce « mondia­lisé » qui intro­duit les espèces inva­sives, la grenouille-taureau, la pyrale du buis, le frelon asia­tique ou la jacinthe d’eau, qui, en offrant un marché illi­mité à la corne de rhino­cé­ros, à la peau de tigre ou à la défense d’élé­phant, subven­tionne les bracon­niers et les cher­cheurs d’or, c’est lui qui ravage les écosys­tèmes, les océans, les fleuves, les arbres, les animaux, qui remplace tout ce qui échappe encore au contrôle commer­cial par des « envi­ron­ne­ments » arti­fi­ciels.

Sur un pré natu­rel ne s’exercent que les lois de la nature : l’été ou l’hi­ver, la nuit et le jour, la pluie et le beau temps. Un renard peut y chas­ser, un chevreuil y paître. Presque tout y est possible. Que ce pré soit bétonné en parc de station­ne­ment, il n’ac­cueillera plus que des véhi­cules soumis à la loi du proprié­taire : nombre de places, prix du station­ne­ment, signa­li­sa­tion au sol, règle­ment du parking. Rien d’autre n’y est possible. Ce prin­cipe a été appliqué à grande échelle aux États-Unis pendant la conquête de l’Ouest sauvage, lorsqu’on a brûlé la prai­rie pour exter­mi­ner les bisons et les Indiens qui en dépen­daient, pour exploi­ter enfin une nature soumise, hormis quelques poches aussi­tôt renta­bi­li­sées en parcs natu­rels pour le tourisme. Un grand barrage ne permet pas seule­ment de contrô­ler le débit des eaux mais aussi les popu­la­tions qui en dépendent.

Grâce à cela, on peut non seule­ment piller les ressources mais encore établir une emprise poli­tique, et, puisqu’on n’ar­rête pas le progrès, plan­ter comme un drapeau son ordre, hier méca­nique, puis tech­nique, et aujourd’­hui numé­rique. Car (nous le répète-t-on assez !) la civi­li­sa­tion d’aujourd’­hui, la « moder­nité », pour reprendre le concept offi­ciel, c’est la tech­no­lo­gie.

Dicta­ture tech­no­lo­gique

Avant le triomphe de la civi­li­sa­tion méca­nique, on se méfiait des inno­va­tions, et on les refu­sait parfois pour des raisons morales ou sociales (par exemple : le métier à tisser en Alle­magne à la Renais­sance, la machine hydrau­lique sous Vespa­sien, les armes à feu au Japon, la roue chez les Incas…). Aujourd’­hui, grâce aux indus­triels, la tech­nique est toute puis­sante, univer­selle, obli­ga­toire, inflexible, inexo­rable, à quelque prix que ce soit, y compris celui de la vie. Si tout le monde devait demain deve­nir élec­tro­sen­sible et souf­frir physique­ment des champs magné­tiques à en perdre le sommeil, (ce qui arri­vera peut-être avec la 6G, la 7G, la 8G, et les autres) la télé­pho­nie mobile n’en serait pas limi­tée pour autant, pas plus que ne l’ont été les pesti­cides ou le nucléaire.

En 1789, les cahiers de doléances regret­taient déjà les « prai­ries arti­fi­cielles », les forges ou « les machines nouvelles inven­tées pour filer le coton » (cahier de Frenelle la Grande, Mire­court, Rouen…). Trente ans plus tard, l’ordre tech­nique s’im­po­sait, d’abord en Angle­terre, avec les métiers à tisser, après qu’on a tout simple­ment pendu ceux qui les détrui­saient, puis dans le monde (fig.6). Car la tech­no­lo­gie triomphe toujours. Il n‘y a pas d’exemple, à ma connais­sance, d’une seule « inno­va­tion » tech­no­lo­gique qui ait dû céder aux inté­rêts natu­rels ou humains, y compris lorsque cette inno­va­tion rendait possible la destruc­tion de la la planète, comme la fission atomique. Les classes labo­rieuses ont conti­nué de s’op­po­ser au pouvoir méca­nique jusqu’à son triomphe défi­ni­tif, vers 1850. La machine, par défi­ni­tion, est restée et restera supé­rieure à la force humaine ou animale et ne peut qu’être mise au service des plus puis­sants. Se passer de voiture, d’in­ter­net ou de « smart­phone », est devenu impos­sible à qui veut ou doit vivre encore parmi ses semblables.

