On pensait que les famines étaient des réalités du passé
Et qu’elles étaient, bonnes pour les livres d’histoire.
Avec la crise économique et sanitaire, on voit se multiplier de façon explosive les situations critiques. Selon le Secours Populaire, le nombre de personnes SDF qui sollicitent des repas chauds a triplé depuis la crise du COVID 19. Beaucoup d’appels au 115 ne demandent pas un hébergement mais les personnes disent qu’elles n’ont pas mangé depuis plusieurs jours.
Cette situation était évitable. Le plan d’urgence pour porter secours à l’économie française s’élève à 110 milliards d’euros (loi de finances rectificative du 24 avril), mais l’essentiel de cette somme soutient les actionnaires, les entreprises et les salariés. Le sauvetage d’Air France représente à lui seul 7 milliards d’euros Les aides aux familles les plus modestes ne représentent qu’un milliard d’euros, c’est-à-dire moins de 1 % du total, et beaucoup en sont exclus. Ce sont des mères isolées, travaillant à temps partiel, parfois sans être déclarées, des vacataires qui n’ont droit à rien, des SDF, des sans-papiers, des réfugiés à Calais, des étudiants isolés, des travailleurs intérimaires ou ubérisés, des auto-entrepreneurs. Il a fallu un mois et demi pour que la secrétaire d’État chargée de la pauvreté, Christelle Dubos (mais si, elle existe) annonce royalement une enveloppe de… 39 millions d’euros pour l’aide alimentaire d’urgence.
Pourquoi cet écart ? Une première explication peut être trouvée dans la vision de la société que partagent nos dirigeants politiques. Ils ont une idée précise des besoins des entreprises, de leurs intérêts mais ils ne connaissent pas les conditions de vie et les besoins des plus modestes. Les mesures ont été pensées de façon technocratique, avec une méconnaissance du terrain et une absence d’écoute des associations et des collectivités qui tiraient la sonnette d’alarme.
La seconde explication, avancée par Alternatives Économiques, est beaucoup plus grave. Elle est suggérée par les impressionnants reculs du droit du travail contenu dans le plan d’urgence sanitaire. Pour gérer la crise et sortir d’affaires des entreprises, le gouvernement s’en remettrait à un ajustement des salaires à la baisse. Dans cette optique, l’entretien d’une « armée de réserve » de précaires n’est pas une mauvaise chose. Il constitue un élément dissuasif par rapport aux revendications et aux manifestations. Ce décalage constituerait bien dans cette hypothèse une stratégie délibérée.
La suspension des libertés publiques va dans le même sens : le projet d’imposer un capitalisme autoritaire « quoi qu’il en coûte » par une remise en cause des libertés, l’intimidation par les violences policières et la surveillance généralisée de la population.
Malheureusement pour eux, cette politique autiste et cynique ne fonctionne que si le peuple est résigné, si l’intimidation réussit à entraîner la passivité du plus grand nombre et à isoler les « extrémistes ».
Ce qui se dessine actuellement avec le déconfinement est tout l’inverse :
– Contre les égoïsmes, les solidarités s’organisent très largement. Les actions porteuses d’alternatives se sont multipliées depuis 2 mois, l’autonomie et les circuits courts s’organisent, des collectifs se constituent. Tout cela constitue l’amorce de la société à laquelle beaucoup aspirent. Le monde d’après se construit déjà sur le terrain.
– la colère des soignants et de tous les citoyens est immense, de même que le désir de construire un monde plus fraternel et plus humain. Cette colère était déjà celle des Français contre la réforme des retraites, celle des gilets jaunes depuis un an et demi. La mobilisation s’exprimera d’autant plus fortement qu’elle aura été comprimée pendant 3 mois.
– Beaucoup ont pris conscience que des ruptures sont nécessaires pour construire un avenir écologique et social plus démocratique et qu’une transition douce à petits pas conduit inévitablement au chaos.
Mais il est vital de transformer les alternatives de terrain et et les revendications en un projet construit, mobilisant l’intelligence collective, pour construire un projet de société à finalité humaine et un nouveau contrat social. Et il reste à concrétiser autour de ces perspectives la convergence qui s’est accélérée depuis 2 mois entre les mouvements sociaux et écologiques, les organisations syndicales et les forces politiques.
Cependant, la crise économique est loin d’être terminée, et le capitalisme est loin d’être à terre. La bataille décisive qui commence sera longue, mais jamais il n’y a eu autant de raisons d’espérer des changements profonds.
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