Je ne sais pas vous, mais depuis quelques jours, j’ai comme un drôle de goût dans la bouche
Celui, amer, de la déception. On nous l’avait tant vanté ce “monde d’après” qu’il fallait inventer, repenser, rebâtir ! Voilà qu’il faut se résoudre à l’évidence : il ressemble furieusement au monde d’avant. On y risque toujours plus d’ennuis, voire la mort, si on est une personne racisée. On y hurle toujours autant au complot quand une information infirme nos convictions. Les voitures, bel et bien de retour en ville, y font toujours autant de bruit. Passé les premières minutes à se ravir de retrouver l’expérience d’un verre en terrasse, on se demande ce qui avait bien pu nous manquer dans ce bazar de pots d’échappement. Les masques jetables jonchent les trottoirs, rejoignant la cohorte des détritus habituels. Et, bien sûr, on y a toujours droit à des allusions graveleuses si on sort de chez soi en jupe. Sans parler de la crise économique qui s’annonce, violente.
Vous allez me dire, deux mois et demi pour
changer le monde, c’est peu. Qu’est-ce que j’imaginais ? Sans aucun doute, je me suis laissée prendre au piège de ma propre naïveté. J’attendais avec impatience la “phase 2” du déconfinement, comme l’appelle le gouvernement, nous donnant l’impression avec ces termes d’être collectivement au cours d’une délicate mission pour atterrir sur une autre planète. Édouard Philippe a presque l’air d’avoir perdu quelques rides lors de sa conférence de presse du 28 mai, il évoque de “très bonnes nouvelles”, l’avenir s’annonce radieux. Quelle arnaque.
À ma décharge, il se pourrait que ma naïveté et la déception qui en découle soient inévitables. Car, d’après le philosophe Nicolas Grimaldi, l’attente de quelque chose qui ne vient jamais est au cœur du fonctionnement de notre conscience. Dans nos pages, il expliquait : “Alors que, dans le souvenir, le temps est donné comme révolu, nous passons notre vie à attendre quelque chose qui, parfois, ne vient pas. Le présent semble insaisissable et déficitaire, en ce qu’il est saturé par l’attente, qu’il fait écran à ce qui va advenir. Il n’existe que pour être dépassé.” Quand arrive la date fatidique, l’instant T supposé de la coïncidence à soi, patatras ! La conscience bute sur son impossibilité même. Heureusement, on peut de nouveau s’en plaindre auprès du serveur qui nous tend notre café – ah tiens ! il manque toujours le verre d’eau.
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