La « moder­nité » si chère aux bien-pensants est d’abord le nom de l’ex­ten­sion, de la pres­sion accrue des tech­niques. Elle s’adapte en perma­nence aux « inno­va­tions » conti­nuelles comme on court derrière l’au­to­bus de peur de manquer le prochain. Qui cesse de courir dispa­raît. Les tech­no­lo­gies « modernes », à savoir numé­riques, dites « de l’In­for­ma­tion et de la Commu­ni­ca­tion » (TIC), qui produisent des télé­phones « portables », des ordi­na­teurs, des navi­ga­teurs par satel­lite, des biens et services « imma­té­riels », qui prétendent « déma­té­ria­li­ser », abolir les distances et les trans­ports, « sauver » des arbres en remplaçant le papier par des écrans, comme si l’élec­tro­nique tombait du ciel, détruisent davan­tage encore, harcèlent les gorilles de montagne en cher­chant du cobalt sur leur terri­toire, menacent la santé publique en augmen­tant massi­ve­ment les risques de cancer, d’asthme ou de satur­nisme, affectent nos capa­ci­tés cogni­tives et notre imagi­naire en nous accou­tu­mant aux écrans et au virtuel. La fibre optique immer­gée au fond des océans déso­riente les céta­cés et les fait s’échouer sur les rivages (fig.7).

Chacun des utili­sa­teurs d’In­ter­net consomme chaque année 200 kilos de gaz à effet de serre et 3000 litres d’eau, pour ne s’en tenir qu’à quelques désastres ordi­naires.

Les tech­no­philes opposent aux récal­ci­trants des alter­na­tives tran­chées : le nucléaire ou la bougie, le hameçon ou la pêche élec­trique, les OGM ou la famine, la tech­no­lo­gie ou la mort. Seuls les réac­tion­naires nostal­giques de l’An­cien Régime et des perruques poudrées pour­raient s’op­po­ser à la marche triom­phale du Progrès. Voici donc revenu sous le nom de « moder­nité » le prin­cipe téléo­lo­gique du Tout est bien, Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Ce qui est réel vaut forcé­ment mieux que ce qui n’existe pas. Cette logique de la fina­lité n’est pas loin du « dessein intel­li­gent ». Il suffit d’em­ployer à bon escient les instru­ments « modernes », par exemple pour « sauver la planète ».

Mais la tech­nique n’est pas neutre, comme un simple outil bien ou mal utilisé, par des gentils ou des méchants, c’est un pouvoir en soi, qui porte son idéo­lo­gie comme l’es­car­got sa coquille. Elle l’em­porte toujours. « La machine, écri­vait Marcuse[2] vers 1968, est l’ins­tru­ment poli­tique le plus effi­cace ». Et nous véri­fions, comme le remarquait Haber­mas à la même époque, que la plupart des décou­vertes tech­niques concernent « le contrôle du compor­te­ment et de modi­fi­ca­tion de la person­na­lité[3] ». De fait, la plupart des nouvelles « avan­cées tech­no­lo­giques » améliorent des moyens de contrôle et de surveillance, et la plus grande dicta­ture du monde, la Chine, « innove » constam­ment avec des systèmes de recon­nais­sance faciale, de surveillance de masse, des « points sociaux », des orga­nismes géné­tique­ment modi­fiés et des tech­niques dites « d’in­tel­li­gence arti­fi­cielle » permet­tant de détec­ter des compor­te­ments suspects.

« Il ne s’agit pas de gagner la guerre, disait George Orwell, mais de la prolon­ger » (1984). Et aussi : « Le but de la guerre n’est pas de faire ou d’em­pê­cher des conquêtes de terri­toires mais de main­te­nir intacte la struc­ture de la société (p.281). » Ou encore : « En deve­nant conti­nue la guerre a cessé d’exis­ter. » Il prévoyait aussi le « déve­lop­pe­ment de la télé­vi­sion et le perfec­tion­ne­ment de la tech­nique (qu’au­rait-il dit de l’in­for­ma­tique !) comme « une possi­bi­lité d’im­po­ser non seule­ment une complète obéis­sance à la volonté de l’État, mais une complète unifor­mité sur tous les sujets »[4]. En effet, ce n’est pas seule­ment un pouvoir écono­mique et poli­tique qui s’im­pose avec la tech­nique mais aussi une idéo­lo­gie : celle du progrès continu, de la crois­sance sans limite, du génie humain, avec inter­dic­tion de critiquer « la moder­nité », puisque tout ce qui arrive devait arri­ver. Grâce à elle, certains nous promettent même l’im­mor­ta­lité ! Dieu et la moder­nité ont donc voulu le rempla­ce­ment de la forêt tropi­cale par des palmiers à huile, l’éle­vage du tigre en batte­rie, les algues vertes, la recon­nais­sance faciale, la mani­pu­la­tion géné­tique, la fonte des banquises et toutes les cala­mi­tés « modernes » qui nous accablent. Douter de « la science » c’est blas­phé­mer.

Il ne faut pas s’éton­ner que le bracon­nage, l’abat­tage illé­gal d’arbres, la pollu­tion ou la surpêche soient si peu châtiés par les États. Chaque fois qu’un guépard est abattu, qu’un arbre tombe en forêt tropi­cale, qu’un corail blan­chit, que du pétrole s’échoue sur une plage ou qu’un dauphin se noie dans un filet, chaque fois qu’un seul des 40 ours des Pyré­nées est empoi­sonné pour « proté­ger » un seul des 700 000 moutons français, c’est notre liberté qui est non pas mena­cée mais direc­te­ment frap­pée, et pas seule­ment par d’oc­cultes multi­na­tio­nales sans visage, mais aussi par des vandales indi­vi­duels ou orga­ni­sés. Aux maximes para­doxales d’Or­well (« la liberté c’est l’es­cla­vage », « la guerre c’est la paix », ) il faut ajou­ter « détruire c’est proté­ger » : le patron du chalu­tier qui vide les mers « relance l’ac­ti­vité des ports somno­lents », les chas­seurs du village qui tuent pour s’amu­ser les animaux sauvages sont « les premiers écolo­gistes », les « bergers » tueurs des loups empêchent la « ferme­ture » des pelouses d’es­tive, l’« exploi­tant agri­cole » qui arrache la haie « entre­tient la nature », et, de surcroît, refuse toute critique rele­vant de « l’agri­ba­shing » ! Tous les vandales doivent désor­mais être recon­nus comme « protec­teurs de la nature », « jardi­niers du paysage » (fig.8), « défen­seurs passion­nés de la biodi­ver­sité » et les « écolos » dénon­cés comme des « ayatol­lahs », des « khmers verts » des obscu­ran­tistes ou des réac­tion­naires, et, s’ils insistent, des « casseurs »… La philo­so­phie des vandales est des plus simples : « Il faut donner la prio­rité à l’homme », « Je suis chez moi je fais ce que je veux », « Si je ne le fais pas ce sera un autre », etc. Par chance pour eux, c’est aussi ce que veut la loi et qu’im­po­se­ront les tribu­naux.

« Parce qu’il faut produire, écri­vait Artaud[5],

Il faut par tous les moyens de l’ac­ti­vité possibles rempla­cer la nature partout où elle peut être rempla­cée (…)

Il faut que des champs d’ac­ti­vi­tés nouvelles soient créés

Où ce sera le règne enfin de tous les faux produits synthé­tiques

Où la belle nature n’a que faire ».

En effet, on voit que tout ce qui était propre devient sale (comme l’air), que tout ce qui était gratuit devient payant (comme l’eau), que tout ce qui était natu­rel est ou sera fabriqué (comme la neige). La terre promise des hommes « modernes » est en vue : sans arbres, sans pois­sons, sans glaciers, sans animaux, sans eau douce, sans étoiles, mais avec des esca­liers roulants, des ascen­seurs, des écrans, des routes, des parcs et des ronds-points. La Troi­sième Guerre mondiale fait donc rage. Il ne suffit plus de déser­ter. Il est urgent de résis­ter, car cette guerre, il faut qu’ils la perdent.

https://www.partage-le.com/2020/05/07/la-guerre-mondiale-contre-la-nature-par-armand-farrachi/

Armand Farra­chi

(Derniers ouvrages parus : La Tecto­nique des nuages (Corti), Le Triomphe de la bêtise (Actes Sud))

  1. Vie d’Agri­cola
  2. (id. p. 29)
  3. La tech­nique et le science comme idéo­lo­gie, éd. essais/Galll­mard, p. 65
  4. 1984, Folio, p. 292
  5. Pour en finir avec le juge­ment de Dieu